Le Kabaret Kerozen : brûle les planches!
Si tous les David Hallyday, Lynda Lemay ou Patricia Kaas de la programmation des FrancoFolies ne sont pas votre tasse de thé, et si vous voulez vivre une expérience hors du commun, il y a de fortes chances pour que le KABARET KEROZEN soit une excellente solution de rechange. Rencontre avec l’homme derrière le mouvement le plus rassembleur de la scène alternative locale.
Dimanche dernier, vers les 18 h, sur la terrasse du Jailhouse Rock, avenue du Mont-Royal, Pat K, grand manitou de L’Empire Kerozen, donne les dernières indications aux participants du Kabaret Kerozen que l’équipe de programmation des FrancoFolies a si courageusement inscrit dans la série Hip Rap Rock du Spectrum: «Pas besoin de vous dire que vos ego, vous les laisserez chez vous. Le Kabaret, c’est un trip collectif. Il faut montrer que la scène locale est solidaire et capable de s’organiser pour monter un show solide, aussi professionnel que ce qui se fait dans l’industrie.»
Pour faire une histoire courte, le concept des Kabaret Kerozen est né à peu près en même temps que le fanzine et la boutique du même nom, il y a trois ans, à la suite d’une table ronde sur la scène underground organisée à CIBL et à laquelle participait l’ex-chanteur des Krostons, maintenant avec la formation techno hardcore Khan Gourou. «On en est venus à la conclusion qu’il fallait que ça devienne in de s’intéresser à la scène locale, se souvient un Pat K au bord du surmenage mais animé d’une énergie quasi inépuisable. En arriver au point où si tu ne sais pas ce qui se passe sur la scène locale, t’es dans l’champ! Aujourd’hui, on le voit de plus en plus avec tous les kids qui suivent les groupes et qui vont aux spectacles, et j’ai la prétention de croire que Kerozen y a été pour quelque chose.»
À l’époque, le quartier général de Kerozen était le Café Chaos. Pat K assurait la permanence d’un petit comptoir contenant une multitude de productions indépendantes locales et internationales, en plus de diriger le fanzine et de produire ses Kabaret. Après un court passage aux Foufounes électriques, il déménagea dans le Local de la SOPREF, rue Ontario, continua à produire ses spectacles au Jailhouse, au Cabaret ou à L’X, mit sur pied (en association avec l’étiquette de disques Indica) deux labels dédiés aux productions locales (L’Empire Kerozen et Hydrophonik), et commença à avoir des idées de grandeur. Maintenant entouré d’ue équipe solide, doté d’un lieu plus adéquat (qu’ils investiront en septembre, au coin de l’avenue du Mont-Royal et de l’avenue Coloniale) et d’un catalogue de groupes de plus en plus garni (Les Cowboys fringants, Les Morts, Dr. Placebo, ArseniQ33, Cynical Czardas, Cavaliers noirs, Les Abdigradationnistes…), Pat K peut maintenant espérer avoir les moyens de ses ambitions, qui sont sans limites. «Le but ultime de Kerozen, c’est de montrer que la scène locale, c’est viable financièrement. Je ne dis pas que tous ceux qui y participent vont pouvoir s’acheter la dernière BMW; mais l’idée, c’est d’arrêter de payer pour pouvoir jouer de la musique, et jusqu’à maintenant, ça fonctionne. On n’a pas monté Kerozen pour faire de l’argent, ça c’est sûr; mais tous ceux qui travaillent sur les différents projets, y compris les groupes, sont payés. D’ailleurs, je me retrouve souvent avec moins vingt piasses dans mes poches après avoir travaillé 90 heures par semaine; et, pendant un an, j’ai mis mes chèques de chômage dans Kerozen… Je le fais parce que j’aime ça. En fait, Kerozen, c’est pour remplacer la famille que je n’ai pas; tous ceux qui travaillent pour L’Empire, je les aime d’amour, je m’intéresse à ce qui se passe dans leur vie, j’organise des partys et des games de balle molle pour stimuler l’esprit de famille.» Pat K rêve maintenant d’être propriétaire d’une bâtisse qui leur permettrait d’y aménager la boutique, un studio d’enregistrement, un local de sérigraphie pour la production d’affiches, de t-shirts et autres articles promotionnels, des locaux de répétition, et une salle de spectacle. Mais pour l’instant, c’est le Kabaret Kerozen qui requiert toute son attention.
Starmaniaque!
Pour quiconque a déjà assisté à l’un ou l’autre de la vingtaine de Kabaret qui ont eu lieu ces trois dernières années, il est clair que cette ultime édition au Spectrum sera certainement explosive et mémorable. On y proposera rien de moins qu’une rétrospective (en chansons, feux d’artifice, costumes, scratch vidéo et craheurs de feu) d’une quinzaine d’années d’activités musicales underground francophones, que l’on mettra en parallèle avec l’histoire du monde et que l’on épicera de réflexions irrévérencieuses sur la société actuelle. Ainsi, la formation ArseniQ33 (qui jouera le rôle central du house band) sera appuyée par des invités tels Alex Jones de WD-40, Vincent Peake de Groovy Aardvark, Xavier de Caféïne, Loco Locass, Les Abdigradationnistes, Bertrand de Dr. Placebo, DJ Pocket, Marco d’Anonymus, Khan Gourou, Marie-Annick des Cowboys fringants, Guillaume et Marie-Ève des Vulgaires Machins, Claudia de Cynical Czardas, Gweg et Farmer de Monsieur Toad et Sébastien Croteau de Necrotic Mutation, qui interpréteront, à leur corrosive façon, des «classiques» d’illustres formations qui ont marqué l’histoire parallèle de la scène locale (Vent du Mont Schärr, Les Mongols, Me Mom & Morgentaler, Les Secrétaires volantes, Les Biberons bâties, Deja Voodoo, Les Flokons Givrés, GrimSkunk, Les Rectums, et bien d’autres).
«Tout en étant rodé, explique Jean-François, saxophoniste d’ArseniQ33, ça va rester dans la grande tradition des Kabaret Kerozen avec son côté éclaté et ses surprises, que même nous on n’aura pas prévues! Il va falloir être là pour en témoigner: ceux qui vont manquer ça vont s’en vouloir…» «C’est clair que pour les Kabaret Kerozen, met en garde Pat K, on ne veut pas de grosses vedettes qui feraient en sorte qu’on ait l’impression que les autres groupes assurent leur première partie. C’est d’abord un trip collectif. C’est très important, parce qu’on essaie de faire en sorte que les groupes s’entraident. Par exemple, pour le Kabaret des Francos, on fait des mélanges et on utilise pratiquement tout le monde à contre-emploi, on leur fait faire des chansons des autres, et on laisse de la place pour la spontanéité. Ça va être un événement unique, nourri par un sentiment d’urgence, qui ne se reproduira probablement plus jamai.»
L’union fait la force
Pour Bertrand Boisvert, screamer de Dr. Placebo, qui a bien connu l’époque touchée par le Kabaret avec ses légendaires Flokons Givrés (un des premiers groupes à avoir fait du hardcore en français au Québec), la venue de l’équipe de Pat K dans le paysage underground québécois le dynamise passablement, lui faisant atteindre un peu le même genre de fébrilité qu’avait connue la scène au début des années 90 avec les compilations Lâchés lousses, entre autres. «À cette époque, y a pas un criss de média qui voulait voir ce qui se passait; aujourd’hui, c’est mieux avec les hebdos gratuits et les radios communautaires. Et avec Pat K qui se démène comme un fou pour rassembler tout le monde, ils n’ont plus le choix de rapporter ce qui se passe en ville. Ce qui est l’fun avec Kerozen, c’est que, pris séparément, les groupes n’ont peut-être pas l’envergure pour attirer autant de monde; alors que tous ensemble, ça devient possible. Moi, ça me stimule au boutte! J’ai l’impression d’être sur un gros bateau…»
«Ce qui manque au Québec, revendique Pat K, c’est une vraie industrie alternative comme celle que des étiquettes comme Alternative Tentacles, Epitaph ou Fat Wreck Chords ont réussi à développer aux États-Unis. Elles sont rendues tellement organisées et importantes qu’elles sont devenues incontournables. Moi, je ne connais personne qui écoute CKMF, CKOI ou Cité Rock-Détente. De toute façon, ce n’est pas ce monde-là que je veux aller chercher, parce qu’ils ne veulent que du prémâché qu’ils vont oublier un mois plus tard. Et des groupes comme GrimSkunk ou Groovy Aardvark ont prouvé qu’ils pouvaient attirer 10 000 personnes dans leurs shows sans passer à la radio. Ce que je veux faire avec Kerozen, c’est d’arriver à être tellement gros et à déplacer tellement d’air qu’on n’ait plus le choix d’en parler ou de le diffuser. Par exemple, c’est pas dit qu’on ne fera pas un festival extérieur l’été prochain; on va le faire, le Warped Tour, mais en français, et avec des groupes lcaux! Il faut se prouver qu’on est capables de se faire vivre tout seuls.»
En plus du Kabaret (baptisé pour l’occasion Spécial Loc-All-Stars FrancoFolies Experience!), l’équipe de Kerozen a été mandatée pour organiser le volet off des FrancoFolies, durant toute la durée du festival, à L’X, haut lieu de l’underground montréalais. Ainsi, une vingtaine de formations représentatives des différents courants de la scène musicale indépendante évolueront en parallèle avec des artistes «officiels» de la programmation en salle et extérieure, en commençant, le 27, avec le rock’n’roll des Morts, des Séquelles et des Breastfeeders; le 28, avec le hip-hop de Traumatures, Cavaliers noirs et La Réplik; le 29, avec le punk des Ordures ïoniques, Locos et Boulimik Foodfight; puis le 3 août, avec le rock alternatif de La Cage de bruits, Dilemme, Délirium Circus et Fakir Légo; le 4, avec le techno hardcore de Khan Gourou, HCMF et Kungfuckers; et le 5, avec une soirée ska-punk mettant en vedette Les Parias, Pénélope, Alaska et Capitaine Révolte. «Le volet off, termine Pat K, je le vois comme une ligue mineure des FrancoFolies. Éventuellement, plusieurs de ces groupes-là vont faire partie de la programmation officielle; et, si je peux m’entendre avec l’organisation, j’aimerais répéter l’expérience tous les ans.» Pas de doute, on n’est pas près de se débarrasser de L’Empire Kerozen… et c’est tant mieux!
Le 30 juillet, 23 h
Au Spectrum
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