Marie-Jo Thério : Le pas malin
Musique

Marie-Jo Thério : Le pas malin

Après avoir bourlingué de par le monde, séduit la francophonie tout entière avec sa voix cristalline, son jeu de piano précis et les tempêtes émotives que sont ses spectacles, MARIE-JO THÉRIO s’est retirée dans sa cambuse de Verchères. Un petit univers, sis quelque part dans l’antichambre du bonheur, y est né. Elle nous le partage sur La Maline, son plus récent album, et s’apprête à en faire autant sur scène. Conversation autour d’une Maline, d’un Oiseau de paradis et d’un Arbre à fruits.

C’est la fin de la journée, la fin d’une journée qui a commencé très tôt pour Marie-Jo Thério, promotion oblige. Si elle est fatiguée, elle n’en laisse rien paraître. Elle répond à chacune de mes questions par de généreuses explications, tantôt mûrement réfléchies, tantôt spontanées, les illustrant de grands gestes. L’oeil pétillant, elle évoque quelques moments de son tout nouveau spectacle, Arbre à fruits, qu’elle s’empresse aussitôt de couvrir d’un halo de mystère. "La chanteuse préférerait que le journaliste n’en parle pas trop, pour garder la surprise… ", dit-elle avec un sourire complice. Puis, on se permet un voyage en amont de ce spectacle, question d’en trouver la source… Chemin faisant, on trouve La Maline, bien sûr, sans doute l’un des albums les plus audacieux qui soient parus dans le petit monde de la chanson québécoise ces dernières années. Un peu plus loin, une rencontre avec des musiciens devenus amis, Bernard Falaise (guitares) et Éric West Millette (contrebasse, dobro), avec lesquels elle a "sculpté" La Maline dans sa petite cabane de Verchères. Plus loin encore, des tournées saluées par la critique tant en Europe, où elle s’est produite en solo, qu’au Québec où elle s’est mérité le prix Félix-Leclerc dans le cadre des FrancoFolies de Montréal. Un premier album aussi, Comme de la musique, qu’elle avait su défendre avec brio et qui évoquait notamment les nuits mélancoliques de son Moncton natal. On y trouve même ces moments qu’elle a passés au petit écran dans une chambre en ville, à l’époque où on n’avait aucune idée que derrière la comédienne, une étonnante chanteuse veillait…

Au Café Robinson
"Moi je m’en vais dessiner des oiseaux pis faire des trous dans mes bas"

Si ce n’est ton récent rôle dans Full Blast, on avait presque oublié ta carrière de comédienne…
"Ce n’est pas pour faire comme Madonna et rendre tout le monde confus! Full Blast, ça a été le hasard d’une rencontre. Il y avait là un espace-vie qui m’apparaissait important, mais dans l’équation, mes expériences de comédienne, ça reste encore des compléments. Je demeure quelqu’un qui fait plus de musique que de théâtre, je pense que les pôles sont évidents, je travaille plus fort par rapport au médium comédienne qu’au médium chanteuse, même si j’y travaille fort aussi."

Il semble que le hasard des rencontres te soit cher et propice: Bïa, Lhasa, Jim Corcoran, Zachary Richard, etc. Ces collaborations sont nécessaires à ta création?
"C’est indispensable et spontané chez moi. Si je voyage et si je rencontre Georges Moustaki, William Sheller ou quelqu’un dans la rue, dans un café, quand c’est indiqué je vais spontanément vers ces gens-là, ou ça peut venir d’eux. Quand on reconnaît une partie que l’on aime chez les autres, c’est la plupart du temps une partie de soi que l’on admet être belle. C’est tellement un métier qui est buildé sur l’ego qu’on doit se façonner des petites forces pour cheminer. Ces rencontres-là les désamorcent…"

Est-ce ce qui explique que tu aies voulu créer ton nouvel album et ton nouveau spectacle avec une équipe?
"Avec mon spectacle solo, je suis allée aussi loin que possible dans le dépouillement: j’étais comme Félix avec sa guitare. Alors là j’avais le goût de me laisser imbiber des autres, de laisser entrer d’autres choses, pour ne pas que mon univers intime soit trop complaisant et aussi pour vivre le bonheur de me retrouver avec ces éléments-là."

Sur La Maline, tu as travaillé davantage sur un tout que sur des pièces précises: chaque chanson est liée par des espaces sonores, un concept et des éléments comme cette lune menaçante qu’est La Maline.
"Oui, je trouve ça très important parce que je considère ça comme un petit film. L’album, avant d’être un concept, c’est un espace-temps embrassé par la musique, assumé dans tous ses sentirs. Pour moi, l’exercice de La Maline, ça a été de ne pas avoir peur d’aller au bout de ces choses-là et, en aucun temps, de ne rien démontrer, c’est-à-dire de simplement être dans cet espace-temps avec des complices avec qui je pouvais avoir une intimité suffisante pour que l’on soit capable de laisser s’imposer l’univers de La Maline, de ne pas conduire une locomotive, de ne pas faire un exercice de volonté."

L’Oiseau de paradis
"J’arrive du bout du monde pour apaiser le vent et la pluie"

La naïveté est omniprésente dans tes chansons. Est-ce devenu une espèce de matériau de création?
"La naïveté de l’enfant est magnifique, mais la naïveté réfléchie et la naïveté de choix le sont tout autant. Je me situe peut-être entre les deux, c’est-à-dire que c’est une naïveté éclairée. La Maline est un album grave, mais ce n’est pas un album mélancolique, et ce qui fait que cet album n’est pas écrasant pour moi, c’est qu’il y a toujours cette espèce de naïveté mi-éclairée qui fait que l’on a l’espoir d’aller vers un arbre à fruits, et cet arbre à fruits, c’est une image magnifique: c’est quelque chose de bien enraciné qui va vers le ciel et qui n’a pas peur d’accéder à l’invisibilité."

Cette lourdeur est aussi combattue par une espèce d’instantanéité qui permet aux textes de respirer. Est-ce le fruit d’une juste dose d’improvisation ou d’un travail acharné?

"Il y a beaucoup de travail. Ces textes-là viennent bien sûr d’un désir, le désir fait partie de l’acte de création, mais ils viennent aussi d’un lieu qui est très intuitif, donc pas réfléchi. Je pars rarement avec une idée de faire quelque chose, c’est comme de la peinture à l’eau: je travaille avec des matières qui me paraissent très simples, ce qui ne veut pas dire qu’on ne travaille pas, qu’on ne fignole pas et que l’on n’essaie pas de faire de la dentelle…"

La Maline est un album en demi-teinte, sans excès émotifs, sans cris déchirants. Pourtant, un état d’âme dense et complexe semble l’habiter du début à la fin…
"J’imaginais cet album écouté avec des oreillettes sur un fauteuil super confortable, à l’automne, à l’hiver, au printemps. Il y a une prise de son particulière qui a été faite pour qu’en aucun temps la chanteuse ne soit cabotine vocalement et qu’elle puisse rester dans un espace-vérité; je ne parle pas seulement du texte, je parle de la justesse émotive, sans jamais rien forcer en étant juste là, et ça a été la même chose pour les instruments, il y a comme une espèce d’état d’âme…"

Une certaine retenue?
"Non, pas une retenue… Une proximité. Dans la proximité on n’a pas besoin de hurler, de crier ou d’affirmer fort, on est là, c’est tout. Et c’est ça pour moi La Maline: cette espèce d’espace un peu flottant d’après la tempête, quand il y a un orage, quand il a fait froid, où juste après la tempête et juste avant la percée vers la lumière, il y a un espace qui apparaît comme vide et que l’on habite. C’est un espace d’attente et d’espoir, qui est étonnamment serein."

L’Arbre à fruits
"Mon chien est mort, mon amour est parti c’est comme difficile de shiner ici sous la pluie"

Sur scène, tu te limites essentiellement à "La Maline qui prend une autre ampleur: le percussionniste Michel F. Côté se joint à vous trois, et vous ajoutez des éléments visuels et sonores. La Maline est donc un work-in-progress?
"Oui, les pièces se transforment constamment, mais il y a une structure de base. Il y a un canevas de départ qui est très solide et une cohérence. Même si on paraît complètement libre, il faut que l’on parte avec une certaine solidité. Je peux paraître être quelqu’un de très aérien dans la vie mais, étonnamment, il y a quelque chose de très centré chez moi. Quand j’arrive sur scène, même si je peux faire appel à de grandes émotions ou à des choses très éclatées ou très humoristiques, je sais que quoi qu’il arrive, quand je vais retomber, le matelas sera solide!"

On te connaît pour tes spectacles où l’émotion est à fleur de peau, où tu es une espèce de tempête émotive. Est-ce que tu combats cela pour reproduire l’état créé sur La Maline?
"Sur scène, je voulais avoir accès à la même dynamique que j’avais vécue dans l’album, j’avais pris un grand plaisir à ne pas faire de démonstration vocale, à ne pas user de cette espèce d’autorité de la chanson face aux musiciens, je voulais un peu déconcerter cette chose-là, ce qui n’empêche pas que sur scène je suis comme un volcan, il faut que ça bouge, il faut que ça déménage, mais je voulais aussi qu’il y ait des espaces où le propos n’était plus simplement proposé par la chanteuse et que le discours soit à la fois dans le texte, dans la musique, dans les projections, etc."

Tu as relevé le défi d’accrocher les gens à ta musique alors que tous y voyaient un caprice de comédienne, puis celui de réaliser un album qui n’a absolument rien de commercial ou d’accrocheur. Là, c’est un spectacle qui s’annonce loin des ornières et qui s’est attiré bien des éloges. Tu es surprise que les gens te suivent?
"J’espère que les gens vont me suivre. C’est là où moi j’en suis. Je lance une invitation, j’essaie de rester dans une zone qui soit d’intégrité et je croise mes doigts, car tout public est invité à venir danser dans un autre univers."

Du 15 au 17 février
Au Cabaret du Capitole
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