J Mascis : Sens unique
Musique

J Mascis : Sens unique

On connaissait la réputation de J Mascis, que l’on disait aussi avare de paroles que généreux en décibels. Mais on ne s’attendait pas à ce qu’un dialogue avec le chanteur-guitariste, autrefois à la tête des fougueux Dinosaur Jr, soit aussi dénué d’intérêt. Autopsie d’une conversation mort-née.

En un peu plus d’une semaine, deux des figures les plus marquantes de l’indie rock américain auront foulé les planches du Cabaret. D’abord Frank Black, le jovial créateur

des Pixies, avec ses mélodies à la Beach Boys, ses histoires de Martiens et son sens de l’humour tordu. Un régal. Puis, voilà que se ramène J Mascis, le sombre ex-leader des influents et dissonants Dinosaur Jr, précurseurs du grunge et de toute une vague de groupes à guitares pas propres.

Si les deux sont assis sur la même branche de l’arbre généalogique du rock alternatif, ils ne pourraient être plus éloignés dans le domaine de la communication. Black est un conteur intarissable, un être cultivé et disert, capable de vous tenir au bout du fil pendant des heures sur n’importe quel sujet. J Mascis, c’est tout le contraire. Si, lorsqu’il chante, ses plaintes n’atteignent que les premiers degrés de l’échelle de Dylan, lorsqu’il parle, c’est le vide abyssal. Comparé à Frank Black, Mascis semble carrément autistique. En fait, en dix ans d’entrevues, j’ai rarement parlé à quelqu’un d’aussi ennuyeux et monosyllabique.

Dans le petit milieu du journalisme rock, la nature peu communicative de Mascis est légendaire. Le faire accoucher d’une phrase de plus de cinq mots (voire de cinq syllabes) relève de l’exploit. Interrogé sur la nature de son récent More Light, qui marque un retour au gros rock après la décevante aventure solo acoustique de Martin and Me, il lance: "Ce sont deux disques différents; j’étais dans un autre état d’esprit. Ma vie a beaucoup changé." Mais encore? "…" Rien à faire, chez Mascis, tout est flou. Pas étonnant que le nom de son "groupe" actuel soit The Fog (Le Brouillard). Si on a placé des guillemets, c’est pour expliquer que le groupe en question n’existe que dans la tête de son créateur. Sur le disque, qui est, incidemment, son meilleur depuis les beaux jours de Dinosaur Jr, Mascis a joué de presque tous les instruments, invitant au passage quelques collaborateurs de marque, dont Robert Pollard, de Guided by Voices. "Bob, je ne l’ai même pas vu. On s’est échangé des cassettes par la poste." On imagine que Pollard, redoutant d’avoir à passer quelques jours enfermé dans le studio du sous-sol de Mascis, a préféré cette méthode de travail. À propos de Kevin Shields, guitariste de My Bloody Valentine, qui fut l’un des seuls, hormis l’ingénieur du son, à travailler face à face avec lui, il lance: "C’est un gars cool. Je respecte ses opinions sur la musique." Parle plus fort, J, je sens qu’on s’achemine vers un Pulitzer!

L’homme est plus prolixe, toutefois, lorsqu’il est question de son groupe de tournée (un trio), au sein duquel on retrouve le sympathique bassiste Mike Watt: "J’aimerais bien qu’on devienne un vrai groupe. Tout dépend de Mike Watt; le problème, c’est qu’il peut faire plus d’argent en tournant en solo qu’en jouant avec moi." Quant à la perspective de composer en trio, n’y comptez pas trop. "Ça ne m’intéresse pas vraiment. Je suis très content de jammer avec moi-même."

Certaines mauvaises langues attribuent ce travail en solitaire à la nature asociale de J qui, au sommet de la popularité de Dinosaur Jr, avait cavalièrement foutu à la porte son partenaire Lou Barlow, qui s’est bien vengé en allant connaître le succès que l’on sait avec ses groupes Sebadoh et Folk Implosion. Seriez-vous un homme difficile, monsieur Mascis? "Je ne sais pas. On ne m’a jamais dit qu’il était difficile de travailler avec moi. Plus… je n’ai jamais… plus communicatif… au niveau personnel… je ne sais pas." La phrase, sans queue ni tête, reste en suspens, et un gouffre de silence se crée soudainement entre le Québec et le Massachusetts.

Au fond, l’homme a beau être aussi charismatique qu’un morceau de tourtière au seitan, on s’en bat les couilles. More Light, on l’a dit, est un excellent disque, dans lequel Mascis a réussi à fusionner son amour des Stooges (qu’il reprend abondamment sur scène), ses ambitions de devenir le Neil Young de l’underground, et quelques penchants pop pas désagréables du tout. Mais sur scène, il retrouve la furie de décibels de la belle époque, lançant à la volée des poignées de solos incendiaires. On ose à peine imaginer la paire qu’il formera avec Mike Watt, un furieux bassiste, qui joue à s’en faire saigner les doigts. "J’essaie de jouer plus doucement; mais à la fin, on finit toujours par ajouter des amplis et monter le volume. Je joue fort, parce que je trouve ça agréable. Il faut que je sente la musique et la guitare, électrique, il faut que ce soit fort pour qu’on la sente." Et la beauté du vacarme, c’est que lorsqu’on a les deux doigts enfoncés dans les oreilles, on n’a pas besoin de parler pour rien.

Le 1er février
Au Cabaret
Voir calendrier Rock et Pop