Richard Séguin : Climat de confidence
Musique

Richard Séguin : Climat de confidence

Exit les synthés, exit les guitares électriques. Avec son nouvel album, RICHARD SÉGUIN se propose un retour aux sources en enrichissant son univers musical d’un quatuor à cordes. Genèse d’un microclimat.

Depuis 15 ans, Richard Séguin nous avait habitués à un rythme de production bien à lui: un album, accompagné d’une tournée d’un peu plus d’un an, suivie de deux années de réclusion. Un disque aux trois ans, donc. Il y a dérogé avec D’instinct, paru quatre années après Aux portes du matin. Il y déroge cette fois encore, puisque entre Microclimat, son tout nouvel album, et son prédécesseur, ce sont cinq années qui se sont écoulées. "C’est le procédé de distillation qui est plus long, rigole Séguin. Mais c’est pas que je fais rien, j’arrête pas de travailler!"

Il est vrai qu’au cours des cinq dernières années, il n’a pas chômé, le Richard. Bien sûr, il est parti en tournée durant presque 18 mois afin de présenter D’Instinct, mais il s’est également permis de sortir du milieu musical, travaillant à l’élaboration d’un sentier de poésie ou s’adonnant davantage à l’art de la gravure. Il a prêté sa plume aux autres aussi, quelque chose qu’il n’avait fait que rarement jusqu’alors, comme il a travaillé à la mise en musique d’un poème de Nancy Huston, des activités où il se dit beaucoup plus à l’aise que dans ses propres chansons pour faire éclater les formes. Et à travers tout ça, un album a peu à peu pris forme…

Les Bouts de papier
À chaque fin de tournée, Richard Séguin vit, à quelques différences près, le même épisode: il dit au revoir à sa bande de musiciens pour s’en retourner à Saint-Venant, le petit village d’une centaine d’âmes qu’il habite depuis près de 30 ans, un cahier de notes noirci de mots et de mélodies dans les poches. Bientôt commence une nouvelle session d’écriture. "Tu commences par la phrase la plus vraie qui te vient en tête, indique Séguin. Si c’est "J’ai faim", ce sera "J’ai faim", si c’est "Je me trouve au bout de l’horizon", ce sera ça. La phrase la plus vraie qui te vient au moment, c’est le point de départ, c’est ce qui va commencer l’écriture. Je ne peux pas dire que je vis le syndrome de la page blanche, mais chaque fois, c’est de me remettre dedans. Une fois que le premier pas est fait, tout marche. C’est de se laisser le temps aussi, moi j’ai besoin de temps."

De semaines en mois, de mois en années, les mots, les notes prennent place sur le papier. Bientôt le cahier est complet. Des chansons, il y en aura 10. Dix textes à la fois simples et fignolés, à la fois directs et métaphoriques, reliés par une thématique précise, celle du microclimat, illustrant à la fois que tout commence par "de petits gestes et une volonté individuelle", et cet univers sensible que font naître une dizaine de musiciens qui unissent leurs talents: "Quand on est un groupe, qu’on décide d’imaginer ensemble, on crée un microclimat, on crée vraiment un espace en dehors de l’environnement, explique Séguin. C’est une façon de recréer son monde."

Le Son des songes
Un arpège de guitare, quelques notes d’harmonica et la voix d’un Richard Séguin qui, à la veille de la cinquantaine, se rappelle "un goût d’été dans un baiser". Tout ça en moins de 10 secondes et le ton est donné à l’album. Si l’équipe de musiciens de Séguin a considérablement changé, qu’il s’est adjoint les services d’un quatuor à cordes et que, parmi ses nouveaux complices, on remarque la présence d’Hugo Perreault, le guitariste d’Okoumé, l’homme de Saint-Venant est loin d’avoir mijoté un grand virage stylistique. Il s’est plutôt appliqué à poursuivre cette vaste fresque musicale qu’il a entreprise il y a maintenant plus de 30 ans, d’abord avec sa soeurette, puis, l’instant d’une collaboration, avec Serge Fiori, avant de faire cavalier seul. "Je traverse l’étape où il y a deux réactions, explique le chanteur. Ou les gens disent "C’est la même affaire", ou les gens disent "C’est le fun, il est fidèle à lui-même". C’est comme un passage presque tracé, à un moment donné il y a des points de repère que l’on reconnaît, il y a un style. Je m’attendais à ce qu’on me critique là-dessus, mais à moment donné j’ai passé par-dessus ça. C’est très particulier au Québec, ça, le syndrome d’une constante nouveauté, je comprends l’appétit d’avoir des choses nouvelles, mais pour moi c’est un piège aussi, on ne demande pas ça à Neil Young, à Springsteen, à John Hiatt ou à Bonnie Raitt… J’en parlais à Rivard, il a les mêmes critiques. Alors moi je fais du Séguin, lui il fait du Rivard! Qu’est-ce qu’ils veulent qu’on fasse!" conclut-il d’un grand rire.

Séguin poursuit donc sur Microclimat les réflexions et les thématiques qui lui sont chères avec une précision d’écriture remarquable. On y retrouve le Séguin politisé et militant sur Les P’tits Pouvoirs, inquiet d’une démocratie qui prend l’allure d’une monarchie, inquiet que la mobilisation pour contrer les actions de ceux qui veulent "changer le vrai monde pour un guichet" demeure au stade de la rhétorique. On en découvre un autre qui, à l’ère de l’égoïsme et du nombrilisme, interpelle l’altruisme et la conscience sociale avec Dans nos silences, l’une des pièces qu’il dit avoir eu le plus de mal à écrire, car il se devait, justement, d’être en mesure d’habiter chacun de ces silences, ceux des Orphelins de Duplessis, comme ceux des sans-abri: "L’autre pays où rien ne brille/C’est aussi ma famille/Et c’est ton frère et c’est ta fille/Fragments d’amour que l’on gaspille." Et bien sûr, on retrouve le poète de l’intime, celui qui sait évoquer les calmes et les tempêtes de l’amour avec une étonnante sérénité, qui sait s’extasier devant la vie, devant l’intangible et qui, pour la première fois, parvient à concilier l’intime et le social sur Laisse ouverte un peu la fenêtre, un texte de son vieux complice Marc Chabot: "Laisse un peu ouverte la fenêtre/Que sorte enfin la poésie/Qu’elle coure seule en pleine nuit/Offrir au monde ses rêveries."

Chansons pour durer toujours
Signe des temps, des tempes grisonnantes ou des pattes-d’oie qui s’impriment à la naissance des paupières du chanteur, on a l’impression qu’un brin de nostalgie se dessine en filigrane de Microclimat, surtout quand on écoute Night of Blues ou encore Chevrolet 59, qui évoque les souvenirs de jeunesse de Séguin. "Ce sont les deux chansons de l’album qui sont reliées à des souvenirs, reconnaît le chanteur. Mais je ne les pense pas en termes de nostalgie, je vois ça vraiment comme un arbre, à la verticale, je ne suis pas capable de nous découper en sections de vie. Le petit gars de sept ans qui attend une attention de son père m’habite encore à 48 ans, de façon différente, avec toute la compréhension que j’en ai, mais en quelque part, il m’habite de la même façon que l’adolescent innocent quand il va prendre sa ride de char à Vancouver. Je ne suis pas capable d’établir des chronologies comme des pages ou un chapitre que l’on va mettre sur l’étagère."

Pas vraiment de nostalgie, donc, mais des souvenirs. Des souvenirs dont Séguin garde une conscience aiguë et des souvenirs qui sont devenus, peut-être un peu malgré lui, le véritable moteur de création de Microclimat. Car quand on lui demande d’expliquer le pourquoi du dépouillement qui règne sur son album, Séguin est incapable de mettre le doigt dessus. Il indique que pour lui, il était clair que la simplicité était le mot d’ordre, mais qu’il ne saurait dire d’où émanait cette volonté. C’est visiblement en toute fin d’album, sur cette espèce de point d’orgue, cette boucle qu’est Il faut croire au bonheur, une des rares reprises de Séguin, qu’il faut chercher.

Cette chanson d’Eugène Lapierre était l’une des chansons que les parents et les arrière-grands-parents du jeune Richard chantaient durant les années 50. En renouant avec cette pièce empreinte de naïveté, Séguin a voulu replonger dans l’origine de son contact avec la musique afin de mieux rendre la chanson. Cette démarche est devenue le leitmotiv de l’album et du spectacle: "Quand j’ai parlé aux musiciens, je leur ai dit: "Interrogez la première impression musicale que vous avez eue et interrogez la source de ce qui vous a fait prendre un instrument." Il y a un point d’enthousiasme dans l’approche de la musique qui appartient à ces instants-là et cette impression est vibrante en dedans de nous. Tout le spectacle de Microclimat, pour moi, est sous-jacent à ce merci des origines, à cet enthousiasme qui n’est pas perdu, parce que je le vois en synchronicité dans l’espace-temps."

On the Road Again
Séguin et la bande qui a donné naissance à Microclimat se promènent sur la route depuis maintenant près d’un an, soit avant même que l’album n’ait été enregistré. D’une représentation à l’autre, le spectacle s’est considérablement transformé, acquérant au passage une remarquable fluidité pour un ensemble de huit musiciens. Le travail a été ardu, Séguin se rappelle des premiers temps où le quatuor à cordes et son quatuor pop avaient du mal à cohabiter, mais aujourd’hui, la bande travaille avec une grande complicité et le chanteur se dit fasciné par les résultats: "C’est bien plus une gang que deux quatuors qui se rencontrent, explique-t-il. On a vraiment travaillé dans l’intention de regarder les chansons avec un regard neuf et c’est incroyable toutes les possibilités qui s’offrent à nous, j’ai l’impression que ce que l’on fait n’est qu’au stade embryonnaire…"

Bien qu’il puise dans son vaste répertoire pour donner un nouveau souffle à ses vieux succès, Séguin est loin de s’empêtrer dans son passé discographique. En fait, l’entièreté de Microclimat, à une chanson près, se retrouvera sur scène. Pas étonnant quand on sait que Séguin, éternel insatisfait, serait encore en studio si personne ne l’avait arrêté. Son spectacle deviendra donc l’occasion de constater le nouveau degré de perfection qu’a atteint le chanteur: "Ce sont les musiciens et les producteurs qui, à un moment donné, arrivent et disent: "C’est assez!", raconte Séguin. Je recommencerais tout le temps! C’est pour ça qu’en tournée, j’ai l’impression de refaire l’album en l’améliorant, soir après soir."

Les 15 et 16 mars
Au Grand Théâtre