Fred Fortin et Les Marmottes aplaties : Instinct animal
Musique

Fred Fortin et Les Marmottes aplaties : Instinct animal

Les uns sont en ville, l’autre est dans le bois. Deux univers musicaux distincts et hors norme mais une seule philosophie: la spontanéité, le goût du sale, de l’imparfait et de l’énergie brute, bien avant les considérations commerciales ou radiophoniques. Tête-à-tête entre deux entêtés…

Bruno Lamoureux

, chanteur et guitariste des Marmottes aplaties
Nom: Joseph Patrick Bruno Lamoureux, dit «Burn»
Année de naissance: 1978
Lieu de naissance: Hôpital du Haut-Richelieu, Saint-Jean-sur-Richelieu
Résidence actuelle: Montréal
Signe distinctif: Seul représentant de sa génération à avoir réussi l’examen de français du Ministère
Animal totem: Castor bricoleur
Dernière parution: Épisode sanglant (Disques Farmer)

On peut certainement affirmer que Les Marmottes aplaties sont le groupe québécois se prenant le moins au sérieux. Ensemble depuis 1996, Bruno (guitare et voix), Sébastien (basse) et Martin (batterie) ont lancé deux albums: 1001 Chansons pour agrémenter vos repas, un disque de punk-rock déglingué produit de façon indépendante à la sortie du cégep et qui parlait de scouts, de journal intime et de crème glacée; et l’année dernière, voilà que nos Marmottes (ayant probablement subi l’influence des bars où elles ont joué) s’intéressaient aux chars, aux motards et aux maniaques à la scie, et qu’elles délaissaient le punk-rock carré pour épicer leur mixture de rock’n’roll garage sur l’album Épisode sanglant. Avec des vidéoclips ayant tourné passablement sur les ondes de MusiquePlus, le trio rejoint maintenant un public à l’échelle provinciale. Mais attention: l’âge adulte est encore bien loin… et c’est tant mieux!

Fred Fortin, auteur-compositeur-interprète, chanteur de Gros Mené
Nom: Joseph Antoine Frédéric Fortin Perron. «Mais là, c’est juste Joe…»
Année de naissance: 1971
Lieu de naissance:
Dolbeau, Lac-Saint-Jean
Résidence actuelle: Saint-Félicien, Lac-Saint-Jean
Signe distinctif: Conduit toujours des chars scrap
Animal totem: Marmotte aplatie
Dernière parution: Le Plancher des vaches (La Tribu)

Chouchou de la critique depuis la parution de son premier album, Joseph Antoine Frédéric Fortin Perron, l’ami Fred en a perdu plus d’un avec son bruyant «band de garage» Gros Mené. Avec Le Plancher des vaches, un disque plus intime, pas propre et mal dégrossi, Fred a baissé le ton d’un cran, mais il poursuit ses aventures dans le monde du lo-fi, au grand dam des amateurs de réalisations soignées. Si l’on a surtout insisté sur le caractère scatologique et enfantin des chansons de son plus récent disque, il faut reconnaître que l’homme peut aussi signer des textes d’une grande pertinence poétique, comme la superbe Chaouin, qui ouvre l’album. Cela dit, Fortin admet que son penchant naturel l’amène surtout à «chanter des niaiseries». Amateur de motoneige l’hiver, défricheur de sentiers de vélo de montagne l’été, il se décrit volontiers comme «un gars gosseux, mais broche à foin».

Rencontre au sommet
En réfléchissant à cette couverture, nous avions une image en tête: celle de Fred Fortin, chevauchant son fidèle ski-doo (celui-là même qui fut immortalisé dans la chanson de Gros Mené), en train d’écraser les Marmottes. Il nous a semblé tout naturel de réunir ces irréductibles du rock sale, qui, au-delà de leurs différences, partagent plusieurs traits de caractère. Férocement indépendants, allergiques aux compromis et complètement étrangers au monde de la musique «commerciale», ces iconoclastes peuvent toutefois compter sur un public de fidèles prêt à les suivre dans tous leurs excès.

Malheureusement, notre plan s’est retourné contre nous et l’entrevue, il fallait s’en douter, ne s’est pas déroulée comme prévu. Nous n’avions pas de ski-doo sous la main, deux des Marmottes sont restées sur le bord de la 10 (pas aplaties, Dieu merci), victimes d’un incendie de moteur, et Fred Fortin n’a jamais reçu le disque des Marmottes que nous avions tenté de lui faire parvenir (essayez d’envoyer FedEx sur le Petit Rang à Saint-Félicien). Consciencieux, il a quand même pris quelques minutes pour l’écouter avant d’entamer la discussion avec Bruno Lamoureux, Marmotte en chef.

Les deux hommes ne se connaissaient ni d’Ève ni d’Adam, mais dès les premières minutes de notre entretien, on a senti un respect mutuel et, à notre grande surprise, un certain sérieux de part et d’autre. Aucun des deux n’a semblé choqué d’être associé à une vision sale du rock.

Voir: Pour nous, cette rencontre semblait naturelle. De votre côté, voyez-vous des similitudes entre vos univers respectifs?

Fred Fortin: «On fait tous les deux de la musique, sa mère vient du Lac-Saint-Jean, pis y a ben des marmottes aplaties dans mon coin… J’avais déjà un sticker des Marmottes sur mon bicycle, sans les connaître, mais là je suis content d’avoir l’album…»

Bruno Lamoureux: «Au pawnshop, tu vas pouvoir avoir un gros cinq piasses pour.»

FF: «Je veux d’abord dire que votre disque, y sonne pas le cul pantoute. Y sonne comme il faut que ça sonne. Pis de toute façon, c’est quoi un beau son? Le son, c’est le son, les couleurs, c’est les couleurs… Je fais souvent la comparaison avec le cinéma: un band comme Les Marmottes, faut pas que ce soit fait en 35 mm, faut que ce soit plus obscur. Ta perception dépend de ton esthétique, de ta culture, des disques avec lesquels t’as grandi. Ce qui est important, c’est de savoir si ça te touche ou si ça ne te touche pas, pis ça, c’est quelque chose qui ne s’explique pas. Le reste, tout ce qu’on peut ajouter entre la personne qui fait la toune pis la personne qui tripe à l’écouter, c’est complètement inutile.»

BL: «Faut juste que tu trouves le son qui fitte avec ta personnalité.»

FF: «Criss que c’est ben dit, ça…»

BL: «Moi, j’étais très content de te rencontrer parce que le disque de Gros Mené, j’ai tripé pas mal dessus. Avec Thermoplastique, des Secrétaires volantes, je trouve que c’est le meilleur disque sorti par un band francophone dans les derniers dix ans au Québec. J’pense que je l’ai écouté trois mois intensifs… C’est super-actuel, il y a plein d’influences pis c’est comparable avec ce qui se fait n’importe où.»

FF: «Ah ben… merci beaucoup…»

BL: «D’ailleurs, c’était une question que je voulais te poser: Comment un gars loin de la ville, à Saint-Félicien, arrive à faire de la musique comme ça?»

F: «Ben t’as beau être dans le fin fond du bois, tu peux quand même aller t’acheter des disques à Montréal… Mais moi, j’avais pas écouté ce que vous faites avant ce matin, pis j’ai ben aimé ça. Je trouve que c’est plein de vie, ça dégage du gros bonheur en son pis en noise, pis ça fait du bien. Mais j’écoutais ça, pis j’vous enviais d’être dans un groupe parce que moi, comme je fais des trucs solos, j’ai une étiquette d’auteur-compositeur, pis on dirait que juste à cause de ça, les gens attendent surtout des textes de ma part. Des fois, je les trouve pas particulièrement bons pis j’ai pas envie qu’ils y portent attention tant que ça… Une chanson comme Bandé dedans mon lit, je trouve ça absolument nul aussi. Vous autres, vous avez pas cette pression-là; on vous dit plutôt que vous êtes simples mais efficaces. Moi, on ne me dira jamais ça, pourtant c’est comme ça que j’aborde mes affaires…»

Textes, drogues et rock’n’roll
Dans leurs chansons, Les Marmottes parlent de Détruire, et cherchent à conduire des Bagnoles. Fred, quant à lui, raconte les pérégrinations d’un morpion, et chante les mésaventures intestinales du pauvre Gaspard. Bref, à quelques exceptions près, on préfère le pipi-caca-poil à la métaphysique.

BL: «Quand on a commencé, on avait une guitare et un drum, on jouait deux accords pis on pognait la circulaire Métro pour se trouver des paroles comme «Boeuf haché! Épinards!» D’autres fois, on prenait le télé-horaire pis on chantait les descriptions de films! La musique a toujours été plus importante que les textes…»

FF: «Des fois, j’essaie d’écrire des niaiseries, mais je me ramasse avec des tounes sérieuses et très personnelles. Mais je ne pourrais jamais faire un disque entier comme ça; la plupart du temps, ça sort tout seul, juste pour le plaisir de faire du bruit. C’est ce que je fais, surtout avec Gros Mené: parfois, j’ai juste un beat de drum ou un riff de guitare et les textes viennent s’ajouter uniquement pour remplir l’espace.»

BL: «Ça paraît! (rires) De mon côté, je n’ai jamais vraiment fait de chansons à caractère personnel, à part peut-être Je bave; mais c’est un texte assez niaiseux.»

FF: «C’est celle qui me touche le plus! Mais ce qui me frappe, c’est que t’as juste vingt et un ans et que t’es pas mal mature; à ton âge, j’étais pas mal plus moron. La musique que je faisais dans ce temps-là, c’était nul à chier.»

Voir: C’était peut-être à cause de l’acide…

FF: «Ah non, au contraire. Une chance que j’ai fait de l’acide, je pense que ça m’a déniaisé.»

BL: «La drogue des Marmottes, c’est le Jell-O aux fraises… Le Cheez Whiz aussi, mais câlisse que c’est cher!»

Libre choix
Voir: Vous avez tous les deux commencé avec une compagnie de disques que vous avez quittée pour aller voir ailleurs. Qu’est-ce qu’il vous faut pour être heureux de ce côté-là?

BL: «Une bonne compagnie, c’est celle qui va prendre ton produit tel qu’il est, qui va le comprendre, pis si c’est bon, elle ne se mettra pas à critiquer pour des détails. Parce que si c’est quelqu’un qui écoute du Kevin Parent à longueur de journée, je ne suis pas sûr qu’il va comprendre ce qu’on fait, pis y va dire: C’est pas assez clean! Il ne comprendra pas que ça peut être bon même si c’est pas clean…»

FF: «Mon ancienne compagnie de disques voulait justement que je travaille avec le réalisateur de Kevin Parent. Je leur ai répondu que j’irais voir ailleurs… Alors que les Disques de la Tribu, ils entendent mes disques quand ils sont terminés et ils me font confiance. C’est ben mieux comme ça.»

Voir: Vos disques sont pleins d’imperfections. Sur scène, êtes-vous aussi relax qu’en studio? Vous amusez-vous de vos erreurs?

FF: «Ça m’arrive de jouer une toune pis d’être complètement à côté, mais je suis sûr que je la fais bien. Ça ne me dérange pas trop, parce que j’ai toujours fonctionné comme ça. C’est sûr qu’on essaie de faire de notre mieux, mais ce qui est important, c’est d’avoir du fun pis que le public en ait aussi. De toute façon, la majorité des gens ne connaissent rien à la musique; ils ne seraient même pas capables d’identifier la basse sur un disque. Ce qui compte pour eux, c’est: >Gros Mené, ça bûche en estie!>»

BL: «Y a des fans qui vont aimer Les Marmottes parce que ça ressemble à ce qu’ils écoutent en anglais, pis y en a d’autres, ça va être parce qu’ils trouvent nos textes drôles. Pis y a des journalistes qui aiment ça parce qu’ils sont tannés des artistes qui se prennent au sérieux.»

FF: «Pierre Girard, qui a travaillé sur mes disques, a fait beaucoup d’albums pas mal plus clean que les miens. Sur des disques comme ça, ils engagent des musiciens de studio pis ils les vident à fond. Les musiciens font des dizaines de prises, pis ils finissent par être vidés de leur jus. Y est où le fun là-dedans? Pour le disque de Gros Mené, j’ai placé un micro sur le drum pis envoye. Moi, quand je suis écoeuré, je change de toune! La question mérite d’être posée: Quelle est la meilleure façon de faire entre les deux?»

BL: «Quand ça devient une corvée de faire ta toune, il faut que t’arrêtes. L’énergie des premières fois, c’est souvent bien mieux que d’être tight.»

Voir: Malgré des salles combles à Montréal ou à Québec, l’idée de vivre de sa musique, que l’on soit une Marmotte ou un Fortin, est-elle un rêve inaccessible?

BL: «C’est sûr que mon rêve, ce serait de me lever le matin pis de me mettre à jouer de la guitare. Ben non: j’me lève, je vais à la job, pis quand j’arrive à la maison, je suis crevé. Je m’ouvre une bière, j’allume la télé, pis je ne joue pas de guitare.»

FF: «Je me suis lancé en musique sans vraiment savoir ce que j’allais faire, pis aujourd’hui, je fais à peu près le même salaire qu’à mes débuts. C’est un mode de vie, tu t’habitues à ça pis quand même que je me mettrais à en vouloir plus, ce serait de l’utopie. Ça fait quand même chier des fois: j’habite loin en criss pis y faudrait que j’achète un pick-up. C’est comme si je m’étais résigné, mais au moins, j’ai encore du fun à le faire.»

Loin de vouloir en rester là, les deux compères se sont invités à leurs concerts respectifs et Fred est allé jusqu’à proposer la mise sur pied d’un «festival du maringouin» dans la cour de sa maison de Saint-Félicien, en compagnie des Marmottes aplaties! À quand un duo?

Fred Fortin
Les 6 et 7 juin
Au Cabaret
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Les Marmottes aplaties
Avec Les Ordures ioniques, Ashtray Heart et Les Vipères
Au Medley
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