Stephen Faulkner : Éclats de vers
Musique

Stephen Faulkner : Éclats de vers

Il y a eu le Cassonade qui, auprès de Plume, voulait "faire son lead", le FAULKNER western qui rêvait d’avoir "un char", celui du rock qui voulait être une "rock’n’roll star" et, enfin, celui de la country, à qui "la gloire [faisait] des pieds d’nez". Huit ans après l’excellent Caboose, Tessons d’auréole nous fait découvrir un autre Faulkner, féru de jazz, de chanson française et de romance, celui-là.

Calé dans un des fauteuils du salon du Grand Théâtre, Stephen Faulkner sirote un espresso. Veston, chemise noire boutonnée jusqu’au col, cravate et chapeau noir, il n’a décidément plus rien du chanteur country qui arborait le Stetson sur son premier long jeu, si ce n’est les bottes de cow-boy. Qu’est-il donc survenu au cours des huit dernières années pour que Cass s’intéresse au jazz et à la chanson française au point d’en changer son look? Est-ce ses maints séjours en France ("entre 55 et 57 voyages pour un total d’environ quatre des 18 dernières années", comme il aime à le préciser) qui l’ont fait débarquer de sa selle, lassé d’être "le Jesse James de la rue Rivoli"? "Je ne sais pas, indique-t-il, un peu embarrassé. J’ai déjà entendu des propos de Joni Mitchell qui disait que toutes les musiques menaient au jazz. C’est vrai, je pense, tu retournes à la pureté de cette musique-là parce que c’est la mère de toutes les musiques. Mais moi, ce qui m’intéresse d’abord, c’est le jazz comme support des textes, car le jazz me donne toute la latitude nécessaire pour m’exprimer."

Fermez les honky tonks
Tessons d’auréole, le plus récent album de Faulkner, apparaît être à la fois un bilan et un tournant dans la carrière du chanteur. Bilan parce que Faulkner n’hésite pas à regarder derrière, se rappelant ses premières expériences musicales alors que son père, féru de jazz, animait le domicile familial de sa musique, expérience marquante s’il en est, et qui trouve sans l’ombre d’un doute un vibrant écho tout au long de l’album: "Daddy jouait par oreille de ses dix doigts/Du blues, du swing, du boogie-woogie, c’était le roi/Je me revois à quatre pattes sous le piano entre ses pieds/Essayant d’attraper les grosses pédales dorées". Bilan parce qu’il contient de vieilles pièces remises à neuf et inédites à ce jour, comme Alias alias, une réponse humoristique aux maints sobriquets dont on l’a affublé, le plus célèbre, Cassonade, lui provenant de ses années auprès de Plume: "Alias, alias/Nom de famille, nom de baptême/Nom de plume, nom de scène/Jamais le même/À force de changer de nom/Comme on change de chemise/J’sais plus lequel est le bon/Lequel serait de mise". Bilan, enfin, parce qu’il contient L’Étoile vagabonde, la très belle suite à Doris, cette chanson qui, 20 ans plus tôt, relatait le parcours d’une chanteuse errant "de bars en grills" pour mener à bien ses rêves d’enfant.

Quant au tournant que marque Tessons d’auréole, c’est bien sûr cette entrée pleinement assumée dans le monde de la chanson à texte et d’un jazz tantôt swing, tantôt manouche. Faulkner peut désormais se permettre d’effectuer une lecture fort pertinente du Je m’voyais déjà d’Aznavour ou encore s’attarder à dépeindre avec adresse le quotidien sur Les Briquets, un très beau texte sans prétention, qui raconte avec humour le sort des briquets que l’on perd, que l’on retrouve et qui peuvent même être au coeur de la romance: "Ils nous allument les soirs de premier rendez-vous/Quand brille la lune et que la belle fait les yeux doux/Ils sont de mèche pour peu que l’amour s’éveille/Quand le péché tend la perche, ils sont rayons de soleil".

"Sur du rock, tu n’as pas le temps de chanter quelque chose de smooth, il faut que tu hurles, explique Faulkner. Le jazz, ça te permet de faire la cour aux femmes, de chanter des choses romantiques. C’est des trucs qui ont peut-être l’air ringard pour certaines personnes, mais je trouve que ça manque dans la chanson au Québec. On a dit souvent de Ferland qu’il chantait bien aux femmes, mais qui d’autre l’a fait?"

À l’est d’Éden
Faulkner chanteur de charme? Ben voyons! Rien ne semblait prédestiner l’auteur de La nuit est jeune et de Cajuns de l’an 2000 à jouer un tel rôle. "Rien ne me prédestinait à gagner ma vie de la musique non plus!" objecte le principal intéressé, rappelant que si Plume ne l’avait jamais vu gratter de sa six cordes et que s’il n’avait pas eu l’audace de lui répondre qu’il pouvait être son guitariste soliste, il n’aurait probablement jamais fait carrière dans le domaine. C’est cette même audace qui, quelques années plus tard, lui faisait mettre un terme à sa collaboration avec Plume, peu après la parution du fameux Pommes de route. "Ça prenait un sacré culot de ma part parce que je ne savais pas du tout ce que j’allais faire et où j’allais me retrouver", reconnaît-il.

C’est à la source qu’il s’est retrouvé, les doigts sur le clavier et les pieds sur les pédales dorées du piano familial, en 1976. Il pond alors pas moins d’une trentaine de chansons, soit l’essentiel de ses deux premiers albums solo, Cassonade, paru en 1978, l’album de country sur lequel on trouve l’irrésistible Si j’avais un char, ainsi qu’À Cheval donné on r’garde pas la bride, nettement plus rock, paru deux années plus tard. "Pourquoi le chapeau de cow-boy et la saveur country? C’est une suite de hasards, indique le chanteur. Je n’ai jamais su où j’allais dans la vie, mais j’ai toujours su ce que je ne voulais pas faire. À l’époque du disco, je savais que je ne voulais pas faire de disco, je savais que je ne voulais pas me servir de synthétiseurs et je savais que je ne voulais pas faire de rap, à part Le Rap du pape, qui était rigolo."

Mais l’aventure solo de Faulkner avec les maisons de disques tourne rapidement au cauchemar. Les uns après les autres, ses albums disparaissent aussi vite qu’ils naissent en raison d’une série d’interminables malchances: des compagnies qui font faillite, d’autres qui préfèrent suivre la mode disco. La décennie 80 sera particulièrement dure pour le chanteur, seuls quelques 45 tours dont son fameux Rap du pape, boudé par les radios car jugé irrévérencieux avec ses "Pape-Photo, Papsi, Pap-corn", ainsi qu’une première pièce à saveur jazz, Café Rimbaud, paraîtront. Mais l’artiste ne se décourage pas. Il arpente la province, se permet des voyages, fait paraître Caboose en 1992 pour sillonner les routes de plus belle les huit années suivantes. Et son métier, qui ne lui fait pas de cadeau, lui inspire quelques-unes de ses meilleures chansons, qu’il s’agisse de Troubadour, d’Ils chantent ou de Tu peux mener ton cheval jusqu’à l’abreuvoir: "Oh non, j’suis fait/Encore un show pour la machine à cigarettes/C‘est une vieille histoire/C‘est tranquille à soir/Et je joue le blues/Pour payer ma chambre et ma booze."

J’m’en va r’viendre
Non, Faulkner ne l’a pas eue facile. Il ne se plaint pas, remarquez, il l’a un peu voulu ainsi. Des offres, il en a eu plus d’une. Il a refusé poliment une invitation à participer à Starmania, ne se voyant pas du tout dans les chaussures de Claude Dubois, comme il a refusé près d’une demi-douzaine d’offres pour faire des albums qui ne se seraient pas déroulés selon son gré. "C’est vrai que je devais être assez têtu pour refuser toutes ces offres-là, concède-t-il. Je me suis toujours battu pour faire les choses à ma façon. J’ai toujours été amoureux de mon métier et prêt à bien le faire, mais j’ai chié sur les affaires qui me déplaisaient. N’empêche que c’est toutes ces affaires-là qui font que j’ai pu faire un album comme Tessons d’auréole. S’il faut que je perde des choses parce que je tiens à être fidèle à ma passion, ben ma passion va l’emporter sur le reste, c’est sûr, je n’ai rien à perdre."

Tout au long de ses 30 années de métier où il a poursuivi son p’tit bonhomme de chemin, Faulkner a su réunir autour de lui les meilleurs musiciens du Québec. Il a fait un peu la même chose pour la tournée de Tessons d’auréole, en misant cette fois sur la relève, de jeunes loups du jazz "qui lui bottent le cul". L’excellent pianiste et joueur d’orgue Hammond, Thüryn Von Pranke, est à la tête de son orchestre, que complètent Frédéric Darveaux à la contrebasse et Martin Auguste à la batterie.

Encouragé par la belle complicité qu’il a développée avec sa jeune équipe, par sa nouvelle façon de travailler où il lègue à Von Pranke la tâche d’orchestrer ses pièces, et par la bonne réception de ses Tessons d’auréole, Faulkner compte bien éviter que huit autres années ne s’écoulent avant son prochain album. Il a d’ailleurs sa petite idée sur la tournure que ses pièces pourraient prendre. "J’aimerais bien tâter du côté Gainsbourg, provoquer un peu, parce que la chanson, ce n’est pas le micelle… ", explique-t-il. Puis, avec un sourire malicieux, il échappe quelques vers d’une pièce sur laquelle il travaille ces jours-ci: "Elle est ma baronne, je suis employé et je ramone avec ardeur sa cheminée. Quand elle me voit couleur de suie, cela va de soi, […] d’un bas de soie elle m’essuie." Et il enchaîne ensuite avec un vers d’une autre pièce en chantier, un vers qui résume à lui seul le parcours de celui qui a des ailes, mais qui n’est pas un ange: "Jésus m’a montré le droit chemin, mais le Diable m’a remis sur la track."

Le 12 avril
Au Grand Théâtre
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