Musique

Live à Montréal : BlackaliciousColdcut / HexstaticRichard H. Kirk

Blackalicious
Le 12 octobre au Club Soda

On attendait avec impatience la venue de Blackalicious pour découvrir la «face cachée» du hip-hop californien. Pas le son gansta rap de Dre, Snoop ou Mack 10, mais la concoction plus cérébrale du Quannum crew au goût des «back-packers». On aurait aussi voulu goûter aux rimes des élusifs Anti-Pop Consortium, partenaires de tournée de Blackalicious; mais ceux-ci se sont décommandés à pour une deuxième fois cette année. En première partie, une prestation bien sentie de Lifesavas, duo dont la vedette, Versatile (qui se joindra plus tard à Gift of Gab pour le set de Blackalicious), met de l’avant un style sing-jay à la jamaïcaine. Lifesavas a ainsi bien réchauffé la salle qui, tôt dans la soirée, démontrait déjà un désir évident de participation active, dont Blackalicious prendra avantage deux fois plutôt qu’une au cours de sa performance. Accompagnés de deux D.J., dont Chief Xcel, les trois rappers de la formation étoile américaine de l’étiquette Mo’Wax ont pompé les heads, les incitant à répondre à quelques phrases clés scandées régulièrement au cours de cette prestation du Club Med… pardon, Soda. Alors qu’il reprenait en grande partie le matériel de l’excellent album Nia, on a pu apprécier le style complexe de Gift of Gab sur des rythmiques old-school comme celles de Cliff Hanger ou The Fabulous Ones. On l’a senti relaxer pour les tounes de party comme Deception. D’ailleurs, vers le milieu du spectacle, le groupe offrira un clin d’oeil à Sugarhill Gang avec une chanson évoquant vaguement le classique Rappers Delight, suivie d’une composition dont la rythmique rappelait assez précisément The Message de Grandmaster Flash. Le courant a assurément passé lors de notre premier rendez-vous avec Blackalicious: pas besoin de jouer au gangster ou de se prendre la tête pour s’amuser avec eux… (Richard Lafrance)

Coldcut / Hexstatic
Les 12 et 14 octobreau Media Lounge
Le plan de match, c’était d’aller voir les performances respectives des duos Coldcut et Hexstatic, et de faire ressortir les parallèles et divergences de leurs propositions multimédias. Comme Hexstatic a longtemps tenu le rôle de scratcheurs visuels pour les performances de Coldcut, et que ces derniers ont pu profiter de l’expertise de leurs compatriotes pour la réalisation de la trilogie Natural Rhythms (dont faisait partie l’impressionnant vidéo Timber), il fallait nécessairement s’attendre à une certaine similarité entre les deux performances. Les différentes méthodes d’illustrations visuelles en furent une notable; qu’il s’agisse d’échantillonnages son/image en temps réel, de jams visuels improvisés ou de séquences infographiques animées, il était évident que les deux duos étaient allés à la même école: la leur. Cependant, le contenu politique, social et environnemental était beaucoup plus présent dans la performance de Coldcut (allant même jusqu’à diffuser une pub officielle de Greenpeace entre deux morceaux), alors que pour Hexstatic, c’était surtout l’aspect ludique et l’énergie funky qui étaient de mise.
Une ambiance davantage portée vers la fête a rendu la performance d’Hexstatic légèrement plus sympathique; quoique, à la décharge de Coldcut, il faut dire que le spectacle auquel on a assisté était celui donné lors de la soirée d’ouverture du FCMM, avec une foule davantage venue pour être vue que pour regarder et se laisser aller aux manipulations frénétiques des maîtres du genre. Si la première heure de la performance de Coldcut reprenait en substance ce qu’ils nous avaient présenté au Medley, trois ans plus tôt, la dernière demi-heure nous aura permis d’entendre plusieurs nouveaux morceaux aux accents funky, disco et latins. Bref, davantage de substance visuelle et sonore du côté de Coldcut, et maximisation du potentiel multimédia et du plaisir pur chez Hexstatic. Après de telles démonstrations, les simples performances de D.J. jouant tête baissée dans l’ombre nous paraîtron bien ternes… (Eric Parazelli)

Richard H. Kirk
Le 15 octobre au Media Lounge
C’est peu de le dire, mais on attendait beaucoup de la performance de l’ex-Cabaret Voltaire Richard H. Kirk, que nous annoncions nous-mêmes comme l’un des incontournables du Media Lounge édition 2000. Pionnier incontestable de l’avant-garde électronique, le musicien britannique en avait lourd sur les épaules; et s’il a séduit nos oreilles, ce sont nos yeux qui furent déçus. Contrairement à la performance de Coldcut, où l’on observait une parfaite adéquation entre les aspects visuel et sonore, le concert de Kirk nous a offert des projections plutôt banales, dont le rythme effréné (voir nauséeux) n’avait que très peu de liens avec les beats très variés qui sortaient de ses machines. Le repiquage d’images télévisuelles (datant ici presque toutes des années 70 et 80) est une pratique courante dans le monde de l’électronique, et Kirk n’a pas évité les clichés du genre. En montrant en alternance ou en palimpseste des clips de nature politique (Fidel Castro a eu droit à plus que ses quinze minutes de gloire), du divertissement bon marché, et de simples images de la vie de tous les jours, Kirk voulait mettre en relief la surmédiatisation de notre société moderne. Le serpent de la critique médiatique acheva de se bouffer la queue lorsque, en fin de parcours, l’autoportrait d’Andy Warhol est apparu à l’écran. Rien de bien neuf là-dedans; et c’est dommage, car au bout du compte, cet assaut visuel a fini par nous détourner du véritable intérêt de cette soirée: la musique. De ce côté, on peut dire que Kirk s’est montré beaucoup plus convaincant, construisant un ensemble cohérent à partir de motifs rythmiques disparates. On a bénéficié d’un véritable crescendo où se sont succédé des beats qui empruntaient au techno, au break-beat et au drum’n’bass, ponctués des habituels échantillonnages de voix (pas toujours audibles). On a surtout apprécié ces quelques détours vers le dub et goûté chaque instant de cette conclusio, résolument bruitiste, exploitant les expérimentations de son album Loop Static. Les yeux grands fermés, on aurait eu droit à un très bon concert. (Nicolas Tittley)