Arno : Flamand gris
Musique

Arno : Flamand gris

L’éternel adolescent belge sera de passage à Montréal pour trois concerts intimistes qui lui donneront l’occasion de présenter les chansons de son dernier album, À poil commercial. Entrevue avec une des bêtes de scène parmi les plus insaisissables de la francophonie.

À cinquante ans, Arno, le chanteur belge, celui que l’on surnomme affectueusement le Tom Waits du plat pays, n’est pas près de s’assagir. Il suffit de quelques minutes de conversation téléphonique avec ce roi bilingue du surréalisme mélancolique pour s’apercevoir que ce ne sont pas quelques cheveux blancs en plus, ni une apparente sobriété, qui vont l’empêcher de se réfugier derrière son personnage d’éternel adolescent.
Première question: «Comme vous avez expliqué des dizaines de fois la signification du titre de votre dernier album, À poil commercial, je me demandais comment vous arriviez à justement concilier l’aspect intime de la création et la mise en marché du produit qu’elle devient. Autrement dit, comment bien dormir la nuit venue? «Tu te fais une bonne branlette avec la main gauche, et tu penses que c’est quelqu’un d’autre! Comme ça tu vas bien dormir…» Et quand on sait qu’Arno a souvent répété qu’il avait deux mains gauches pour expliquer qu’il ne savait pas faire autre chose que d’écrire des chansons, on se dit qu’il doit effectivement très bien dormir…
Mais lorsqu’on insiste un peu, après avoir ri un bon coup, il sait tout de même alimenter le journaliste: «Il faut vivre avec l’aspect commercial; mais moi, j’ai quelqu’un qui s’en occupe beaucoup mieux que moi. Je suis très mauvais dans le marketing. Je suis entré dans la musique pour ne pas travailler, pour acheter ma liberté. Et comme j’ai signé un bon contrat de disques, ils ne m’embêtent pas avec les trucs de marketing et de deadline
«La musique est comme une thérapie pour moi, finit-il par avouer avec son accent d’Ostende et ses bégaiements charmants. La musique a sauvé mon cul… Ça m’a permis de trouver un équilibre avec moi-même; autrement, je serais peut-être mort ou dans un institut psychiatrique… Ma grande satisfaction vient surtout lorsque je commence à travailler sur une chanson. Je suis très impulsif, et ça, il faut faire avec… Il faut accepter cette impulsivité, et en assumer les conséquences. Lorsue je suis dans le studio, c’est autre chose; là, c’est vraiment du boulot! Sinon, je préfère surtout la scène. Je suis fait comme ça: une vache, elle donne du lait, pas du champagne… Être quelqu’un d’autre, c’est trop difficile; c’est beaucoup plus facile d’être soi-même.»
En fait, c’est là tout le tour de force d’Arno: nous faire croire en un personnage un peu délinquant, mais tellement sympathique qu’on lui pardonne tout; et, en même temps, utiliser cette absolution sans condition pour continuer à n’en faire qu’à sa tête et selon ses convictions. Un ado, je vous dis… Mais un ado capable d’autocritique. Car si À poil commercial est un disque satisfaisant dans l’ensemble, il reste que l’on repère une certaine faiblesse sur le plan des textes, et que la réalisation (malgré l’aide de Mario Caldato, collaborateur de Beck et des Beastie Boys, et de Craig Armstrong sur la chanson Dans mon lit) ne réussit pas vraiment à amener le son d’Arno à un autre niveau. Question piège: «Est-ce qu’À poil commercial vous satisfait totalement?»
«Non.»
«Est-ce qu’il y a des aspects qui vous agacent?»
«Oui.»
«Est-ce que je peux vous demander lesquels?»
«Écoute, finit-il par lâcher après avoir rigolé de mon insistance, je n’ai pas réécouté l’album depuis qu’il a été mixé, mais je trouve qu’il y a quelques chansons trop sages, dont le son est trop clean… Moi aussi je croyais que la réalisation de Caldato allait être plus radicale. C’est peut-être à cause de moi également… Mais maintenant, il est trop tard pour changer. J’ai trouvé cet album plus difficile à enregistrer que le précédent; je n’arrivais pas à me décider dans le choix des chansons. J’en ai laissé tomber vingt-cinq avant d’arriver à treize… Peut-être que je me suis trompé, je sais pas…»
Mais une reprise d’une chanson de Claude Nougaro, Sous ton balcon, a quand même réussi à s’insérer parmi les treize morceaux retenus. Arno est d’ailleurs l’un des rares interprètes à vraiment s’approprier des classiques dela chanson pour leur donner un second souffle. On se souviendra longtemps de son interprétation de la pièce de Brel Le Bon Dieu, qui accompagnait le magnifique générique du film Merci la vie de Blier; ou encore de cette chanson d’Adamo, Les Filles du bord de mer, qui a fini par éclipser l’originale dans nos souvenirs. «La reprise de Claude Nougaro, je l’ai faite à cause de mon fils. C’est drôle, car il est amateur de hip-hop, il n’écoute que ça; mais il m’est arrivé un jour avec une cassette de Nougaro et il m’a dit qu’il m’imaginait très bien reprendre une de ses chansons. Alors je l’ai chantée pour lui. C’est une de ces chansons qui appellent une larme et un sourire en même temps. Je pense… mais je ne suis pas sûr…»
Du 17 au 19 février
Au Cabaret
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