Marie-Jo Thério : Récolte de rêves
Musique

Marie-Jo Thério : Récolte de rêves

Marie-Jo Thério habite un bien drôle d’univers, fait de contes fantastiques peuplés d’étranges animaux et de plantes magnifiques. Cette semaine, au Corona, la chanteuse s’apprête à faire la récolte de son Arbre à fruits et invite le public à y mordre à belles dents.

Sa technique n’est pas trop savante; ses sujets ne sont pas trop faciles; son art ne s’appuie pas sur des recettes. Pourtant, elle dessine avec la même minutie l’humanité, toujours en équilibre précaire et conflictuel. L’art, chez Marie-Jo Thério, se joue dans le corps-à-corps avec le sensible. Elle surfe sur l’écume des choses. Fabrique son réalisme avec une poignée d’accessoires. Vous avez écouté La Maline, lancé en mars dernier? C’est exactement ça. Un arbre à fruits, une lune, un oiseau qu’elle transforme en musiques tendres et en paroles naïves. Les tréfonds du coeur.

Marie-Jo Thério est donc adepte d’une chanson qui veille à regarder ses personnages au fond des yeux. Parfois même, elle établit le constat de leurs illusions perdues. Il n’y a pas de morceaux de bravoure dans ses histoires simples. Juste des émotions, des sentiments et beaucoup de non-dit. Comme dans la vie. Quelques pointes d’humour se nichent également au coeur de ses chroniques impudiques: deux délires, Where’s the Indonesian Woman? et Another Love Song About Paris (échange complice avec Jim Corcoran); deux intermèdes qui agissent en contrepoint à la douceur inhérente des chansons du disque.

Ce que Marie-Jo Thério a réussi avec La Maline? Donner vie aux paroles avec émotion sans jamais tomber dans l’alambiqué. Avec ce soupçon indispensable de dramaturgie mesurée. Pourtant, elle est gentille tout plein, Marie-Jo: jamais un mot de trop, jamais une note sale: on aimerait l’avoir pour infirmière.

On voudrait simplement la qualifier d’humaine, mais une étiquette lui colle à la peau: elle est "l’Acadienne du Nouveau-Brunswick". "Moi je pense que c’est très limitatif de se greffer à ça, et de définir ce qu’on fait par rapport à d’où l’on vient, dit-elle. J’ai une affection profonde et viscérale pour l’Acadie, mais ce que je fais n’a AUCUN rapport avec elle. Quand on me fait le parallèle ici, j’ai le goût de répondre: "Stie! Écoutez les chansons!" En Europe, on ne passe pas son temps à dire Marie-Jo l’Acadienne. Je n’ai jamais cherché à représenter un peuple. Le mot "fierté" est un mot agaçant: on est né quelque part, pis on évolue."

"Pour moi, le rôle de l’artiste, ce n’est pas d’être cette petite chose prévisible et ordonnée et de faire toujours les choix de la simplicité. Non. Je pense plutôt qu’il faut embrasser les territoires inconnus. Les artistes que j’admire ne sont pas des gens simples. On devient soi-même un personnage conforme aux explorations qu’on fait. Moi, je veux être défricheuse de quelque chose."

Et La Maline? "On a parlé d’une grande tempête, d’un grand remous, d’une tragédie qui emportait les pêcheurs dans les bas-fonds. Mais moi, j’ai ma propre définition: la lune, c’est mon prétexte, je l’ai personnifiée, au même titre que l’Arbre à fruits et L’Oiseau du paradis (co-écrite avec Zachary Richard). Je voulais qu’au fil de l’album s’installe une récurrence un peu rassurante. Ces choses-là peuvent nous faire faire un voyage fabuleux. Mais on est loin du rationnel! J’ai appelé l’album La Maline, mais sur le coup c’était très innocent et très naïf." Mais tout n’est pas d’égal intérêt. Bien qu’il y ait aussi une volonté générale à revenir à des choses perturbantes, cette dramaturgie un peu lénifiante va son chemin sans nervosité. À sa décharge, avec ses histoires, le titre de l’album n’est pas usurpé.

Et les trois soirs au Corona? L’accouchement devant public? "Dans les derniers shows que j’ai faits, je suis allée au bout de l’épuration; mais alors, complètement! Je me suis retrouvée; un désir de liberté dominait, quelque chose de très permissif, mais il y avait aussi un élément plus banal: je voulais que les gens me considèrent comme une musicienne qui peut s’autosuffire. Il y avait comme une petite barque qui voulait naviguer dans les grandes eaux. Ensuite, il y a eu La Maline, qui était en soi un exercice d’une très grande intimité dans la façon de travailler. Déjà, je voyais un spectacle très dépouillé, dans une petite salle. Mais depuis sa sortie en mars, on (les musiciens) a pris une certaine distance par rapport au disque et l’envie d’élargir son univers a prévalu. Il ne s’agissait pas de faire face au gouffre mais plutôt de faire face à La Maline pour, au bout du compte, en extraire un arbre à fruits. Mais il y a aussi toute cette espèce d’humour à Marie-Jo, toute cette folie douce que je me suis un peu réappropriée. C’est important d’aller porter La Maline à la scène. De faire le tour de cet astre imaginaire. De faire le wrap-up, jusqu’au bout. Est-ce que le spectateur va rester stérile et insatisfait devant cette chose? Ah! j’espère que non!"
On en doute, surtout que s’agiteront à ses côtés: le guitariste Bernard Falaise, qui provient du milieu de la musique actuelle; le contrebassiste, joueur de Dobro et autres lutheries de racines Erik West; Michel F. Côté qui rajoutera des petites bribes sonores de son cru, qu’elles soient électroniques ou percussives; et quelques autres invités, dont le batteur Rémi Leclerc et le contrebassiste jazz Tommy Babin.

Les 25, 27 et 28 octobre
Au Théâtre Corona
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