Musique

Alain Lefèvre : Musique du coeur

ALAIN LEFÈVRE est un pianiste mondialement reconnu. Mais l’interprète se fait également compositeur, comme en témoigne Lylatov, son plus récent disque. Ce sont ses pièces et d’autres, signées Satie et Claude Champagne, qu’il jouera lors des concerts présentés au Festival Montréal en Lumière.

Mercredi 21 février, à 20 h (et à guichets fermés) et vendredi 23, à 20 h également (au moment d’écrire ces lignes, il restait encore des places), le pianiste Alain Lefèvre donne, dans la Cinquième salle de la Place des Arts, un récital intitulé Lylatov.

C’est à la demande de son ami l’humoriste Guy A. Lepage que Lefèvre a consacré huit mois à la préparation du CD qui donne son titre au récital.

"Guy m’a dit: "Pourquoi tu ne ferais pas un disque pour le grand public avec des pièces que tu aimes particulièrement, et avec tes pièces?"" raconte le pianiste.

À l’époque, d’autres musiciens venaient de publier des disques sortant de leur répertoire habituel, comme le pianiste Jean-Yves Thibaudet jouant Bill Evans et Duke Ellington, ou le violoncelliste Yo Yo Ma faisant du country. "C’est un peu en réaction à ce phénomène que j’ai accepté de faire Lylatov", admet Lefèvre.

On l’aura deviné, le programme du récital reprend le contenu du neuvième disque du pianiste, en y greffant toutefois d’autres oeuvres.

"Je jouerai plusieurs pièces d’Erik Satie, et trois danses de Ginastera plutôt qu’une, car c’est une belle occasion de les faire connaître, confie Lefèvre. Et ce ne sera pas un récital statique. Je veux m’adresser au public, me mettre plus à nu que dans un récital classique. Il y aura bien sûr mes compositions, mais je l’avoue, j’ai écrit ces pièces sans aucune prétention, entre moi et moi, un peu comme un exutoire."

Lylatov ("bonne nuit", en hébreu) a été composée en hommage à des gens qui l’ont accueilli lorsqu’il était étudiant à Paris. "J’étais malade, physiquement mal en point, raconte Alain Lefèvre. Ils m’ont ouvert les bras. Je leur en serai toujours reconnaissant." Il y a aussi une pièce écrite à la mémoire du fils du chef Carl St-Clair, bambin qui s’est noyé à l’âge de 18 mois."C’est atroce comme épreuve pour les parents."

En plus de nous offrir le Prélude romantique d’André Mathieu, le disque contient

aussi une oeuvre que Claude Champagne avait dédiée à ses filles. "C’est ma petite soeur Berthe, mon premier professeur de piano, qui m’a fait cadeau de cette partition dont les filles mêmes de Champagne ignoraient l’existence. Cela a été sa façon à lui de leur dire "Je vous aime". C’est une belle pièce."

Lefèvre se déclare par ailleurs fort étonné, voire bouleversé, par la réaction très positive de ses proches à la sortie du disque. "Je ne m’attendais pas vraiment à ça! Une chose est certaine, c’est que je vais continuer à composer…"

C’est le producteur Alain Simard qui a finalement proposé à Lefèvre de faire ce récital, devant le succès du disque (7000 copies au Québec, ce qui est assez rare pour un disque classique), et à la suite de la réaction assez favorable au Concerto de John Corigliano qu’a donné Lefèvre au Centre Molson avec l’Orchestre symphonique de Montréal sous la direction de Charles Dutoit. "Quand je pense au travail qu’il a fait, monter une oeuvre pareille en une répétition, c’est incroyable! Il m’a vraiment beaucoup impressionné."

Le pianiste n’a aussi que de bonnes choses à dire de Yannick Nézet-Séguin et de l’Orchestre Métropolitain, avec lesquels il a fait le Premier Concerto de Tchaïkovski en mini-tournée dans la région montréalaise.

Cas public
Lefèvre reste réaliste et constate qu’il est de plus en plus difficile de remplir des salles. "Il faut encourager tous les efforts pour éduquer le public, mais j’avoue que lorsque je donne des master class, dit-il avec un accent charmant, je ne sais trop quoi dire aux jeunes pianistes. C’est bien beau de former de nouveaux musiciens, mais pour quel public?"

Lui qui fait discrètement sa part, par des visites dans des écoles, pour intéresser des jeunes à la musique classique, a dû se rendre à l’évidence que les enfants avaient bien du mal à se concentrer. "Cela fait une bonne dizaine d’années que je vais au même endroit chaque année. Jusqu’à maintenant, j’étais parvenu à me faire écouter pendant un bon dix minutes. Cette année, c’est à peine si j’ai pu jouer trois minutes. Trois minutes! C’est sans doute le reflet du monde dans lequel on vit."

Lefèvre regrette également qu’il n’y ait plus de lieux comme le café-bistro La Chaconne permettant à de jeunes musiciens de faire leurs premières armes.

Cependant, loin de toute nostalgie, le pianiste n’a pas chômé ces derniers temps. Ainsi, il prépare des concertos pour des tournées qu’il fera prochainement en Allemagne, en Grèce et en France. "Je ne suis pas carriériste pour autant, proclame-t-il. Mais je n’ai que 43 concertos à mon répertoire, alors qu’il existe des centaines. Il faut bien que j’en apprenne d’autres!"

De plus, deux nouveaux CD seront bientôt sur les rayons des disquaires: d’abord, le Concerto no 23 en la majeur de Mozart avec l’Orchestre symphonique de Laval et son dynamique chef, Jean-François Rivest; ensuite, des transcriptions par Liszt d’oeuvres de Wagner et de Bach.

D’ailleurs, il travaille ces jours-ci les transcriptions et arrangements par Liszt des Préludes et fugues de J.-S. Bach qu’il donnera bientôt en récital et qui feront l’objet d’un double CD.

À la fameuse question de l’île déserte, Lefèvre répond qu’il mettrait deux monuments dans ses bagages: l’opéra Parsifal de Wagner et l’oeuvre entier de Goethe. "Mon rêve: pouvoir lire tout ce que Goethe a écrit! clame le pianiste. La belle vie, quoi."

Voir calendrier Classique

Retour sur Lucia di Lammermoor
Que dire de cette production de l’Opéra de Montréal, présentée ces jours-ci à la salle Wilfrid-Pelletier? Si vous n’êtes jamais allé à l’opéra et que vous cherchiez à vous initier à cet art assez particulier où théâtre et musique doivent créer un amalgame convaincant, passez votre tour. Ce n’est certainement pas cette mise en place assez sommaire du drame imaginé par Donizetti et son librettiste, autour d’un roman de sir Walter Scott, qui vous fera aimer l’opéra. On peut d’ailleurs se demander s’il fallait faire venir un metteur en scène de Suisse pour accomplir ce travail.

Quant aux chanteurs, il faut reconnaître que Mary Dunleavy – qui souffrait d’un rhume, a-t-on annoncé le 12 février – s’est acquittée honorablement de sa tâche côté vocal, mais qu’elle était peu convaincante côté jeu; dans la fameuse scène de la folie, au dernier acte, elle évoquait La Sonnambula de Bellini plutôt qu’une femme qui vient d’assassiner son nouveau mari. On peut dire du baryton Brian Davis dans le rôle du grand frère égoïste, ou du frère grand égoïste, qu’il a de réelles qualités vocales et scéniques; du ténor montréalais Marc Hervieux, qu’il était assez en voix, mais que son jeu n’était pas des plus spectaculaires; et, finalement, de la basse James Patterson, qu’il a une voix éteinte, sans grand intérêt, et qu’on pouvait difficilement apprécier son jeu puisqu’il chantait presque toujours dans le noir le plus total. (À cet égard, pendant à peu près toute la durée du spectacle, les éclairages étaient très mal calibrés. On se demande même s’il y avait quelqu’un aux éclairages…)

Comment le ténor Gran Wilson, qui essaie d’incarner Edgardo, peut-il faire carrière avec cette voix dont les contours suivent un parcours de montagnes russes, et avec ce jeu tellement mélodramatique qu’il en devient quasi caricatural?

Pour ce qui est des rôles secondaires, rien de très positif à dire, aussi bien se taire. Le choeur était solide, quoique ses interventions se soient apparentées à celles d’une masse chorale dans un oratorio.

D’un acte à l’autre, les personnages évoluaient sensiblement dans le même décor – loué à quel prix à Opera New Zealand? Et qu’était censé représenter l’immense drap blanc que déroulent Lucia et sa suivante à la fin du premier acte, et que l’on retrouve sous la neige pour le suicide d’Edgardo devant la dépouille de Lucia? Quelle était cette fresque suspendue dépeignant un homme s’attaquant à une bête qu’on imaginait être un taureau?

Dans la fosse, par contre, l’Orchestre symphonique de Montréal était brillamment dirigé par l’Américain Cal Stewart Kellogg.

Le public a applaudi entre les fameux airs, ce qui nuit à l’unité dramatique; et au moins deux fois des sonneries de cellulaire ont retenti, ce qui nuit à la concentration de tout le monde, musiciens et spectateurs!