SuperMicMac : Histoire de filles
Musique

SuperMicMac : Histoire de filles

Du 25 octobre au 15 novembre, l’événement SuperMicMac soulignera l’apport des femmes à la création musicale canadienne des cent dernières années. Entre La Bolduc et DJ Maüs, ce sont des dizaines d’improvisatrices, d’électroacousticiennes et de compositrices audacieuses qui feront entendre leurs voix.

La semaine dernière, elles étaient des centaines de milliers à marcher dans le monde entier pour crier haut et fort leur différence et leurs revendications. Du 25 octobre au 15 novembre, les femmes feront à nouveau du bruit, beaucoup de bruit, lors de l’événement SuperMicMac, consacré aux musiciennes et compositrices ayant marqué le siècle au Canada. Actuelles, électroacoustiques, improvisées, osées : toutes les musiques de création et d’innovation seront mises en lumière. Bref, c’est l’avant-garde sous toutes ses formes qui trouvera une vitrine de choix, avec, exceptionnellement, un nombre impressionnant de femmes à l’avant-scène.

Pour la directrice de ce grand pow-wow, Danielle Palardy Roger, ces trois semaines d’activités représentent le couronnement de deux décennies de travail. Percussionniste férue d’improvisation, compositrice et grande organisatrice, elle est une infatigable championne des musiques nouvelles. Lorsqu’elle a fondé les Productions SuperMémé à la fin des années soixante-dix, en compagnie de ses consoeurs Joane Hétu et Diane Labrosse, Danielle cherchait non seulement à faire entendre la musique de leur groupe, Wondeur Brass, mais aussi à promouvoir une musique de création, non commerciale, en mettant l’accent sur la production des femmes. Nous en étions alors aux premiers balbutiements de la fameuse scène de la musique dite actuelle, et de l’étiquette Ambiances Magnétiques. «Il fallait qu’on fonde notre maison de production simplement pour booker nos propres spectacles. À l’époque, c’était un choc de voir un groupe de filles débarquer comme ça; c’était déjà assez déroutant pour les gens de faire face à des musiques aussi libres et ça ajoutait un élément déstabilisant.»

Au fil des ans, SuperMémé fera son nid et présentera des événements d’envergure, comme le Festival international des musiciennes innovatrices ou Les Muses au Musée, mais rien toutefois qui arrive à la cheville de ce SuperMicMac. Profitant de la folie des rétrospectives entourant l’arrivée du nouveau millnaire (et des subventions qui s’y rattachent), Danielle P. Roger est allée frapper à la porte des subventionnaires pour célébrer le millénaire au féminin. Partout, on l’a accueillie à bras ouverts («Avec un timing comme celui-là, ils ne pouvaient pas refuser!» lance-t-elle). Deux ans après les premières ébauches, le projet voit enfin le jour.

Le nom de l’événement, en apparence innocent, est en fait un judicieux acronyme: Mic, comme dans «musiciennes innovatrices canadiennes»; et Mac comme dans «musiques actuelles et contemporaines». «C’est pourquoi on ne touche pas à certains genres tels le rock ou même le jazz, qu’on effleure à peine. Je voulais des musiques non commerciales, des musiques de création. C’est la raison pour laquelle la plupart des oeuvres sont postérieures aux années soixante, alors que commence vraiment l’exploration sonore au Canada.»

Women’s Lib?
Présenté quelques semaines de la Marche mondiale des femmes, on pourrait supposer que le SuperMicMac revêt un caractère éminemment politique, voire revendicateur. Mais Danielle Palardy Roger tient à préciser qu’il s’agit d’abord d’une célébration et non d’une occasion de manifester. «Je n’ai pas organisé cet événement pour revendiquer quoi que ce soit, mais pour rendre un hommage aux femmes et à la musique que j’aime. Je ne me sens plus habitée par cet esprit de revendication que j’ai vécu autrefois. Pour moi, SuperMicMac c’est comme un passage de témoin, une célébration pour se souvenir de ces fonceuses qui nous ont ouvert la voie, et pour reconnaître l’importance de celles qui travaillent aujourd’hui pour les générations à venir. Ce n’est pas un ghetto; je ne veux pas en faire un événement récurrent; il s’agit simplement de braquer le projecteur et souligner le fait que les oeuvres de compositrices sont souvent ignorées.»

Mais si l’heure n’est plus à la provocation et à la revendication, est-ce à dire que le combat est presque gagné? «Aujourd’hui, on est reconnues en tant que compositrices et, plus important encore, n tant qu’innovatrices. Au sein d’Ambiances Magnétiques, il y a toujours eu un esprit égalitaire; mais il y a encore du chemin à faire. Le seul fait qu’on doive organiser un événement comme SuperMicMac prouve à quel point la présence des femmes en musique est encore rare. Regarde la programmation de l’OSM: ils organisent une série nouvelle, présentée dans le cadre du MicMac, avec Lorraine Vaillancourt comme chef, et ils ne présentent pas une seule oeuvre composée par une femme!»

Même si l’on a quelques scrupules à la poser, on ne peut éviter la grande question que soulève forcément la tenue d’un tel événement: «Existe-t-il une musique typiquement féminine?» Danielle hésite un instant, un peu lasse d’avoir à répondre à nouveau à cette question qui semble tellement évidente mais qui peut en même temps s’avérer un problème insondable. «On parle bien de la musique noire, de la musique arabe ou indienne, pourquoi n’existerait-il pas une musique de femmes? À partir du moment où l’on reconnaît que les femmes sont différentes des hommes, qu’elles forment, en quelque sorte, un groupe culturel distinct, pourquoi n’auraient-elles pas un son propre? C’est la même chose pour le cinéma: je ne sais pas s’il y a un cinéma de femmes, mais je pense que des réalisatrices comme Agnès Varda ont certainement apporté des traits féminins à leur oeuvre, une certaine intériorité peut-être. Mais, au bout du compte, ce n’est pas sectaire: c’est de la musique et c’est pour tout le monde!»

Pour tenter de répondre à cette épineuse question, le SuperMicMac prop0se une exposition intitulée Portraits des pionnières d’hier à aujourd’hui, dans le Corridor des pas perdus de la Place des Arts. Aux visiteurs de se faire une idée.

Mary Travers, SuperMémé
Ce n’est pas par hasard que cette célébration de la musique au féminin s’ouvre sur un hommage à la grande turluteuse Mary Travers, alias La Bolduc. D’une part, bien qu’elle ait eu une portée universelle, l’oeuvre de La Bolduc est intrinsèquement féminine: «En effet, seuleune femme pouvait faire ce qu’elle a fait», souligne Danielle. Mais il s’agit également d’une pionnière à bien des niveaux, et son exemple de ténacité est encore tout aussi valable aujourd’hui. «C’est un personnage inspirant pour toutes les musiciennes; cette femme, c’est un monument; c’est notre Oum Khalsoum à nous! Tout le monde connaît la Bolduc comme chanteuse; mais peu de gens parlent du fait qu’elle était aussi sa propre auteure-compositrice. C’était également une femme d’affaires, qui organisait ses tournées, s’occupait de ses contrats de disques, etc. Elle faisait tout; en fait, c’était la première SuperMémé!»

L’idée de consacrer un hommage à cette grande dame de la chanson populaire est de Diane Labrosse, la spécialiste ès échantillonnages de la bande SuperMémé. Labrosse a approché sept compositrices (dont Lee Pui Ming, Joane Hétu, Lori Freedman et Danielle Roger elle-même); leur demandant de réarranger des chansons du répertoire de La Bolduc. «Pour nous, c’était tout naturel, explique Danielle, qui ne jouera toutefois pas son arrangement. Contrairement à la musique contemporaine, la musique actuelle s’est toujours inspirée des traditions populaires.»

Des héritières de Mary Travers aux adeptes de la musique sur bande, en passant par les chants de gorge inuits et l’expérimentation électronique, SuperMicMac ratisse large. Une place considérable est faite aux musiques contemporaine et électroacoustique (voir le texte de notre collègue Serge Camirand ci-contre); mais toutes les formes de musiques vivantes y seront représentées. Le Vancouver Improvising Ensemble of Women (VIEW), qu’on a déjà pu apercevoir au Festival de Jazz, fait partie des concerts dignes de mention, tout comme la soirée des grandes exploratrices, où l’on pourra observer, entre autres, les étranges manipulations – très physiques – d’objets métalliques et de guitare préparée de Magali Babin et les explorations vocales de Joane Hétu, qui soufflera aussi dans son instrument de prédilection, le saxophone. Et on s’en voudrait d’oulier la soirée du 7 novembre, aux installations pour ordinateurs et objets.

Quant aux «Djettes», qui abondent à Montréal, elles seront également fort bien représentées : vous pourrez goûter aux talents de quatre d’entre elles (Maüs, Krista, Mighty Kat et Soul Sista) lors de 5 à 7 présentés au Laïka. «Pour moi, c’était fondamental de souligner leur présence, parce qu’elles sont les artistes de la nouvelle lutherie, explique Danielle. L’approche de la musique est en train de se transformer radicalement par l’entremise des D.J. et l’on ne pouvait ignorer ce courant dans un événement consacré aux nouvelles musiques.»

Il y a une femme que vous ne verrez pas sur scène, toutefois, et c’est Danielle P. Roger. «J’ai décidé de ne pas jouer pour me consacrer entièrement à l’organisation. C’est une entreprise énorme, mais je suis très sereine par rapport à ce choix. Je travaille à ce projet depuis deux ans et je ne voulais pas faire un événement portant uniquement sur la musique actuelle. Je voulais quelque chose de rassembleur, un peu dans la lignée de la Symphonie du Millénaire. Pour moi, c’est un événement de développement, qui va au-delà de l’aspect féminin. Les oeuvres des femmes ne sont pas assez jouées, c’est vrai; mais c’est le problème de la plupart des musiques de création. Je suis persuadée que si les gens ont accès à ces musiques, ils découvriront quelque chose qui risque les toucher.»

Du 25 octobre au 15 novembre
Au MAC, au Théâtre La Chapelle, à la salle Pierre-Mercure, au Laïka, etc.

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Suivez la guide

La rétrospective SuperMicMac comprend tout un volet de musique contemporaine composée, interprétée et dirigée par des musiciennes. Ainsi, le 29 octobre, au Musée d’art contemporain (MAC) de Montréal, le concert ECM relève-ContemporElles nous donnera la chance d’entendre, sous la direction de Véronique Lacroix, des oeuvres de compositrices âgées de 30 à40 ans, soit Rose Bolton, Emily Doolittle, Suzanne Hébert-Tremblay, Ana Sokolic et Estelle Lemire (qui, pour la création de son oeuvre, sera aussi aux ondes Martenot avec Geneviève Grenier). Le lendemain, 30 octobre, à la maison de la culture Frontenac, dans le cadre des Lundis d’Edgar, Christine Lemelin nous offrira un récital commenté composé des coups de coeur de la pionnière Eva Gauthier. Au programme: Poulenc, Ravel, Gershwin, Stravinski. Le 2 novembre, au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, pour lancer la série L’OSM au présent, l’Orchestre symphonique de Montréal sera placé sous la direction de Lorraine Vaillancourt, avec la participation de la soprano Louise Marcotte, dans un programme ne comportant bizarrement que des pièces de compositeurs mâles, à savoir: Michel Longtin, Philippe Boesmans, Michael Oesterle et George Benjamin. Le 3 novembre, au MAC, une partie de la soirée Des solistes exceptionnelles est réservée à Rivka Golani, altiste réputée, dans des oeuvres d’Anne Lauber, Ann Southam et Sara Scott Turner. Le lendemain, 4 novembre, toujours au MAC, la soirée Les grandes exploratrices nous donnera entre autres l’occasion d’entendre Gayle Young à l’amaranth, instrument de son invention, en trio avec Anne Bourne au violoncelle et à la voix, et Angelique van Berlo à l’accordéon à basses chromatiques. On retrouvera Lorraine Vaillancourt, le 5 novembre, encore au MAC, à la tête d’abord de l’Atelier de musique contemporaine de l’Université de Montréal dans des pièces de Michelle Boudreau, Micheline Coulombe Saint-Marcoux (grande pionnière trop tôt disparue), Chantale Laplante et Alexina Louie, et ensuite du Nouvel Ensemble Moderne dans une oeuvre d’Isabelle Panneton. Le 8 novembre, le Quatuor Claudel, entièrement féminin pour ceux qui ne le sauraient pas, nous invite à la salle Pierre-Mercure pour l’audition de l’unique composition pour quatuor à cordes de Micheline Coulombe Saint-Marcoux, ainsi que d’oeuvres des Canadiennes Kelly-Mare Murphy et Linda Catlin Smith, mais aussi de la Russe Sofia Goubaïdoulina et de l’Américaine Ellen Taaffe Zwilich. Enfin, du 9 au 12 novembre, l’Ensemble de la SMCQ et quatre chanteurs dirigés par Walter Boudreau nous présentent au Théâtre La Chapelle, dans une mise en scène de France Castel, une pièce de théâtre musical de Marie Pelletier intitulée Talk-Show/Han n 17, où les figures de Don Juan et de Carmen s’affronteront.

N’oublions pas qu’au cours du SuperMicMac, du 25 octobre au 12 novembre, dans le Corridor des pas perdus, à la Place des Arts, se tiendra l’exposition Portraits des pionnières d’hier à aujourd’hui, montée sous la direction de Mireille Gagné, et que le 1er novembre, à la Chapelle historique du Bon-Pasteur, Marie-Thérèse Lefebvre donnera une conférence sur ce thème prometteur: La face cachée de l’histoire des femmes dans le milieu musical montréalais. (Serge Camirand)

La compositrice Marie Pelletier présente son théâtre musical
Talk-Show/Han 17 au Théâtre La Chapelle