Les artistes montréalais à la conquête du monde : Montréal international
Musique

Les artistes montréalais à la conquête du monde : Montréal international

Salués par la presse étrangère mais souvent ignorés chez eux, les artistes de Montréal commencent enfin à sortir de leur cocon. L’an 2000 marquera-t-il l’éclosion de la scène musicale montréalaise?

Ce n’est peut-être qu’une illusion, ou une lubie de journaliste, mais il semble que les musiciens montréalais n’aient jamais tant fait parler d’eux à travers le monde. Et on ne vous parle pas ici de nos «chanteurs à voix», qui s’incrustent dans le paysage audiovisuel français, ni des innombrables versions de Notre-Dame de Paris qui sont en train de pousser à travers le monde (à quand une version de NDP en hindi, en japonais ou en mandarin, monsieur Plamondon?), mais de musique neuve et fraîche, qui se développe en marge des grands courants commerciaux.
Car derrière l’insubmersible Céliiiine, aujourd’hui installée au panthéon de la pop mondiale, on trouve des dizaines de voix originales qui réussissent à se tailler une petite place dans les oreilles saturées de l’auditoire international. Alors que le public d’ici continue de se pâmer sur des groupes qui ne s’éloignent guère du rock des années soixante-dix (La Chicane, Okoumé, Éric Lapointe et tutti quanti), des mélomanes d’Europe, d’Amérique du Sud et même d’Asie découvrent la musique actuelle et le speed métal made in Montréal.
Ce n’est pas par hasard si, cette année, le gala des MIMI (événement récompensant les artistes et artisans de l’industrie indépendante et underground) a voulu témoigner de la mondialisation de la scène montréalaise en changeant la signification de son acronyme. De Montreal Independent Music Industry qu’il était, l’événement est devenu le Montreal International Music Initiative (Initiative Musicale Internationale de Montréal, en français). «On voulait que l’événement soit une sorte de rampe de lancement et qu’il serve d’inspiration aux jeunes groupes, explique Dan Webster, organisateur des MIMI. «On veut montrer qu’il est possible de se faire connaître à l’extérieur de Montréal.» Signe des temps, l’événement comporte même une catégorie équivalente à celle de l’«artiste s’étant le plus illustré hors Québec» du gala de l’ADISQ. Baptisé ICBM (pour Intercontinental Ballistic Missile, ou «missile balistique inercontinental»), ce prix vise à souligner les efforts des artistes d’ici ayant fait leur marque à l’étranger. Vous saviez peut-être déjà que des gens comme Rufus Wainwright, Bran Van 3000, Lhasa et autres avaient réussi à séduire des publics outre frontières, mais il y a fort à parier que la plupart des artistes en lice pour le prix ICBM ne vous disent absolument rien. Parmi les noms qui se retrouvent dans cette catégorie, figurent Tricky Woo, Godspeed You Black Emperor!,


Mistress Barbara, Fred Everything, Martin Tétreault, Cryptopsy et Balthazar. Du rock au techno, en passant par la musique actuelle et le métal extrême, on y retrouve un éventail de sons aussi variés que novateurs.


J’ai ma photo dans le journal!
Si l’on peut se permettre de parler de l’intérêt que suscitent les artistes montréalais sur la scène internationale, c’est en grande partie à cause des nombreux articles que la presse étrangère spécialisée leur a consacrés.
On se souvient avec amusement de cette phrase, aperçue l’an dernier dans les pages du très influent hebdo français Les Inrockuptibles, que l’on se permettra de paraphraser quelque peu: «Avec les récentes productions de Bran Van 3000, Jérôme Minière et Rufus Wainwright, il va falloir commencer à prendre Montréal au sérieux.» En fait de compliments, on a déjà vu mieux; mais il s’agit là d’un signe tangible d’une évolution dans les mentalités. Pour un nombre grandissant de Français, la culture montréalaise ne se limite plus aux vocalises de Céliiine et de Lara, ou aux chansonnettes joualisantes de Robert Charlebois.
Outre-Manche, on observe des réactions similaires, mais auprès de groupes différents. Le réputé New Musical Express (qui a l’emphase facile, il faut le reconnaître) s’est plus d’une fois extasié sur les explorations quas cinématographiques du groupe du Mile-End Godspeed You Black Emperor!; la revue Select a récemment présenté Kid Koala comme l’une des figures les plus rafraîchissantes du monde du turntablism; et le très pointu The Wire, prestigieux magazine spécialisé dans l’avant-garde sous toutes ses formes, encense régulièrement des parutions de GYBE, Fly Pan Am ou David Kristian, tout en s’intéressant de très près aux parutions actuelles du label Ambiances Magnétiques.
De l’autre côté de l’Atlantique, le magazine californien Urb, l’une des sommités en matière de musique électronique, a placé le jeune prodige des platines A-Trak en compagnie du non moins prodigieux Kid Koala en couverture de son numéro de janvier dernier. Un signe de bon augure pour l’année à venir? Les exemples de ce genre sont légion. Leur nombre sans cesse croissant et, surtout, leur variété nous portent à croire qu’il ne s’agit pas d’un phénomène isolé.

Le Son de Montréal?
On peut se poser la question: les artistes d’ici intéressent-ils soudainement les publics étrangers parce que leur son est «international» (lire neutre), ou parce qu’ils ont quelque chose de différent à offrir? D’après Dan Webster, c’est la seconde hypothèse qui l’emporte: «Ça fait plus de quinze ans que je suis dans le métier, et je n’ai jamais vu autant de groupes de qualité à Montréal, poursuit-il. Si des gens de l’extérieur commencent à s’y intéresser, c’est probablement parce qu’ils trouvent quelque chose de différent. Les artistes d’ici n’ont pas tendance à vouloir ressembler au dernier truc en provenance de L.A.; ils font le leur, et quand ils y croient, ça donne des résultats. Il faut dire qu’il y a des raisons bassement matérielles qui expliquent ça, comme le prix des loyers et l’accès facile à des locaux de répétition, qui font que les groupes d’ici peuvent se développer »
Florent Mounier, batteur du groupe de métal extrême Cryptopsy (aussi mis en nomination pour le prix ICBM), abonde dans le même sens. Son groupe a pssé l’année 1999 à tourner un peu partout en Europe (Hollande, France, République tchèque, Allemagne, etc.) et même au Japon; et il a pu recueillir quelques observations. «Montréal est une ville très active sur le plan de la musique métal et les gens de l’extérieur reconnaissent les qualités, tant techniques qu’artistiques, des gens d’ici. Et puis il y a un son particulier, un mélange d’influences qu’on ne retrouve pas ailleurs. Quand Voïvod a commencé, personne n’avait jamais rien entendu de pareil!»
Si ce dernier a tracé la voie pour les créateurs de musiques lourdes, Cryptopsy pourrait bien devenir son digne héritier. Depuis sa parution, il y a environ un an, plus de 50 000 copies de leur dernier disque ont été vendues de par le monde. Vous avez bien lu: C-I-N-Q-U-A-N-T-E M-I-L-L-E! Paul Piché aimerait pouvoir en dire autant! Au Japon, trois semaines seulement après sa sortie en magasins, six mille disques avaient trouvé preneur.
Comme partout à travers le monde, la musique d’ici se morcelle et se fragmente en dizaines de genres et de langues. Une chose est sûre: Montréal ne regarde plus son nombril fleurdelisé depuis belle lurette. Certains de nos artistes parmi les plus «exportables» sont loin d’être pure laine, mais ils n’en sont pas moins montréalais pour autant. On n’a qu’à penser à Lilison, chanteur originaire de Guinée-Bissau, qui a signé l’un des plus beaux disques québécois de 1999, toutes catégories confondues. Ou encore à Lhasa, cette Mexicano-Américaine aujourd’hui installée en France qui a créé son unique album entièrement à Montréal. Et que dire de Jérôme Minière, français de naissance, mais dont la ville d’adoption, Montréal, transpire jusque dans ses textes? Tous ces artistes, qui à leur façon contribuent à l’éclatement du son local, ne s’embarrassent pas du poids d’une tradition spécifique, mais choisissent leurs influences où bon leur semble.
Sans tomber dans les clichés entourant le phénomène de la mondialisation, il faut reconnaître que la langue n’est plus un problème, surtout das le cas des musiques électroniques, largement instrumentales. Il n’y aurait donc rien d’étonnant à ce qu’un disque des Jardiniers puisse trouver preneur en Allemagne ou en Espagne. Pas plus que de constater que des D.J montréalais, comme Mistress Barbara ou Fred Everything, s’installent à résidence dans des clubs britanniques.
Paul GiIbert, l’un des organisateurs du MEG (Montreal Electronic Groove), est persuadé que la musique techno pourrait exploser à Montréal si seulement elle en avait les moyens. «Le problème, c’est qu’il n’y a pas assez de structures locales pour permettre aux artistes de se développer, explique-t-il. Du côté de la musique techno, c’est encore très embryonnaire. Le talent est là, c’est indéniable; mais il n’y a pas encore assez de productions, et certainement pas assez de diffusion.»


L’événement, qui en sera à sa deuxième édition cette année, permet à des artistes français et québécois de tisser des liens et de jouer devant de nouveaux publics. «L’an dernier, lors de la première édition du MEG, le public parisien a vraiment tripé sur Ram et sur Les Jardiniers. D’une part, parce qu’ils trouvaient là un langage qu’ils comprenaient, mais aussi parce qu’ils y voyaient une approche différente, neuve.»
L’an 2000 appartiendrait-il aux musiciens de Montréal? «Je ne veux pas trop m’avancer là-dessus, mais je pense que le potentiel est là, lance Dan Webster. Regarde Kid Koala: il y a un buzz incroyable qui entoure son disque. Je pense que ce n’est qu’une question de temps avant que les gens s’en rendent compte. C’est ce qu’on veut faire avec les MIMI: d’abord, attirer l’attention des gens d’ici et, ensuite, offrir une sorte de vitrine du talent local au monde entier.» _