Musique

Live à Montréal : MobyIsabelle BoulayCMJ MarathonAt the Drive-In, Murder City Devils, International Noise Conspiracy

Moby
Le 17 octobre au Métropolis

Moby l’avait lui-même avoué en entrevue, son dernier passage au Stade olympique, dans le cadre de l’événement Cream, en 1999, a été un désastre; il comptait bien se reprendre lors de son spectacle à guichets fermés au Métropolis, mardi dernier. Sur le plan de l’ambiance générale, de la sonorisation et des éclairages, aucun doute possible, tout était de meilleur calibre. Le choix des chansons était aussi beaucoup plus représentatif de son vaste et éclectique répertoire; dans un contexte de méga-rave, Moby avait volontairement laissé en plan les morceaux plus tranquilles pour se concentrer sur les pièces plus propices au délire dansant. Cette fois, presque toutes les chansons de Play y sont passées, et les vieilles voix échantillonnées retrouvaient une seconde vie grâce au magnifique appareil vocal d’une choriste black bien en chair.

Si Moby est manifestement un entertainer-né; si sa musique possède cette précieuse qualité d’être unanimement appréciée; et si l’on ne peut remettre en question son rôle de vulgarisateur et de fusionneur des musiques électroniques, on pouvait cependant remarquer que ses morceaux plus anciens comme Go, Move ou Feeling so Real commencent à prendre quelques rides, et que son choix d’interpréter platement The End, des Doors, au beau milieu du concert, était pour le moins discutable. On pouvait également émettre des doutes sur le pourcentage de musique préenregistrée lors du concert et sur la spontanéité un peu usée d’un groupe ayant tourné sans arrêt depuis les dix-huit derniers mois. Mais la foule, elle, n’allait pas se laisser gâcher le plaisir de célébrer le petit homme qui lui a donné autant de plaisir. Et comme elle lui a pardonné de vendre sa musique à n’importe quelle agence de publicité ou à n’importe quel producteur de films, elle n’allait certainement pas commencer à rechigner pour si peu… (Eric Parazelli)

Isabelle Boulay
Le 18 octobre au Théâtre Saint-Denis

Dispositif scénique imposant pour la première d’Isabelle Boulay, qui présentait mercredi dernier au chic Théâtre Saint-Denis l’essentiel de Mieux qu’ici bas, son plus récent disque. Tranquillement, on assiste à l’ascension irrésistible de la Gaspésienne, placide rouquine qui a tout d’attachant. On le sait, Boulay s’apprête à réaliser un vieux rêve: se produire à l’Olympia (de Paris, s’entend). Avec les impératifs du marché parisien, la mise en scène est un élément essentiel. Mais si essentiel que ça? L’ascension populaire de Boulay est telle que l’on a cru bon de décupler l’ampleur du spectacle. D’où ma confusion: pourquoi cette mise en scène digne de Bercy ou du Zénith? Isabelle Boulay, qui incarne le romantisme et la douceur d’une "certaine" chanson, semblait vivre une crise d’identité. Est-ce ça, la "progression logique" des choses? Vrai que, côté musiciens, même si la musique était plutôt variétoche, il y avait au moins deux bonnes raisons de regarder ailleurs: Christian Péloquin, directeur musical, a bien tenté d’injecter un peu de racines dans ce mélo urbain. Il a fait du mieux qu’il a pu avec le complaisant répertoire de la belle. Et il y avait Jason Lang, fils de Penny et guitariste d’Amanda Marshall. Côté guitares, donc, pas de problème. Mais au-delà du contenant, il y a le contenu. Et cette tentative de son gérant Josélito, la véritable star de l’opération, d’en donner généreusement sur le plan visuel ne fait que masquer la réalité: les chansons d’Isabelle Boulay sont d’un ennui ronflant. On ressent la pesante sensation du déjà-vu-à-la-télé. On est tristement trimballé d’une pièce à l’autre. Le convenu prend le dessus sur l’imprévisible. L’actualité sur l’actuel. Peut-être que Patrick Bruel, Sylvain Michel et Serge Lama ne sont pas de si grands paroliers. Peut-être qu’Isabelle surévalue son répertoire. En première partie, l’ex-Moutons Noirs Jean-François Fortier aura, quant à lui, réussi à laisser une belle impression. (Claude Côté)

CMJ Marathon
Du 19 au 22 octobre, New York

La fin de semaine dernière, tout New York n’avait d’yeux et d’oreilles que pour la première finale Yankees/Mets en trente ans (en passant, il semble que les Yankees devraient facilement emporter cette série). Mais la ville était aussi envahie par le College Music Journal Marathon, rassemblement annuel des intervenants en musique "alternative" qui se retrouvent quatre jours durant pour découvrir de nouveaux sons et brasser quelques nouvelles idées. Au coeur de ce festival, les prestations de près de mille ( !) artistes de tout acabit. Le CMJ présente aussi des conférences et, pour la première fois cette année, des films portant sur la musique. Après quinze performances live, une nuit à l’afterhours Twilo, un exposé, et un demi-film en trois jours, voici quelques impressions d’une fin de semaine bien remplie.

C’est l’hôtel Hilton qui accueillait les conférenciers du CMJ, dans une ambiance (et souvent un accoutrement) aux antipodes de son habituel style chic et guindé. Les conférences rassemblaient par ailleurs de réels amateurs, prêts à discuter de thèmes pointus et à s’investir dans leur passion: l’avenir de la musique électronique indépendante, les particularités des radios sur Internet, le déclin du country-rock par exemple furent débattus en long et en large. Très tendance, comme partout en Occident, les incidences – tant pratiques qu’éthiques – d’Internet auront dominé les discussions. Deux grands sujets à l’ordre du jour: les particularités de son utilisation et l’importance d’arrêter les soi-disant "ravages" des MP3 (qui semblent beaucoup préoccuper les intervenants du milieu américain).

Axée sur la découverte, la formule d’un tel événement peut aussi s’avérer frustrante: regroupées sous forme de showcases organisés par des étiquettes de disques, les prestations durent généralement moins d’une heure. Malgré tout, l’ambiance est souvent à la fête, et plusieurs moments forts méritent d’être soulignés. Avec un breakbeat flirtant avec le drum’n’bass, les D.J. Ming & FS ont su enivrer la foule par des scratchs mélodiques et des mix radieux lors de la soirée Om Records. La performance particulièrement émouvante du groupe rock/électronique Broadcast (à ne pas manquer à Montréal le 12 novembre), soutenue par un batteur virtuose, a reflété des ambiances passionnément lourdes. D’autre part, la pop garage des filles du Tigre nous a permis de renouer de très belle façon avec un genre oublié, mais très engagé et énergique. Enfin, toujours sous les couleurs du house live, la prestation plus mûre et diversifiée que jamais de "Rinôçérôse" a fait lever d’un même souffle l’ensemble de l’Irving Plaza.

Les rappeurs d’Anti Pop Consortium, malheureusement absents de l’étape montréalaise de la tournée de Blackalicious, ont livré une performance étrange et obscure, qui a souffert d’une sono pourrie, un problème fréquent dans ce genre d’événements. David Holmes s’est quant à lui permis de lancer humblement son nouvel album dans le très Gino Centro-Fly, tandis que le groupe Live Human arpentait habilement les limites de la musique live expérimentale lors de la très sympathique soirée de Matador. Quelques rares performances exceptionnelles, donc, car, globalement, le calibre de l’ensemble des prestations proposées lors de cette vingtième édition du CMJ est resté en deçà des attentes. (Étienne Côté-Paluck)

At the Drive-In, Murder City Devils, International Noise Conspiracy,
Le 23 octobre au Club Soda

Le rock est-il soluble dans le Club Soda? On pouvait se le demander en ce lundi soir, alors que les groupes At the Drive-In, Murder City Devils et International Noise Conspiracy auraient dû nous offrir l’une des soirées les plus enlevantes de l’année. Malgré ses qualités, la salle toute neuve du boulevard Saint-Laurent est capable d’absorber l’énergie d’un groupe avec la voracité d’un trou noir. D’une part, les basses y sont parfois cruellement absentes (c’était le cas ce soir-là); d’autre part, un étrange effet de vide se fait rapidement sentir si la salle n’est pas complètement pleine. Peut-être était-ce simplement la faute du public, tout simplement amorphe? Allez savoir….

Le concert d’International Noise Conspiracy, que nous avons malheureusement manqué, semblait avoir ravi quelques spectateurs; mais le niveau d’enthousiasme a vite chuté avec l’apparition des Murder City Devils, à qui l’on voue pourtant une certaine affection, bien qu’ils ne révolutionnent rien avec leur rock carré. On a beau se plaindre régulièrement de l’acoustique d’un endroit comme le Jailhouse, le show que les MCD y ont donné l’an dernier était cent fois supérieur, plein de sueur et de décibels. Il faut dire que la foule du Soda s’est montrée particulièrement froide à leur endroit, et les choses ne se sont pas améliorées lorsque la chanteur a lancé avec dérision: "Même les "vrais" Français sont plus excitants que vous." L’atmosphère était tellement lourde qu’avant d’amorcer sa performance, Cedric, chanteur d’At the Drive-In, s’est senti obligé d’inviter les spectateurs à lâcher leur fou. Prêchant par l’exemple, le furieux frisé et ses acolytes (en particulier le guitariste Omar, croisement inhumain entre Slash et Pete Townshend) se sont lancés dans une série de convulsions épileptiques. Lorsqu’il nous a balancé Arcarsenal, et son étrange refrain "Have you ever tasted skin? Sink your, sink your teeth in it!", c’est lui qui avait l’air prêt à nous mordre. Le groupe a exécuté avec aplomb la presque totalité de Relationship of Command, leur plus récent album, sans jamais laisser l’énergie baisser d’un cran. Des gars qui se donnent avec autant de ferveur, ça ne se voit pas tous les jours. À eux seuls, ils ont sauvé la soirée et, du même coup, la flamme du rock. (Nicolas Tittley)