Musique

MIMI’s/La scène indépendante : Les conditions gagnantes

Avec les MIMI’s, la scène musicale indépendante célébrera sa différence et récompensera ses plus fiers représentants. Mais quelles sont donc les revendications de ce milieu plus ou moins ignoré par les institutions gouvernementales, l’industrie établie et les médias de masse?

Le 27 février, le Spectrum sera l’hôte du Gala de l’initiative musicale internationale de Montréal (les MIMI’s). À compter du 21, plusieurs soirées sont organisées pour présenter les fiers représentants des différentes branches de la scène musicale indépendante (voir Scène locale). Le but: célébrer l’explosion de créativité des artistes donnant dans les musiques émergentes (alternatif, punk, hardcore, D.J., électronica, hip-hop, métal, funk, ska, musiques du monde, avant-garde, etc.), les récompenser, et leur offrir une visibilité médiatique et publique qui ne saurait faire de tort à un milieu à toutes fins pratiques ignoré des médias de masse et des diffuseurs majeurs.
Disons les choses clairement: le Gala des MIMI’s est, ni plus ni moins, une sorte d’anti-Gala de l’ADISQ. À défaut de se voir intégré de façon convenable à l’industrie établie, le milieu indépendant a préféré s’organiser lui-même. «Ce sera différent mais pas nécessairement mieux, avoue Jean-Robert Bisaillon de la SOPREF, partenaire du promoteur Greenland dans l’aventure MIMI’s. Car là où le Gala de l’ADISQ s’empêtre dans les critères d’éligibilité tellement ils en ont, nous autres, on n’en a pas, pis on va se planter pareil! Parce qu’on va avoir oublié des gens, parce qu’on va l’avoir fait trop vite… Là où l’ADISQ travaille en fonctionnaire, nous on a travaillé en squeegees! Et le gala va nécessairement être réducteur au bout du compte… Mais d’une certaine façon, il faut que ce soit le bordel pour que ça reste une sorte d’anti-gala.»
Mais soyons réalistes: un gala et des showcases, c’est bien beau, ça fait parler de soi, et ça permet aux acteurs de cette scène d’échanger et de développer un sentiment d’appartenance, mais il en faudra beaucoup plus pour permettre l’émergence d’une nouvelle scène musicale au Québec, et en assurer la survie. Question de mettre cartes sur table, nous avons donné la parole à Jean-Robert Bisaillon de la SOPREF et à Martyne Prévost de MPL/MPV/Polliwog, qui se battent, chacun de son côté, depuis plusieur années pour qu’une certaine réalité musicale québécoise soit enfin reconnue à sa juste valeur. Voici donc, selon eux, les cinq conditions gagnantes pour l’émergence de la scène musicale indépendante.

Reconnaissance: «Il faut que les musiques émergentes soient considérées à leur juste valeur, comme un apport culturel qui a son poids et sa raison d’être, explique Jean-Robert Bisaillon. Il faut que les médias et les pouvoirs politiques se sensibilisent davantage. Pour Patrimoine Canada et le ministère de la Culture, la scène alternative est encore considérée comme une sous-culture; ils ont, de toute évidence, un problème de compréhension. Mais avant qu’on nous reconnaisse, il faut se reconnaitre soi-même; il faut qu’on soit décemment répertoriés, ce qui n’est pas le cas encore, car il nous manque des moyens pour y arriver.»

Aide aux artistes: «Il faut donner aux artistes la possibilité de composer en paix, sans qu’ils aient à se soucier de devoir aller faire de la livraison de courrier ou de cumuler des "jobines" à droite et à gauche, pense Martyne Prévost. Et cette année, pour la première fois, le Conseil des arts et des lettres s’est ouvert aux artistes alternatifs, mais ce n’est pas encore assez. Je te donne un exemple: pour travailler sur un album pendant un an, si tu es un artiste solo, tu peux recevoir entre 13 oo0 $ et 20 000 $. Par contre, si tu fais partie d’un groupe de quatre, cinq, ou six membres, tu n’auras pas plus d’argent! Alors, un groupe comme Groovy Aardvark, par exemple, n’a reçu que 8 500 $ pour travailler sur Oryctérope et ils sont quatre membres. Fais le calcul; penses-tu vraiment qu’ils ont pu travailler une année avec 2 000 $ chacun? La réalité du groupe n’est pas encore assez respectée au Québec.»

Aide à la diffusion de spectacles: «La SODEC a un programme de tournée des cégeps qui a beaucoup aidé, ajoute Martyne, et, depuis un an, il couvre tout le Québec et c’est excellent. Sauf qu’après un an ou deux, les groupes qui ont particié ne sont plus considérés comme faisant partie de la relève et c’est normal; il faut bien laisser la chance à d’autres. Le problème c’est que par la suite, ces groupes retournent dans le réseau parallèle de diffusion qui est en très mauvais état. Ils jouent dans des salles communautaires, des écoles secondaires, des bars, ou dans n’importe quels autres endroits que les promoteurs en région ont réussi à trouver. Ce qui fait que les conditions de travail des artistes et des producteurs sont très difficiles car ils sont obligés d’accepter des cachets qui ne sont pas fameux et de dealer avec des promoteurs privés pas très solides. Mais on n’a pas le choix: notre public ne se déplacera pas dans les salles conventionnelles, et ce réseau mériterait une reconnaissance politique et un financement adéquat.»

Responsabilité du milieu: «Il faut que les acteurs et artistes de la scène indépendante se responsabilisent davantage, pense Jean-Robert. Qu’ils arrêtent de chialer et qu’ils regardent comment les autres scènes autour du monde se sont mobilisées. Par exemple, comment les Jamaïcains ont fait pour se monter des labels indépendants solides, sérieux et qui ont eu du rayonnement. Il y a effectivement de quoi chialer contre les radios commerciales, les journalistes et les labels; mais, en même temps, je crois que ce serait plus constructif s’il y avait une véritable prise en charge des artistes par eux-mêmes.»

Appui des médias: «Le problème, raconte Martyne, c’est que les postes de journalistes et de chroniqueurs des médias majeurs sont occupés par des gens qui sont plus âgés, qui n’ont pas un background musical adéquat pour comprendre ces musiques et leur importance, et qui décident de parler de Lara Fabian au Centre Molson plutôt que d’Anonymus qui a rempli le Spectrum. Bon, c’est un choix éditorial, et moi, j’ai arrêté de me faire des illusions là-dessus. J’ai plus l’impression que la solution à ça viendra des fanzines spécialisés (qui pourraient devenir les magazines musicaux de emain), des hebdos culturels et d’un réseau comme MusiquePlus. Moi, j’aime mieux faire affaire avec eux, plutôt que de m’engueuler avec CKMF… Le problème, c’est qu’il n’y a pas de radio rock.»
Bien sûr, il existe plus de cinq conditions gagnantes (on n’a qu’à penser à l’aide qui pourrait être accordée aux artistes voulant aller se faire connaître à l’étranger, ou par le Web); mais avec une telle liste d’épicerie, on peut supposer que tant du côté des décideurs public que du milieu lui-même, il y a suffisamment de pain sur la planche pour les années à venir. Et si tout le monde se mettait à faire ses devoirs, peut-être aurions-nous une scène musicale indépendante mieux armée pour faire face aux réalités d’un marché de plus en plus contrôlé par les multinationales de l’entertainment