Alfred Brendel : Dans la note
Musique

Alfred Brendel : Dans la note

Après avoir connu un succès tardif, le grand pianiste Alfred Brendel fait rayonner dans le monde la musique de Beethoven, Mozart et Schumann. Des compositeurs familiers parmi le grand  public.

En janvier dernier, le réputé pianiste autrichien célébrait son 70e anniversaire de naissance. Brendel a donné son premier récital à dix-sept ans. Faisons le calcul, ça donne 53 ans de carrière, soit à peu de chose près l’âge de la Faculté de musique de l’Université de Montréal, qui fête, on le sait, son cinquantenaire. Est-ce le motif qui explique la visite du musicien, qui se fit plutôt rarissime chez nous?

Pour le savoir, il faudra peut-être assister à l’entrevue publique que le pianiste accordera, salle Claude-Champagne, à 17 h 30, le 30 mars – soit la veille de son récital dans cette même salle – car il se montre avare de son temps pour des interviews avec les journalistes et chroniqueurs…

Si le nom de Brendel est aujourd’hui connu de la plupart des mélomanes et discophiles, pour Brendel le succès fut relativement lent à venir. Ce n’est qu’à la suite d’un récital, donné à Londres, d’oeuvres rarement jouées de Beethoven que des maisons de disques lui proposèrent des contrats d’enregistrements. Il fut ainsi le premier pianiste à endisquer toutes les oeuvres pour piano de l’auteur de la Sonate Clair de lune; c’était dans les années 60 pour Vox Turnabout, marque bon marché, mais souvent synonyme de qualité (la maison Naxos n’a rien inventé, après tout). Pour Philips, étiquette avec laquelle Brendel est lié par un contrat d’exclusivité, il a réenregistré deux fois le cycle des 32 sonates dudit Beethoven, d’abord dans les années 70, puis dans les années 90, et trois fois l’intégrale des concertos, avec les chefs Bernard Haitink, James Levine et Simon Rattle (cette dernière réalisation étant considérée par beaucoup comme un coup de maître n’appelant que des éloges).

Mais sous ses doigts, bien d’autres compositeurs ont trouvé des interprétations sensibles, parfois intellectualisées selon certains commentateurs, mais toujours fascinantes, notamment Liszt, Mozart (quels beaux concertos il a faits avec Neville Marriner et son Academy of St-Martin-in-the-Fields), Schoenberg, Schumann et Schubert (voir plus loin l’appréciation de son dernier disque consacré à ce compositeur).

À l’occasion de ce 70e anniversaire, Brendel s’est lancé dans une tournée mondiale (de Bruxelles à Tokyo, en passant par Londres, Paris, Vienne et Boston, entre autres) de récitals en soliste et comme accompagnateur du baryton Matthias Goerne, de concerts de musique de chambre et de concertos de Mozart, de concertos de Beethoven et de Schumann, et même de séances de lecture de poèmes (n’oublions pas que le musicien est également écrivain) avec la participation du pianiste Pierre-Laurent Aimard. Étrangement, le programme des récitals pour 2001 est toujours le même, annonce la maison Universal: Sonate en sol mineur de Haydn, Sonate en la mineur et Fantaisie en ré mineur de Mozart, Variations Diabelli de Beethoven. C’est assurément un rendez-vous à ne pas manquer!

Samedi 31 mars, 20 h
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FRANZ SCHUBERT: SONATES POUR PIANO D894, D575, D959 ET D960, NOUVEAUX ENREGISTREMENTS PRIS SUR LE VIF
(ALFRED BRENDEL, PIANO, DISQUES PHILIPS)
Dans les notes qui accompagnent ce double CD, le musicien se dit "ravi que Philips fasse paraître ces correctifs, alternatives et compléments à mes enregistrements en studio antérieurs". Doit-on y lire un aveu de sa part comme quoi il serait un éternel insatisfait? Dans le fond, peu nous importe, tant le plaisir d’écoute est grand. Ces enregistrements de qualité ont été faits à Francfort, Amsterdam, Aldeburgh et Londres, respectivement en septembre et octobre 1998, juin 1999 et juin 1997 – dans les deux derniers cas avec la collaboration de BBC Music – devant un auditoire presque inaudible. Ceux qui connaissent déjà les interprétations passées de Brendel savent qu’il aborde ces oeuvres d’une façon unique, voire moderne. On peut lui préférer d’autres grandes références, comme Rudolf Serkin, Radu Lupu ou Sviatoslav Richter, comme on peut préférer le son du studio à celui des captations publiques. Pourtant, il y a ici une urgence propre au domaine du concert, quand l’instrumentiste sait prendre des risques et saisir l’attention du public par des accents inattendus et un incomparable sens du phrasé. Il faut aussi signaler que c’est la première fois que l’on peut entendre la Sonate en si mineur, D575 dans l’immense discographie consacrée à Schubert par Brendel et que le résultat s’avère fascinant. Pour conclure, disons que ce double CD a tout pour plaire aux admirateurs du pianiste, mais aussi aux amateurs de beau piano, et qu’il sera suivi de deux disques de concertos et de sonates de Mozart.

MINI-RETOUR SUR LE CONCERT D’EWA PODLES
C’est toujours avec une certaine appréhension qu’on assiste au concert d’un musicien d’abord connu et admiré grâce aux galettes de vinyle ou à leurs successeurs audio-numériques.

Comment décrire l’effet qu’a provoqué la contralto polonaise?

Bien que cela n’ait pas été officiellement annoncé, la chanteuse souffrait d’une grippe; d’où, sans doute, le programme limité à trois extraits de Rinaldo de Haendel (dont le sublime Cara sposa) en première partie et à deux extraits d’Orphée et Eurydice de Gluck (dans un français d’une diction impeccable) après l’entracte. Cependant, avec sa voix phénoménale, au grave profond, au médium chatoyant et à l’aigu scintillant – et quelle virtuosité dans la cadence de l’air Amour, viens rendre à mon âme – et sa saisissante présence en scène, Ewa Podles a tenu parole. Elle a insufflé vie à ces musiques plus que tricentenaires et ainsi littéralement ensorcelé le public de la salle Pierre-Mercure, le 16 mars dernier.

On comprend facilement le quasi-délire qui s’est manifesté au moment des applaudissements. Madame Podles a donc accordé deux rappels: un extrait du Didon et Énée de Purcell à tirer les larmes et un autre d’Ariodante de Haendel, plus virtuose que senti dans ce cas-ci.

La Chapelle de Montréal complétait la soirée avec des oeuvres instrumentales des susnommés Haendel et Gluck, assez joliment exécutées d’ailleurs. Il était pourtant évident que le gros des répétitions avait porté sur l’accompagnement des airs chantés. Qu’on songe aux soubresauts du corps saisi de pleurs habilement suggérés par l’orchestre dans le fameux Cara sposa, ou encore aux éléments déchaînés qu’évoque l’air Venti, turbini.

Une fois de plus, Yannick Nézet-Séguin mérite une mention très bien pour l’excellence de son travail.