Sonic Youth : Bruit sourd
Musique

Sonic Youth : Bruit sourd

Après vingt ans de dissonance et de distorsion, on comprendrait les membres de Sonic Youth de vouloir baisser d’un cran le volume de leurs guitares. Pourtant, malgré quelques moments paisibles, NYC Ghosts and Flowers les ramène au coeur de la tempête…

Il ne doit pas tous les jours être facile de jouer dans un groupe nommé Sonic Youth, surtout lorsqu’on a quarante ans. Pas évident, non plus, de demeurer actuel lorsqu’on fait partie de l’avant-garde depuis une vingtaine d’années, et que d’innombrables jeunes ont pillé votre répertoire et adapté vos idées. Pourtant, les quatre membres de Sonic Youth sont loin d’avoir dit leur dernier mot, même si leur plus récent album, NYC Ghosts and Flowers (voir critique en section Disques), semble de prime abord plus calme que certains de leurs disques antérieurs.

En fait, Sonic Youth est plus prolifique que jamais, gardant un pied dans le monde du rock, et l’autre dans celui de l’avant-garde (on a d’ailleurs vu certains des membres, dont les guitaristes Thurston Moore et Lee Ranaldo, présenter des projets parallèles au festival de Victo). Il faut dire que depuis quelques années, Sonic Youth possède sa propre étiquette de disques (SYR, ou Sonic Youth Recordings), qu’il utilise pour lancer des disques instrumentaux de nature plus expérimentale, en marge des albums qui continuent de paraître régulièrement chez Geffen. «Les gens (les journalistes, en fait) ont tendance à opposer ce que nous faisons pour SYR et pour Geffen, mais je ne crois pas qu’il y ait tant de différences entre les deux; les disques sur SYR sont souvent des petites cartes postales, des ébauches de ce que nous faisons ailleurs, explique le batteur Steve Shelley, joint au téléphone à son domicile de New York. C’est particulièrement vrai pour NYC Ghosts and Flowers, qui reprend beaucoup d’idées développées pendant l’enregistrement de SYR 4.»

En fait, la ligne entre les deux se brouille de plus en plus, d’autant que Jim O’Rourke, figure emblématique de la scène de Chicago apparue dans le décor à l’époque de SYR 3, a participé à la réalisation de Ghosts… O’Rourke, que la biographie du groupe décrit comme un «cinquième Beatle», fait d’ailleurs partie du groupe de tournée qui nous rendra visite cette emaine. SYR 4, ou Goodbye 20th Century (il est le seul de la série à porter un titre), était un disque ambitieux (prétentieux?) qui reprenait des oeuvres de compositeurs marquants de notre siècle, de John Cage à Yoko Ono, en passant par Steve Reich et Pauline Oliveiros. S’agissait-il d’un retour en arrière ou d’une façon de clore le siècle en beauté, pour mieux foncer en avant? «Il ne faut pas accorder trop d’importance à ce titre, qui se voulait surtout une boutade, lance Shelley. Ambitieux? Je ne saurais dire; ce disque, nous l’avons fait avec un grand plaisir, même si le cadre était beaucoup plus rigide que lorsque nous travaillons sur nos propres compositions.»

De même, NYC Ghosts and Flowers porte en lui sa dose de passé. Au-delà de son titre, le Sonic Youth nouveau est truffé de références aux icônes culturelles de la Grosse Pomme, Allen Ginsberg en tête. S’agirait-il de l’ultime album new-yorkais d’un groupe qui a de tout temps incarné la vibrante avant-garde de la métropole américaine? «Sonic Youth n’a jamais écrit un seul disque-concept, lance Shelley. Même Daydream Nation, que plusieurs considèrent comme notre concept album par excellence, n’a jamais été pensé en fonction d’une ligne directrice précise. J’aime beaucoup le titre du nouvel album, je le trouve très évocateur, mais il ne flottait pas au-dessus de nos têtes comme une étoile lors de l’enregistrement. Les concepts s’imposent à nous à la toute fin du processus d’enregistrement, presque par hasard, car nous ne parlons jamais du contenu de nos chansons lorsqu’on les fait. En fait, le seul critère que nous voulions absolument respecter cette fois-ci, c’était celui de la longueur. Nous savions que nous voulions faire un disque plus court. Il y a tellement de musique sur le marché et les artistes se servent de plus en plus du CD pour faire des disques de plus de soixante-dix minutes. Moi, après quinze minutes, j’en ai généralement assez.»

Sage décision, surtout que les compositions de cet album ne risuent pas de figurer au nombre des classiques du groupe. Malgré un parti pris pour la spontanéité et une réalisation minimaliste, on a parfois l’impression que SY revoit mécaniquement certaines recettes: textes cryptiques, guitares décalées et tout le toutim. Heureusement, Shelley et ses comparses ne semblent pas à court de moyens d’expression. Au moment de notre entretien, le groupe revenait tout juste d’Europe (de Paris, plus précisément, où ils ont donné un concert en compagnie de Brigitte Fontaine). «On a fait un set en compagnie de Jim, un truc assez expérimental, très free, et Brigitte est venue nous rejoindre sur scène avec Areski. C’est une femme exceptionnelle, une chanteuse hors norme. On a même passé du temps en studio avec elle et on a enregistré trois morceaux en vue de son prochain album…»
Le destin a parfois de ces détours… Il y a quelques mois, les membres de Sonic Youth ont failli être confrontés à un virage artistique involontaire, puisque tout leur équipement, dont ces fameuses guitares, spécialement tordues et accordées selon des règles qui n’appartiennent qu’à eux, leur fut dérobé. C’est comme si le sort avait décidé de faire table rase, comme si le destin avait voulu les pousser ailleurs. Le groupe s’est-il nourri de cette perte? «Honnêtement, si on avait pu récupérer le camion le lendemain, j’aurais été plus heureux, raconte Shelley. Je n’appellerais pas ça une expérience traumatisante; il ne faudrait quand même pas exagérer! Perdre un bras ou une jambe dans un accident, c’est une expérience traumatisante. Se faire voler son équipement, c’est un désagrément mineur_.» Voilà un qualificatif que l’on n’oserait jamais appliquer à Sonic Youth. Malgré quelques réserves, on ne peut douter qu’il s’agit encore d’un groupe majeur.

Avec Stereolab
Le 13 juin
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