

Projet Orange : Mines d’aériens
Un groupe de Québec se cherchait un nom afin de participer à un concours. Un de ses membres avait un manteau orangé. Sur la feuille d’inscription, tout au bout de la mention "Projet:", "orange" a donc été inscrit. Quatre années plus tard, les deux points sont tombés, un album est né et quatre simples occupent les ondes radio. Parcours du plus british des groupes québécois.
Nicolas Houle
Photo : Érick Labbé
Quand nous sommes arrivés dans le loft de notre photographe pour aller rejoindre les gars de Projet Orange, c’est avec surprise que nous avons constaté que seulement trois des cinq membres du groupe s’étaient déplacés pour la séance photo. Il peut arriver qu’un groupe délègue certains de ses membres pour les entrevues, mais pour les sessions photo, c’est moins commun. La séance s’est néanmoins poursuivie durant une vingtaine de minutes dans une atmosphère détendue. Le chanteur et guitariste Jean-Christophe Boies, à la coiffure éternellement changeante, ainsi que ses deux compères au look plus stable, les guitaristes Stéphane Langelier et Jean-Sébastien, prenaient toutes les poses inimaginables, tandis qu’on ne pouvait s’empêcher de s’interroger afin de savoir où étaient passés le bassiste Louis Lalancette et le batteur David Gendron. La séance photo terminée, quelques mots échangés avec Jean-Christophe sur la route menant au pub où nous avons fait l’entrevue lèvent le voile sur l’affaire: "Ils ont décidé de ne plus continuer avec nous. Ça ne se passe pas à la suite d’une mésentente, ils ont simplement décidé qu’ils n’étaient plus prêts à s’investir. Nous étions au courant avant d’entamer le mois de novembre, mais nous n’avions pas de raison de crier ça sur les toits. Ils poursuivent avec nous jusqu’à la fin de l’année."
Triviale poursuite
Projet Orange voit donc sa section rythmique plier bagage. Que vont faire les membres restants? Engager des musiciens au gré des spectacles ou recruter de nouveaux membres? Ils ne savent pas encore. Une chose est certaine cependant: l’aventure continue. Quand ils jettent un oeil à leurs quatre années d’existence, les trois comparses y voient la belle ascension de leur rock francophone aux allures britanniques, l’évolution de leur musique qu’on qualifie, à juste titre, d’aérienne et bien sûr leur travail continuel en vue de se tailler une place dans le milieu. Il y a eu la première tentative en vue de participer au défunt concours Pro-Scène en 1996, qui s’est soldée par un échec. Puis une seconde au même concours l’année suivante, qui les a menés à la finale où ils ont offert leur tout premier spectacle. La victoire en 1998, doublée d’une autre victoire pour le moins importante: le fameux concours l’Empire des futures stars.
Ce beau parcours les a menés à franchir la grande porte de la multinationale BMG. À passer six mois en studio et à faire paraître en juin dernier leur tout premier album, éponyme. Aujourd’hui, ils se retrouvent avec pas moins de quatre simples qui se bousculent sur les ondes radio: Mystère aérosol, qui date déjà de la fin du printemps, mais qui refuse de quitter les palmarès, La Pomme, qui tourne présentement sur toutes les radios ainsi qu’à MusiquePlus, Téléaddiction, que la station CHOI a préférée à La Pomme et, enfin, De héros à zéro, la chanson qu’ils ont enregistrée pour la campagne de sensibilisation de la SAAQ contre la vitesse au volant. Un bilan particulièrement reluisant donc, qui ne peut qu’encourager les trois membres restants à aller de l’avant et à explorer davantage toutes les possibilités que leur offre leur musique.
Le fruit du projet
Depuis que l’album est paru et que les simples tournent à la radio, on fait souvent remarquer, peut-être un peu trop, combien Projet Orange doit à Radiohead, comment son rock aérien est typiquement britannique. Même chez BMG, quand on a entendu la musique de la formation pour la première fois, on s’est dit qu’on tenait là un groupe britannique qui chante en français. "Il y a une éducation musicale à faire, croit Jean-Christophe. Les Québécois répondent d’une certaine façon à la musique, qui est celle de la peur de se retrouver seuls à assumer un choix qui pourrait être complètement légitime. On est victime du phénomène des comparaisons, mais tous les groupes sont confrontés à ça aujourd’hui. C’est sûr que Radiohead fait partie de nos références, mais notre musique est différente."
En marge de ses diverses influences, Projet Orange a su développer, tout au long de sa jeune carrière, une identité musicale qui lui est propre: une voix fluide et précise, des guitares solides sans pour autant être discordantes, des pièces aux structures souples ainsi qu’une poésie minimale et imagée. Un son très propre aussi, qu’on leur a parfois reproché et duquel le groupe prend peu à peu ses distances: "Les chansons qui se retrouvent sur l’album sont des chansons qui appartiennent vraiment aux débuts de Projet Orange, même avant l’Empire, explique Jean-Christophe. Et les plus récentes, il n’y en a pas beaucoup, ne prennent pas le dessus sur cette ambiance-là qui est plus propre ou même naïve. La pièce Jamais de mal, qui est plus lourde, a été la première chanson que l’on a composée quand Stéphane est arrivé, il y avait un renouveau. Probablement que si on avait attendu une année de plus, il y aurait eu davantage de pièces comme celle-là."
Si les toutes premières pièces de Projet Orange comme Air malin et La Pomme mûrissent bien, que la poésie de Jean-Christophe, éminemment métaphorique, laisse à l’auditeur l’espace nécessaire pour interpréter les chansons à sa guise, c’est tout de même du côté des pièces les plus récentes de Projet Orange qu’il faut jeter un oeil pour déterminer la direction que prend peu à peu le groupe. En ce sens, la pièce De héros à zéro, fraîchement écrite, est fort éclairante. C’est en se réunissant dans son local de répétition après avoir visionné les images-chocs du jeune Mathieu qui a péri en faisant du 200 km/h que le groupe a donné naissance à cette chanson qui, loin de la ballade morbide et des complaisances du tragique, illustre sur un rythme entraînant le danger des excès de vitesse. Aujourd’hui, cette pièce prend d’autant plus d’importance que pour le groupe, elle clôt un cycle: "Il y a peu de chansons que l’on a composées tout le groupe ensemble, fait noter Jean-Sébastien. Il y en a seulement deux sur l’album, et ça, c’est la troisième, c’est un peu ironique, mais ça fait la boucle."
De héros à zéro illustre bien le processus créatif de Projet Orange. Après que le groupe ait développé la musique à force d’improvisations, Jean-Christophe s’est retiré pour pondre le texte de son côté. "C’était la première fois qu’il fallait parler à un public cible, qui avait un âge précis et qui avait un genre d’activités précis. Ça m’a pris deux semaines et je me sentais moralisateur, je me disais qu’à 24 ans je n’avais pas le droit de dire des choses comme ça, car moi-même j’ai affaire à des pulsions, je suis victime d’adrénaline. Puis je me suis levé un matin et j’ai imaginé ce qu’aurait dit Mathieu s’il avait pu sortir de là et parler une dernière fois avant de partir. Ça me touchait plus de cette façon."
À en juger les sommes de courriels que Projet Orange a reçus sur son site, témoignages d’histoires d’horreur dues aux excès de vitesse ou remerciements, la chanson a atteint son but en disant les choses: "Ma leçon exemplaire en héritage/Je revois les autres derrière/L’auto qui accélère/Entre le frein et la mort/Il y a le chemin qui se referme/Et m’entraîne à la fin de mon règne/L’erreur devient de plus en plus claire/De héros à zéro."
De beaux lendemains
Un autre des éléments déterminants de la musique de Projet Orange est sans doute la structure de ses pièces où les refrains sont parfois absents, compensés par des lignes mélodiques fort accrocheuses, et où la durée des chansons se permet d’outrepasser les limites chères à l’industrie et aux radios. "On a déjà essayé de nous faire mettre un refrain dans Chute libre, se rappelle Jean-Sébastien. On a même essayé de travailler là-dessus et on s’est dit non, elle fonctionne bien comme ça. On sait très bien qu’il y a une industrie derrière tout ça, mais c’est quand même absurde de parler de canevas et de standards. On le fait, sauf que si tu écoutes une toune comme Seigneur de Kevin Parent – c’est sa plus grande toune selon moi – ça change quoi qu’il respecte pas la structure habituelle? Ça tourne sans cesse dans les radios."
"Est-ce qu’un tableau doit absolument faire 8 par 10 pour que l’on puisse le regarder?" ajoute Jean-Christophe. N’empêche que maintenant, dans la cour des grands avec son contrat à long terme de quatre albums, Projet Orange doit apprendre à partager ses créations avec sa compagnie de disques. Pour le groupe, c’est une autre façon de travailler, mais les gars parviennent à y trouver leur liberté. Ils se sont remis à l’écriture et ils ont plusieurs projets en tête dont des versions entièrement acoustiques de leurs pièces. "On a plein d’idées, mais on n’est plus tout seul à faire notre petit trip, explique Stéphane. Il y a quand même une compagnie de disques, une compagnie de gérance, il y a beaucoup de monde qui donne son opinion sur tout. Mais on vit bien avec ça. C’est nouveau, on s’adapte. À date ça va bien. Quand on a gagné l’Empire, on a eu plusieurs choix et on a pris le temps de choisir."
Le 20 décembre
Au Dagobert
Voir calendrier Rock & Pop