Maurice Dantec : Mutation à l'avant-poste
Musique

Maurice Dantec : Mutation à l’avant-poste

Appuyé par RICHARD PINHAS (fondateur du groupe Heldon et de la musique électro-industrielle française), MAURICE G. DANTEC ne parcourt pas les festivals pour alimenter la société du spectacle. Ce romancier apocalyptique pourrait bien plutôt interpréter les textes de Nietzsche à la manière d’un chaman: pour ensorceler et guérir.

L’avancée de Maurice Dantec en territoire culturel suggère l’image d’un char d’assaut baroque. Alors que des projets de film sont en cours pour ses deux premiers romans parus dans la Série noire, il vogue sur le succès de son troisième (Babylon Babies) et publie une autre brique, un «journal métaphysique et polémique» de 650 pages.

Dans Le Théâtre des opérations, journal rédigé depuis son émigration à Montréal fin 1998, les perspectives se bousculent mais convergent: 1- le règne de la technologie se double d’un déclin sans précédent de l’être humain; 2- l’heure n’est même plus à la réforme mais à l’autopsie patiente; 3- reste à souhaiter des «accidents» pour qu’une mutation physique et métaphysique de l’humain s’enclenche. Alors que son dernier roman faisait le pont entre le noir et la science-fiction, ce livre poursuit les réflexions et projections à propos de la civilisation. De quoi alimenter les fans tout comme les détracteurs.

Et Dantec a aussi un lourd passé dans la musique underground, ce qui explique sa présence au Festival d’été avec Richard Pinhas. Pionnier de l’avant-garde des années 1970, ce dernier a connu Dantec il y a trois ans puis l’a convié à un projet d’hommage à Gilles Deleuze, philosophe qui fut son directeur de thèse. L’album Le Plan suscita une tournée américaine dont un autre disque (Schizotrope) vient de témoigner: sur guitares torturées et boucles sonores incantatoires, Dantec y lit des textes théoriques avec une voix d’androïde. Subversif et extrême.

Un antifestivalier consentant
À l’inverse de Houellebecq, qu’il considère comme un des plus importants écrivains actuels, Maurice Dantec aurait besoin de deux bouches pour laisser plein cours à son déluge de propositions. Vif et documenté, il peut, comme dans son journal, parler de tout, avec des résultats inégaux mais toujours stimulants.

Dès que nous nous assoyons dans un café de la rue Saint-Laurent, la conversation s’oriente sur la décadence du monde actuel. Il boxe littéralement: «Aujourd’hui, il n’est plus possible de faire usage de son esprit critique en Occident. Nous sommes tous frères, supposément, mais moi, je ne me sens le frère de personne, ni du gangster ni de l’homo festivus. Le chaos qu’on nous vend comme créatif et productif cache un ordre extrêmement médiocre. Il ne reste plus qu’un simulacre de société dans lequel les individus vivent une espèce de feuilleton télévisé constant, où il ne se passe pas un jour sans qu’il y ait une fête quelque part. On n’a jamais vu ça. On n’arrête pas, on vit dans la commémoration constante d’un passé qui a été liquidé.»

«J’ai été obligé moi-même de me rendre compte que tout ce à quoi je croyais, dans les années 1980-1990, était en fait une aberration. J’étais moi-même le point le plus avancé d’une dévastation de la pensée. Quand j’ai commencé à me retourner contre ça, pendant l’écriture de Babylon Babies, ça a donné le Théâtre des opérations

C’est pourtant librement qu’il investit la scène, et de façon un peu ludique malgré ses airs de chaman postmoderne. «[…] un ou deux concerts, pour faire plaisir à Richard. Parce que moi, l’industrie du spectacle, ça me gonfle, mais alors là, royal!», confesse-t-il avant d’enchaîner, en s’excusant, à propos des journalistes dont il croit la mission trahie depuis longtemps: «Nietzsche disait, et nous sommes en 1880: "encore un siècle de journalisme et les mots pueront tout à fait".»

Guerre des drogues
Après qu’il ait rallumé son bout de joint pour la troisième fois, je me risque à lui parler des psychotropes dont il avoue publiquement s’intoxiquer, même s’il veut éviter le rôle de porte-flambeau. D’ailleurs, tout en affirmant ses préférences, il ne croit pas l’homme actuel à même d’utiliser correctement les drogues. «On remplace les substances plus ou moins démodées que sont l’alcool et le tabac par le Prozac, on interdit plus ou moins les drogues accélératrices de conscience, qu’il s’agisse du cannabis, des amphétamines ou du LSD, mais on va promouvoir les drogues festives ou «tolérationnelles» comme le Prozac, le Viagra et l’Ecstasy, qui permettent à l’individu de demeurer dans la matrice fusionnelle. Ceci grâce à l’industrie pharmaceutique et en réponse à une demande sociale. Mais tout ce qui au contraire aiguise le sens critique, le négatif en toi, est en train d’être banni.»

Tout comme dans le cas des manipulations génétiques, un de ses thèmes favoris, il croit insuffisant de s’en tenir au physique. Le surhomme à l’ADN modifié récemment promis, il le place entre sur-singe et sous-homme, malgré qu’il croit inéluctable le processus de destruction biologique de l’être humain.

«Tout ce que j’attends, conclut-il, c’est que de tout ce désastre, de toute cette dégradation, surgisse un accident sublime. Comme peut-être ce fut le cas à l’époque de l’apparition du Christ.»

Le 13 juillet
Au D’Auteuil
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