Vanessa Paradis : Vies publiques, vertus privées
Musique

Vanessa Paradis : Vies publiques, vertus privées

C’était au siècle dernier, en 1988 précisément. Une gamine d’à peine 14 ans poussée sur scène par une proche parenté rompue au show-business cassait la baraque avec une irrésistible bluette exotique…

C’était au siècle dernier, en 1988 précisément. Une gamine d’à peine 14 ans poussée sur scène par une proche parenté rompue au show-business cassait la baraque avec une irrésistible bluette exotique. Dans la foulée des Elsa et autres Charlotte, en quelques mois à peine, cette Lolita aux yeux noisette vendit 1 500 000 copies de l’histoire d’un chauffeur immigré, Joe le taxi. Le trente-trois qui suivit avait beau contenir quelques perles, dans l’Hexagone, bien au-delà de ses performances vocales, ce fut la sensualité ambiguë de la femme-enfant qui déchaîna subséquemment commentaires et passions. L’attitude, le déhanchement, la jupette à ras le bonbon, le rouge à lèvres criard et le eye-liner outrancier qu’arborait naïvement la jeune Vanessa Paradis attirèrent sur elle des réactions semblables à celles que les performances de Sue Lyon ou Brooke Shield avaient suscitées. "Bientôt, les Français me crachaient à la gueule", racontera Vanessa. Conne aux yeux des intellos de gauche, petite pute aux yeux des bourgeois de droite, produit jetable et préfabriqué selon l’industrie, Paradis prit si mal les critiques qu’elle en remit dans tous les sens. Étudiante allumeuse nue comme une ver dans le très beau Noce blanche de Jean-Claude Brisseau, interprète de quelques titres de Gainsbourg période pervers-pépère, elle joua très fort l’image starlette et provocation.

Ces vagues ne traversaient pas l’océan. Ici, après quelques ruptures de stock, nous pensions simplement que Marilyn et John, Coupe-Coupe étaient de belles chansons légères sur lesquelles dansaient ados et radios à Pâques et au jour de l’An.

Il fallut le rock anglais façon seventies, l’intervention complice du peu reposant Lenny Kravitz et bien des mois en Amérique pour que miss Paradis se libère de cette image de bonbon acide et gagne le respect des critiques.

Deux disques, une douzaine de films et 13 années plus tard, Vanessa Paradis est devenue une espèce de superstar intouchable dont plus personne ne conteste le talent. Hérégie sexy de Chanel, dont la vue soulève toujours des murmures entendus chez les jeunes garçons, mais aussi actrice consacrée, elle fait, au fil d’une longue carrière, indifféremment la une glacée des magazines de cinéma, de mode et de musique, autant que les délices de la presse à sensation qui épie au téléobjectif ses jeudis d’épicerie avec Johnny Depp et raconte en détails les babils de leur progéniture sur trois continents.

Après sept ans d’absence, maman Paradis lançait en octobre Commando, un single assez hard, étonnamment suivi d’une poignée de belles chansons tendres et intimes dans lesquelles elle s’est beaucoup investie.

L’album, justement intitulé Bliss, est une chronique des états de grâce presque sans nuages partagés avec Depp et leur fille Mélody-Rose.

Le bonheur se rend-il en gentillesse? Selon plusieurs, la petite bêcheuse dépassée par le succès précoce aurait, depuis qu’elle s’est trouvée une famille, cédé le pas à une jeune femme aimable, lucide et réfléchie.

Allons-z’y-voir puisqu’au moment d’entreprendre en Espagne le tournage de Don Quichotte selon le génial Terry Gilliam (Brazil, 12 Singes, Munchausen), le plateau, dévasté par un ouragan et un inquiétant malaise de Jean Rochefort, lui a fourni une pause inattendue que nous avons saisie. Entrevue très exclusive.

La face avouée du coeur
Les textes de l’album Bliss font état de votre bonheur intime. Donc, parler de ce disque, c’est un peu fouiller votre vie privée…

"Je sais, d’autant que c’est très facile de mettre un nom ou des visages sur les personnes dont je parle. Mais s’il est vrai que les histoires de mon album sont pour moi très personnelles, j’essaie de les traiter de manière assez générale, sans raconter le menu détail de ma vie. Une femme amoureuse, une femme en société, devenir une maman. Ce sont des choses que des milliers d’autres filles vivent. J’aurais pu tout aussi bien inventer ou parler des histoires de ma voisine. Même si je suis contente de dire ce que je ressens actuellement et de le partager, je n’ai pas l’impression d’offrir ce qui se passe chez moi aux gens…"

Vous avez fait des textes, des musiques ainsi que les illustrations naïves de l’intérieur de la pochette de Bliss, vous l’avez aussi partiellement produit. Voilà une implication considérable pour quelqu’un qui, jusqu’à présent, n’était qu’interprète. Vous sentez-vous plus concernée, voire inquiète par son impact puisque vous en êtes largement responsable?

"Oh oui! C’est-à-dire… je l’ai fait comme je le sentais, comme j’en avais envie et du mieux que je le pouvais. Lorsque ça a été terminé et qu’il est sorti, j’ai compris que le fait que ces chansons soient nées dans mon ventre au lieu de m’être offertes en font une affaire beaucoup plus sensible. Les critiques… la manière dont les gens le reçoivent, c’est… plus particulier."

Malgré des collaborateurs venus d’horizons assez divers, Bliss est un album homogène et finalement assez doux, comme si ce bonheur que vous avouez était justement quelque chose de tranquille…

"(Rires) Je ne sais pas… J’avais envie de simplicité, de choses très épurées, très basic malgré quelques titres un peu plus sophistiqués. Peut-être pourrait-on dire que nous étions tous sur la même longueur d’onde. Ou alors que les gens qui y ont travaillé m’ont beaucoup écoutée et sont allés dans le même sens. Matthieu Chédid, par exemple, n’a pas composé pour moi comme il le ferait pour lui-même. Il s’est intégré à un univers… Et, humblement, je dois dire… ça a été fait avec beaucoup de gentillesse et de générosité, et je crois que ça se ressent. La musique est très libre, mais c’est ça qui a lié l’ensemble…"

Quand, comme vous le dites, on a trouvé une part de bonheur dans sa vie personnelle, est-il plus facile de faire face à la pression du métier ou éprouvez-vous au contraire l’envie de la fuir dans le cocon familial?

"Si je n’en faisais qu’à ma tête, je ne m’occuperais de rien d’autre que de ma vie personnelle. Mais comme il faut bien vivre en société, cet équilibre me rend le boulot plus facile. Je me sens plus à l’aise dans mes baskets…"

Et vous semblez mettre les bouchées doubles depuis un an?

"Mmmoui, mais, par contre, la carrière est devenue secondaire depuis que je suis maman. Avant, c’était le travail avant tout. Je travaillais beaucoup plus. Maintenant, si j’ai l’impression d’avoir un horaire chargé, c’est simplement que je dois être éveillée durant beaucoup plus d’heures chaque jour afin d’être présente à la maison et de trouver tout de même le temps de faire mon métier."

Sensualité
Changement de sujet: le vidéoclip de Commando est entièrement composé d’images de vous en train de danser avec, et c’est le moins qu’on puisse dire, une volupté de liane que je trouve proprement hallucinante. Est-ce le métier? Est-ce naturel? Comment arrivez-vous à atteindre cet état d’abandon? Beaucoup de montage, deux verres de scotch?

"Heu… Je peux vous dire que les premières prises n’étaient pas aussi fluides que ça… C’est vrai que particulièrement dans ce cas-là, il n’était pas évident de monter sur une estrade et de se mettre à danser toute seule devant toute une équipe. J’étais timide, et au bout d’un moment… Il faut devenir impudique, mettre son esprit dans une bulle, entrer dans un personnage comme quand on joue dans un film. Beaucoup de gens savent faire ça…"

Est-ce aussi facile en spectacle? Lors de votre unique passage à Québec, nous avions été frappés tout à la fois par votre professionnalisme et votre capacité de séduire…

"Eh! déjà en spectacle, ce qui est important, c’est de chanter juste et bien. Si je bouge dans tous les sens, j’ai du mal à faire les deux à la fois… Mais il m’est plus facile de danser sur scène. Des tonnes de gens vous regardent, mais on est enveloppé de musique et de regards chaleureux.

C’est un joli moment de partage. Moi, j’ai fait ma musique dans mon coin, les gens écoutent ma musique chez eux, dans leur coin. Et puis tout à coup on est là, tous ensemble dans la même salle et on la partage! Et ce qui se passe sur scène, si ça devient de plus en plus fort, ça tient énormément à l’évolution du spectacle, à ce que le public renvoie. Parfois c’est bien, parfois c’est mal, mais c’est enfin une communication. Je trouve cela très, très fort en émotions…"

La haine
Vous ne vous êtes pas gênée pour raconter et répéter que les Français vous ont "craché à la gueule". Leur en voulez-vous encore?

"C’est vrai qu’ils m’ont craché à la gueule. Et j’en ai parlé et reparlé parce que j’avais besoin d’exorciser ça, comme une thérapie… Et que la presse m’y poussait. Quelle est la question? Est-ce que je leur en veux encore? Non… Mais je n’oublierai jamais. Ça, c’est clair."

Ils vous prenaient pour une sale petite conne…

"Oui. Bien sûr… Pas tous… Il y en avait… Il y en avait beaucoup. Au mieux, ça renforce. Ils m’ont peut-être permis de ne pas attraper la grosse tête grâce à ces méchancetés. Mais bon, peut-être que je me trompe. Parce que je l’ai eue quand même, la grosse tête… Mais je m’en suis sortie."

Suggéreriez-vous à d’autres de débuter ce métier un peu plus tard?

"Ouf! Je ne sais pas… Ça, c’est chacun son truc. C’est vrai que j’ai loupé plein de choses de mon adolescence. Mais moi, je ne regrette pas. À côté de ça, j’ai rencontré des gens extraordinaires, fait des voyages fabuleux… Mais c’est vrai que ça a été très dur… À 14 ans, alors qu’on est en train de se transformer et de devenir ce qu’on va être, devoir affronter un tel degré de cruauté humaine…"

Et puis l’image de la femme-enfant, la sexualité ambiguë, c’est ce qui…

"Oui, oui, c’est exactement ce que j’allais vous dire. Les gens ont réagi de façon complètement démesurée à mon égard, mais, en même temps, je les ai beaucoup aidés à m’agresser… Moi, j’avais 14 ans, je rêvais d’être une femme! Donc je me maquillais beaucoup, je m’habillais d’une manière provocante comme beaucoup de toutes jeunes filles! Pas pour provoquer! Pour moi toute seule. J’avais tellement envie d’être une femme, et donc j’en faisais 10 fois trop. Ma manière de m’exprimer était complètement idiote. Je parlais mal. En plus, comme j’étais agressée, j’étais agressive. Alors, j’ai apporté de l’eau au moulin de ceux qui me haïssaient."

Et maintenant, comment vivez-vous le rapport ambigu fait d’amour et de haine que les grosses célébrités entretiennent avec les médias?

"Assez simplement, ma foi… Chacun se sert de l’autre. Eux, ils vendent des tas de magazines en me mettant en couverture, moi, je parle de mon disque le temps d’être dedans. Après, ils écrivent beaucoup de conneries, j’imagine que j’en dis aussi, et c’est pas grave. Les journaux, les magazines, au bout d’un jour, ça finit à la poubelle ou dans le feu de la cheminée. Alors…"

Mais vous avez été photographiée en compagnie de Lenny Kravitz en train d’essayer de péter la gueule d’un journaliste…

"Oui. Mais ça, c’est pas des journalistes! Ce sont des paparazzis qui essaient de voler… Je ne sais pas comment c’est chez vous, mais à Paris, où d’ailleurs je n’habite plus, ils sont totalement irrespectueux.

Laissez-moi vous expliquer. Un artiste existe grâce au public. Mais il existe dans le périmètre de son métier. J’essaie d’être bien sur scène, disponible quand je fais de la promotion. Disponible même avec les gens ordinaires qui attendent sur le trottoir pour des photos et des autographes. On ne doit pas passer devant, il faut passer des moments avec eux. Mais le reste du temps, j’ai droit à ma vie privée! Mais les paparazzis, ces gens-là, viennent pour de l’argent, voler des choses qui ne leur appartiennent pas! Et aujourd’hui, ma petite fille qui a un an et demi est déjà dans les magazines alors qu’elle a rien demandé. Je trouve ça odieux.

Ceci dit, bon, je relativise toujours les choses: si c’est le prix à payer pour faire ce métier, c’est bien peu comparé à ceux qui doivent aller au bureau de chômage tous les jours…"

Est-ce que vous iriez jusqu’à déménager totalement en Amérique pour éviter cette pression?

"Ben, il y en a aussi en Amérique (rires). Et ils ne sont pas terribles non plus… Mais je ne vais jamais m’empêcher de vivre quoi que ce soit à cause d’eux… (soupire). Enfin, oui… Il faut quand même… (soupir). Il faut très souvent faire attention… (gros soupir)."

Et vos projets dans l’immédiat?

"Je prépare ma tournée. J’espère arriver au Canada en avril. Je garde un excellent souvenir de mon passage à Québec."

Vous n’êtes pas embêtée par cette stupide histoire de pot à l’aéroport…

"Histoire de quoi?… Aaaah oui, d’accord… toute une histoire pour une crotte de nez! Je ne veux pas rentrer dans le débat des drogues douces même si je crois que l’alcool fait beaucoup plus de dégâts que ça. Ce serait long. Mais on a fait tout un plat pour une quantité minuscule parce que j’étais quelqu’un de connu. Personne ne va en prison pour ça!"

Des ambitions à longue échéance?

"Je n’ai jamais fait de théâtre et j’avoue que j’aimerais bien."

Une question personnelle: je n’ai pas vu les magazines, à qui ressemble votre fille?

"(Rires) Ah, elle a un peu des deux, mais elle ressemble beaucoup à son papa quand même."

De bonnes fées sont penchées sur son berceau?

"Oh oui… je crois que oui… du bonheur et de la santé…"

Et Vanessa Paradis de s’excuser là-dessus, trois fois plutôt qu’une, de devoir partir faire un direct à la télé. Effectivement, un charme…

Bliss
Vanessa Paradis