Jazz Pharmacy : Sans ordonnance
Musique

Jazz Pharmacy : Sans ordonnance

Habitués du circuit des bars montréalais depuis leurs débuts, les gars de Jazz Pharmacy sont enfin prêts à passer à l’étape supérieure avec la parution de leur premier disque, Amnesia.

Il fut une époque où les gars de Jazz Pharmacy étaient littéralement partout: véritables bêtes de scène, ils furent pourtant longtemps ignorés en raison – sublime paradoxe – d’un cas aigu d’overexposure. Pendant un sacré bout de temps artistes en résidence au Swimming et au Sofa, on les avait relégués dans la catégorie des meubles du circuit lounge, le genre de groupe qu’on pouvait aisément laisser de côté, confiant qu’il allait revenir la semaine suivante. "Dans notre première année et demie, on a donné près de 200 concerts. À la fin, lorsqu’on distribuait des flyers aux gens, ils nous disaient: ?Encore??, se souvient en riant le batteur et percussionniste Eddie Cola.

Mais à force de jouer comme des malades, les gars de Jazz Pharmacy ont considérablement évolué ces dernières années, renforçant leurs talents de compositeurs et de sculpteurs sonores. Le trio de base, composé d’Eddie, du claviériste-chanteur Phil Clarke et du bassiste Fraser Nash (parti, puis revenu au bercail), est aujourd’hui enrichi du guitariste-bruiteur Dave Bennett, ainsi que de quelques invités de passage. Au menu d’Amnesia, leur première galette officielle, lancée ces jours-ci, on retrouve la même recette funk-soul-acid jazz, avec quelques éléments empruntés à la musique actuelle et au drum’n’bass. Et les changements ne s’arrêtent pas là: "On a commencé à se servir de la voix comme d’un simple instrument, une façon d’ajouter des textures à notre son; mais, de fil en aiguille, Phil s’est mis à devenir un vrai chanteur qui s’attardait aux paroles", explique Eddie Cola.

Si les paroles prennent de plus en plus de place dans le travail de cet homme qui se définit d’abord comme un instrumentiste, Amnesia n’est pas pour autant une oeuvre littéraire ou un album-concept. "En fait, le seul point commun entre les chansons du disque, c’est qu’elles sont toutes différentes les unes des autres", précise Phil, qui se lance ensuite dans une observation peu flatteuse de ses talents de songwriter. "La première chanson est une silly dance song; la deuxième parle d’aller quelque part; la suivante parle de paranoïa; l’autre ne veut rien dire du tout; celle qui suit parle d’amour; l’autre est plus spirituelle; vient ensuite un rock assez banal; puis il y a la classique du genre love sucks; et un rap sur les gens qui écoutent le disque. Voilà."

Lorsque je fais remarquer à Phil qu’il semble être assez porté sur l’autodépréciation, ses deux compères éclatent de rire. "Ça le rassure de dire des trucs comme ça", lâche Eddie. Étrangement, pour un type qui possède une voix franchement supérieure à la moyenne des ours, Phil se décrit toujours comme un chanteur par défaut, incertain de son rôle d’avant-plan. "J’avais une certaine expérience du chant; j’ai même été coach vocal au cégep, raconte-t-il. Étrangement, j’arrivais à dire aux autres comment placer leur voix, mais je n’arrivais pas à entendre la mienne; même aujourd’hui, je n’aime pas beaucoup son timbre. C’est pour ça qu’à nos débuts, je me contentais de lancer des phrases sans queue ni tête, simplement parce qu’elles sonnaient bien. En faisant des reprises, j’ai compris l’importance des paroles; mais je suis encore loin d’un Bob Dylan, ou même de Björk, qui arrive à exprimer un univers tellement personnel dans ses textes."

Chose certaine, si les paroles ne sont pas encore leur plus grande fierté, les gars de Jazz Pharmacy peuvent se vanter de maîtriser l’art du collage sonore et de la fusion des genres. "Après notre mini-album, on est allés enregistrer quelques pièces dans un vrai studio, mais on a vite abandonné cette idée, relate Eddie. On a recommencé à zéro et on a décidé de tout enregistrer nous-mêmes." C’est à cette époque que le groupe, réduit à sa plus simple expression (seuls Phil et Eddie en faisaient partie), a découvert, à l’ombre du Centre Molson, un local qui allait devenir Sinister Sound, leur propre studio de répétition et d’enregistrement, ainsi que le siège de leur compagnie de disques. En apparence modeste, le local dépourvu de fenêtres ("On peut jouer ici pendant des heures, sans savoir s’il fait jour ou nuit", explique Eddie) est une véritable caverne d’Ali Baba, où le mobilier de chalet côtoie une quantité impressionnante d’instruments, dont un vieil orgue Wurlitzer, un Clavinet et même un theremin. "Ce qu’on voulait, c’était un endroit à nous, explique Eddie. Ça nous a pris du temps pour d’abord amasser le matériel, puis pour nous familiariser avec l’équipement d’enregistrement."

Les gars sont donc autodidactes? "J’ai quelques notions des techniques d’enregistrement et comme je travaille beaucoup sur les bruits, le studio est, pour moi, un instrument à part entière", explique Dave. Toujours modeste, Phil intervient: "Je crois qu’individuellement, on est des musiciens assez évolués. Mais si l’on considère le studio comme un instrument, on en est encore niveau de Twinkle, Twinkle Little Star! Le fait d’enregistrer par nous-mêmes nous a appris un tas de choses, notamment qu’il serait peut-être bon d’enregistrer notre prochain disque en compagnie d’un vrai ingénieur et d’un vrai mixeur." Encore faudrait-il trouver quelqu’un qui possède une palette musicale aussi vaste que la leur, ce qui n’a rien d’évident. Férus d’improvisation et de changements de tempo, les gars de Jazz Pharmacy aiment à se servir de formes musicales accessibles, pour mieux dérouter l’auditeur. "Les deux choses les plus importantes dans la musique sont la danse et la réponse intellectuelle, décrète Dave. On veut faire danser les gens; mais, au beau milieu de la chanson, on veut tirer leur cerveau dans une autre direction."

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