

Dynamic Syncopation/Fink : Swing dynamique
Fidèle à ses bonnes habitudes, l’étiquette Ninja Tune ne fait pas les choses à moitié. Cette semaine, elle nous propose un programme triple: derrière Strickly Kev, de DJ Food, vedette incontestable de la soirée, deux figures moins connues de l’écurie Ninja prendront d’assaut les platines: Dynamic Syncopation et Fink.
Nicolas Tittley
Originaire de Londres, le duo Dynamic Syncopation, formé de Jonny Cuba et de Loop Professor, s’inscrit à merveille dans le renouveau hip-hop qui est en train de souffler sur la vénérable Albion. Comme plusieurs de leurs compatriotes, ils offrent une approche assez sophistiquée de ce genre typiquement américain, même s’ils vénèrent les gars de la vieille école et qu’ils collaborent surtout avec des rappeurs d’outre-Atlantique. C’est d’ailleurs la première question qu’on voulait leur poser: comment se fait-il qu’on entende de plus en plus parler de producteurs et de D.J. britanniques, mais rarement de rappeurs? "Malheureusement, ce sont les Anglais eux-mêmes, et je nous inclus dans cette catégorie, qui sont responsables de cet état de choses, explique Jonny Cuba, joint à sa résidence de Londres. On se fait souvent dire que nos disques seront plus difficiles à distribuer en Amérique si on a des rappeurs britanniques, alors on a tendance à aller chercher des M.C. américains. C’est dommage, parce qu’il y a de nombreux rappeurs de talent chez nous."
Après avoir produit quelques mini-albums prometteurs, le groupe lançait enfin, il y a presque deux ans, son premier (et seul) long-jeu, Dynamism, sur lequel on retrouvait une cohorte d’invités, dont Ollie Teeba (le D.J. de Herbaliser), ainsi que plusieurs rappeurs, dont Mass Influence et Yeshua da poED. "Il nous arrive de travailler avec des M.C. sur scène, mais pour cette tournée, on s’en tient aux tables tournantes, explique Jonny. Certains trouvent que cette formule est limitée, mais je pense tout à fait le contraire; ça permet une grande liberté et ça ne nous oblige pas à reproduire ce que nous faisons sur disque. On a toute la latitude voulue pour explorer de nouveaux territoires."
En tant que producteurs de hip-hop, on comprend Jonny et son ami le professeur de vouloir s’en tenir à leurs outils de prédilection, les vinyles. Mais n’ont-ils jamais eu envie de pousser l’expérience plus loin et de monter un vrai groupe à la manière de leurs copains de Ninja The Herbaliser? "Ce qu’ils font est très intéressant, c’est évident; mais pour moi, le hip-hop est une musique qui s’appuie sur l’échantillonnage et les tables tournantes. Les gens ont tendance à voir l’ajout de musiciens comme une manière d’élever le genre à un autre niveau, mais les tables tournantes, man, ce sont les poumons et le coeur de cette musique! Quand j’entends du hip-hop sans échantillonnages, je trouve que ça n’a pas de couilles."
Si Jonny semble s’opposer à la vision presque exclusivement live, telle que préconisée par The Herbaliser, il n’est pas non plus un adepte du synthétique à tout crin. En effet, la musique de Dynamic Syncopation s’appuie principalement sur le jazz et le bon vieux funk instrumental, et le résultat est immanquablement groovy et chaleureux, même si le duo plonge souvent dans des ambiances plus sombres qui lui ont valu d’être parfois associé au courant trip-hop. "Je suis content que tu parles de l’aspect organique de notre musique, lance Jonny. Arriver à faire quelque chose de vivant en utilisant exclusivement des échantillonnages, c’est ça le vrai défi de notre travail."
Modeste, Jonny se considère davantage comme un sculpteur de sons qu’un performer; et lors du concert de cette semaine, il risque de mettre l’accent sur la musique plutôt que sur le spectacle. "Je n’aime pas l’idée de placer le D.J. sur une énorme scène; ça force les gens à regarder dans la même direction, alors qu’il n’y a rien à voir. À moins d’être Kid Koala, qui est absolument hallucinant à regarder, je crois que la place du D.J. se situe au niveau du public. Je préfère me fondre à la foule, être presque anonyme." Faites-lui plaisir: fermez les yeux et ouvrez grand les oreilles.
Fink
Chair fraîche
par Eric Parazelli
Fink: "Ninja Tune est une excellente école et Fresh Produce est comme mon diplôme!"
Même si le bien nommé Fresh Produce (l’envoûtant premier album de Fink) est issu de Ntone, le sous-label plus expérimental de Ninja Tune, il ne faut surtout pas croire qu’il soit difficile d’accès. Rien à voir avec les délires sonores assez arides de son compère Neotropic, par exemple. Au contraire, le jeune D.J. et producteur de Bristol Finian Greenhall possède cette qualité rare de savoir enrober ses riches constructions d’échantillonnages d’un manteau groovy et capiteux qui les rend particulièrement digestibles. De plus, la fusion qu’il opère entre la musique électronique ambient et downtempo et les musiques afro-américaines distingue sa signature sonore.
À l’autre bout du fil, Greenhall avoue fièrement qu’il lui a fallu pas mal de travail pour arriver à masquer la complexité de sa démarche afin que l’auditeur ne retienne que l’aspect plaisir de son oeuvre: "C’est très difficile de trouver la bonne équation pour rendre la musique électronique plus organique; mais lorsqu’on y arrive, on peut y injecter une bonne dose de soul. Plusieurs y sont d’ailleurs arrivés; les gars de Kraftwerk ont été les premiers à transformer leurs machines de manière à leur donner vie. Pour ma part, je crois que ce sont mes choix d’échantillonnages qui font en sorte qu’on a cette impression de chaleur. Je choisis des sons et des rythmes qui se réfèrent à la musique black: la soul, le r’n’b, le dub, le hip-hop. Et entre deux possibilités de sons, je choisis toujours la plus obscure, la moins évidente. C’est la seule façon de rester original et de ne pas ressembler à tout le monde."
Cet apprenti Ninja aux horizons musicaux très larges (il apprécie autant le rock que les musiques black et latines) a passé par toutes sortes de phases avant de trouver sa voie. Il a même déjà enregistré un album folk, un genre qu’il a en horreur aujourd’hui: "J’en ai fait un, mais il était si horrible qu’il m’a fait détester le folk anglais au grand complet!" Sa rencontre avec les gens de Ninja Tune a été cruciale, mais aussi assez cruelle; chaque fois qu’il leur apportait une dizaine de chansons, ils n’en conservaient que le tiers et le renvoyaient à son studio. Même si Fink a pu trouver le processus de sélection frustrant, il avoue aujourd’hui que c’était la meilleure façon de faire. "J’en ai jeté plus d’une vingtaine, mais ils ont tellement d’expérience et ils sont si patients que je ne pouvais que leur faire confiance. Ninja Tune est une excellente école et Fresh Produce est comme mon diplôme!"
"Je n’ai aucun problème avec le fait qu’on ne porte pas attention à tous les détails de ma musique, explique humblement Fink. Les gens peuvent chiller en l’écoutant comme ils ont le droit de lire un livre ou de faire l’amour! C’est un album qu’on peut écouter attentivement, je crois même qu’il peut être très utile dans certaines circonstances… Mon seul but en le faisant, c’est que les gens le laissent jouer jusqu’à la fin et qu’ils se souviennent de quelques moments marquants. Et aussi que lorsque survive à l’épreuve du temps."
Par contre, pour son premier passage à Montréal, il ne faut pas s’attendre à ce que celui qui a déjà remixé une pièce de Bran Van 3000 (Drinking in L.A.) nous serve le même genre d’ambiance que sur Fresh Produce. Il est, paraît-il, assez porté sur le party et a bien hâte de voir comment le public montréalais combat le froid hivernal…
Le 25 janvier
Au Tokyo
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