

Michel Pagliaro : Le grand rock
Il est le premier rocker que le Québec ait connu. Des tubes par dizaines, des visites dans les studios les plus prestigieux – dont ceux des Beatles – des spectacles auprès de Santana et Bowie, en plus d’un remarquable travail de producteur, MICHEL PAGLIARO a tout fait. Or, depuis 1980, il distille les albums et les apparitions au compte-goutte. Cet été, il sort de sa tanière, le temps de quelques spectacles. À quand le grand retour? Dialogues avec Michel Pagliaro.
Nicolas Houle
Photo : Pascal Teste
11h30, la Citadelle: rendez-vous avec Pag
Une dizaine de minutes à zigzaguer dans le labyrinthe de la Citadelle nous mène à la terrasse de la résidence du gouverneur général du Canada, surplombant le fleuve. C’est là qu’a lieu la conférence de presse annonçant les festivités entourant la Fête du Canada. C’est là qu’on doit rejoindre Michel Pagliaro. Il est au rendez-vous, assis à la table d’honneur en compagnie des administrateurs et des militaires, encadré par deux soldats coiffés d’oblongs casques velus. Après une brève allocution nous promettant un excellent spectacle, Pag serre quelques pinces, se fait prendre en photo et vient nous rejoindre. Il a bonne mine. On ne peut plus calme sous sa crinière maintenant grisonnante, il roule les «r» toujours aussi bien et transforme quelques «a» en «aou», selon son habitude. On convient de mener l’entrevue derrière une assiette, dans le Vieux-Québec. Sur la route, les conventions tombent. On se tutoie gros comme le bras et déjà quelques questions fusent…
12h15, rue D’Auteuil: Pag ne fait pas de politique
Tu n’en es plus à ta première Fête du Canada. Ça ne te met pas trop mal à l’aise le côté politique qu’on veut toujours donner à ces événements?
«\Je suis un entertainer, pas un politicien. On me paye pour faire de l’entertainment et une job de promotion, alors j’y vais. Ce serait Raoul Pépin dans le club du lac Saint-Pinpin, ce serait la même affaire.»
Tu n’as jamais fait le spectacle de la Saint-Jean-Baptiste, y-a-t-il une raison?
«Ils ne m’ont jamais invité, c’est tout. Peut-être que je me suis retrouvé sur leur blacklist parce qu’ils ont vu que j’avais déjà fait la Fête du Canada, j’sais pas… Mais là, voulez-vous faire une entrevue politique? Parce qu’il faut que je fasse attention, j’ai la langue pas mal trash et je ne veux pas que les gens me comprennent mal…»
12h30, Il Teatro: l’inventeur du rock québécois
Après avoir rassuré Pag en lui disant qu’on s’intéresse davantage aurocker qu’au politicien en lui, on s’assied autour d’une table derrière un verre de blanc. Pag opte pour les pâtes. Est-ce son ascendance italienne qui se manifeste? Peut-être, mais il précise qu’il n’a plus d’italien que le nom. Le surnom de «parrain du rock» l’agace un peu, d’ailleurs. C’est son grand-père qui a jadis traversé l’océan pour venir travailler sur les chemins de fer. Né à Montréal-Nord, le jeune Pag a poussé en français. S’ennuyant un peu quand ses professeurs lui faisaient jouer du Brel, il rêvait aux guitares électriques…
Comment es-tu venu au rock? Tes débuts étaient plus près de la variété…
«Quand j’étais jeune, on avait un groupe et on jouait des affaires rock beaucoup plus hip que ce que je suis devenu après, à la télévision. Quand j’ai remplacé le chanteur des Chanceliers, je me suis retrouvé avec un groupe qui avait des contrats de disques et qui chantait en français. Les producteurs de l’époque n’auraient jamais misé sur quelque chose qui aurait été "rentre-dedans" alors t’avais le choix: ou tu faisais un disque et tu faisais ce que l’on te disait de faire, ou c’était rien. Donc à mes débuts, mon cheminement n’en a pas tellement été un d’évolution musicale, mais plutôt d’insertion au showbusiness. Le rock a toujours été là, par contre.»
Tu l’as pris d’où, le rock? Quelles ont été tes influences?
«Quand j’étais jeune, j’écoutais bien des groupes cubains. Il y a beaucoup d’énergie là-dedans, alors tu en viens à maximiser la syncope et à aimer certaines de ces énergies. J’aimais bien Little Richard, Chuck Berry, le doo-wop aussi. Je ne pourrais pas pointer un élément en particulier qui a fait que j’ai fait du rock, je pense que c’est un amalgame de choses et c’est sans doute dû au fait que je suis plus "aux tounes" qu’"aux gars". J’veux dire que ce sont les chansons plutôt que ceux qui les font qui m’intéressent. Je suis un fan du moment, de l’énergie et de l’osmose des timbres des chansons.»
Quand tu as décidé de chanter le rock en français, t l’as fait sans complexes. Tu n’as pas hésité, par exemple, à comparer Louise à Suzie Q. C’était important pour toi?
«Oui, parce que Louise est aussi belle et elle swing autant que Suzie Q, Peggy Sue et les autres. J’ai toujours trouvé ça étrange que les gens me disent qu’ils n’arrivaient pas à chanter le rock en français car en fin de compte, la différence, c’est quoi? C’est des sons et, à un moment donné, c’est la même crisse d’affaire. C’est juste parce qu’il y a une espèce de limite que les gens s’imposent pour arriver à accéder à un genre d’environnement promotionnel. Ils ne vont pas jusqu’au bout parce qu’ils veulent être des bons écoliers.»
Comment vois-tu le rock au Québec, aujourd’hui?
«Qu’est-ce qu’il y a comme rock au Québec? Il y a le petit Éric [Lapointe] et à part ça? La Chicane? Ça tourne en maudit, mais ce n’est pas du rock. Peut-être par la vie, mais pas par la musique. Le petit Éric, c’est du rock par la musique et par la vie, mais c’est très conventionnel comme style de rock, c’est pas loin de Bon Jovi…»
C’est quoi le rock selon Pag?
«C’est de la bière, c’est des t-shirts, c’est des posters, c’est tellement commercialisé que c’est rendu n’importe quoi. Le rock, c’est devenu une façon de véhiculer de la marchandise. Il faut que j’admette qu’Éric n’a quand même pas peur de faire des choses qui sont assez sensibles, avec des bons textes. Il prend le risque parfois de ne pas être ce que c’est supposé être et, justement, c’est ça le rock: ne pas être conformiste. Donc en fin de compte, le rock, c’est le sens de la vitalité du vouloir survivre, pis ça, ça peut être transmis avec un accordéon. Tu peux dire des poèmes avec un accordéon et ça rentre. Pour les Américains, le rock, c’est Def Leppard, les guitares fuzz, etc. Pour les Européens, il y a le côté poétique, ça devient plus une contradiction sociale. Le gars n’a pas d’argent, il n’a que son accordéon, il récite son poème, il est dans la marde, pis… J’vais la payer, la bouteille… Mademiselle! J’offre la bouteille…»
12h50: Pag offre la bouteille de blanc et quelques souvenirs
Comment as-tu écrit J’entends frapper?
«Hum…. attend… Ah oui! Je me rappelle, j’étais dans un hamac… Some Sing, Some Dance, j’étais assis sur la toilette… Rainshowers, j’étais assis sur un sofa… En fin de compte, il faut s’asseoir pour écrire!»
Tu les écris comment tes textes? J’entends frapper, ça pourrait être interprété de bien des manières. Est-ce que tu y vas au son?
«Non, parce que ce serait n’importe quoi, je suppose. Je ne me prends pas pour un poète ou un écrivain, mais j’essaie toujours d’avoir comme une fable ou une histoire. Même que J’entends frapper, c’est un peu moraliste…»
J’ai marché pour une nation («Et j’ai marché pour une nation / Qui je crois veut vivre libre / Et on entend la révolution / Qui voudrait bien tout nous dire»), ça fait partie des hymnes nationalistes du Québec. Comment te sens-tu par rapport à ça?
«Il n’y a rien de mal là-dedans, 80 % de la population parle français.»
Te sentais-tu nationaliste quand tu l’as écrite?
«Non. Pour moi, J’ai marché pour une nation, c’est un riff de guitare qui est super bon! Mais ça peut avoir un sentiment nationaliste, pourquoi pas? C’est correct, quelqu’un lit un texte et il y voit ce qu’il veut y voir, il l’adapte à sa pensée ou à sa philosophie sociale.»
Et quelle était la nation en question?
«C’était un état d’esprit free hippie plutôt qu’un drapeau… C’était la nation des free.»
Tu as été le premier artiste canadien à recevoir des disques d’or dans les deux langues officielles, tu aurais pu te lancer dans une carrière internationale…
«Oui, mais c’était une époque bordélique. J’avais un contrat avec une compagnie qui avait un contrat avec une autre compagnie, et ainsi de suite. Il y avait tellement d’intermédiaires qu’au bout du compte, il ne restait plus rien pour personne, alors personne n’était vrament intéressé à aller très loin. Je me suis dit que j’aimais faire ce métier-là et que je devienne ou pas ce que je pourrais devenir, je le ferais toujours car c’était la chose qui m’intéressait, pas nécessairement les bénéfices que j’en retirais.»
Tu parlais de «rock par la musique» et de «rock par la vie», est-ce que ta vie était rock’n’roll dans les années 1970?
«Ma musique était beaucoup plus calme que ma vie: ma vie était ultra-trash! Les années 1970, ça a été bien des vies différentes à l’intérieur de 10 ans. De 1977 à 1980, ça a été un party de trois ans, 24 heures sur 24. J’avais deux étages dans le Vieux-Montréal, en face d’une place qui s’appelait la Nuit magique. Quand le club fermait, on continuait le party chez nous jusqu’à midi le lendemain. Pis après on lavait la vaisselle dans le bain avec le pommeau de douche! Ç’avait pas d’allure! Quand je suis parti pour l’Europe au début des années 1980, j’étais complètement brûlé.»
13h15: Pag lève une partie du voile sur son silence discographique des 12 dernières années
T’as pas fait paraître d’album depuis Sous peine d’amour en 1988. Tu as eu un contrat avec Audiogram, puis avec Les Disques Star et, dans les deux cas, ça s’est terminé sans résultat. Que s’est-il passé?
«J’ai fait un deal avec Audiogram et je n’ai pas eu ce que je voulais, ça a débandé. Je voulais faire quelque chose et ce n’était pas où ils voulaient aller. On a enregistré des affaires et ce n’était pas très bon. Ils me disaient tous: "C’est bon, c’est bon", mais je savais que c’était de la marde. On ne l’a pas sorti et pour repayer les dépenses que j’avais accumulées, ils ont fait paraître une compilation double. Ils ont repris leur argent et j’ai sacré mon camp. D’habitude, les bands pètent et les compagnies restent. Avec moi, c’est différent: le band reste et les compagnies pètent!»
Avec cette histoire-là, tu t’es fait une réputation de perfectionniste…
«Oui, mais perfectionniste, qu’est-ce que ça veut dire? Je ne sai pas ce que ça veut dire… T’aimes mieux ça quand c’est bon que quand c’est nul? Si c’est ça, je le suis.»
Comment tu vis? Durant ces 12 ans-là, il y a eu peu de spectacles…
«Je ne suis pas une personne qui est riche. L’important, c’est de pouvoir rester tout seul et indépendant. Les gens peuvent bien penser que je suis fou, mais je sais que je ne le suis pas. Ce qui m’intéressait, c’était de jammer et d’enregistrer mes jams. C’est ce qu’on a fait. J’ai traité ça dans des machines et de brique en brique je me suis arrangé pour avoir l’équipement que je voulais. Là, je fais du montage avec ces jams-là.»
Vas-tu sortir quelque chose?
«\Ça s’en vient, ça s’en vient… Relaxe, si t’aimes ce que je fais, tu vas capoter!»
Est-ce qu’on va avoir ça avant que tu aies ta pension de vieillesse?
«Oui, oui. Quand ça va sortir, vous allez voir, c’est très an 2000, ça n’a rien à voir avec le passé, sauf que ça a été fait v’là cinq ans. C’est deux guitares, une basse, un drum et un chanteur. Ce que j’ai fait, c’est ce que je voulais faire pour Audiogram. Il n’y a rien qui a été enregistré en studio, ce n’est que du collage de jams.»
As-tu as un deadline?
«Non. Mon deadline, c’est quand ce sera fini.»
Mais tu dois sentir la pression du public, la pression des médias…
«Ouaaaais, mais…»
Qu’est-ce qui te permet d’avoir cette distance-là?
«\Je m’en crisse.»
Tu veux faire ce métier-là jusqu’à quand?
«Il y a une phrase de Keith Richard que j’ai trouvée comique. Un gars lui avait demandé: "Les Rolling Stones, vous êtes vieux, quand est-ce que vous allez prendre votre retraite?" Il lui a répondu: "Si j’étais un vieux Noir de Chicago qui joue du blues, tu ne me poserais pas cette question-là." Alors c’est ça: si tu aimes faire ce que tu fais, le temps n’a pas de rapport. Je jouerai de la guitare jusqu’à ce que ça ne me tente plus.»
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