

Tosca : Passions de femme
Dans le riche panorama des divers genres de la musique classique, l’opéra est sûrement la forme qui exprime le plus ouvertement les passions tragiques du coeur humain: amours impossibles ou tourmentées, violence et goût du pouvoir, souffrances morales et hantise de la mort. En nous présentant Tosca de Puccini, l’Opéra de Québec nous en offrira une démonstration musicale convaincante.
Jean-Guy Gaulin
Photo : Off Broadway Photo
Parmi les 12 opéras de Puccini, Tosca occupe vraiment une place centrale et très significative. Créée à Rome en janvier 1900, cette oeuvre se situe exactement entre les deux autres opéras majeurs de Puccini: La Bohème (Turin, 1896) et Madame Butterfly (Milan, 1904). Une véritable trilogie du génie scénique.
L’opéra Tosca est basé sur un drame supposément historique de Victorien Sardou (1831-1908), où l’auteur français relate un épisode de la guerre entre Napoléon Bonaparte et le pouvoir italien. En réalité, la nouvelle de Sardou est une pièce populaire de boulevard qui sait mélanger les ingrédients infaillibles du sexe, de la religion, de l’amour et de la mort. Présenté sur scène par la grande Sarah Bernhardt dans le rôle de Floria Tosca, le psychodrame plut énormément à la nature pessimiste de Puccini. Après plusieurs efforts, il obtint de Sardou l’autorisation de le transposer en musique. Le libretto fut laborieusement et très soigneusement adapté en italien par Luigi Illica et Giuseppe Giacosa.
Comme c’est le cas dans plusieurs opéras, le scénario purement littéraire et dramatique est assez farfelu. La cantatrice Floria Tosca est amoureuse du peintre Mario Cavaradossi, qui s’est isolé dans une église pour réaliser un grand tableau représentant Marie-Madeleine. Un prisonnier politique, Cesare Angelotti, se réfugie auprès du peintre pour fuir le cruel baron Scarpia, chef de la police romaine. Influencée par Scarpia, qui veut la posséder pour lui seul, Floria Tosca devient convaincue que son amant Cavaradossi la trompe avec la femme qui sert de modèle pour le tableau. Une jalousie injuste et fatale, qui provoque inconsciemment un tel désastre que les quatre acteurs principaux meurent avant la fin de l’opéra: Angelotti se suicide, Cavaradossi est exécuté sur l’ordre de Scarpia par les soldats romains, Scarpia est poignardé par Floria Tosca. Poursuivie par les soldats, cette dernière se jette dans le vide! Le triomphe total du mal, de la solitude et du néant…
Aujourd’hui, un scénario aussi macabre donnerait un film ou une émission télévisée. À l’époque de Puccini, il inspira un excellent opéra dramatique. Mais il fallait vraiment tout le génie du compositeur, qui enrobe les diverses étapes du drame d’une musique orchestrale somptueuse. Très consciemment, Puccini choisit d’ignorer le côté historique de l’épisode, pour en faire exclusivement un drame centré sur l’amour et la passion. Puccini a vraiment le don d’aller chercher les situations émotionnelles et de les exprimer de façon envoûtante par sa musique magistrale. La splendeur orchestrale est complétée par la richesse des choeurs et par des airs solistes devenus célèbres: Recondita armonia, Vissi d’arte, et surtout l’immortel E lucevan le stelle.
Évidemment, le caractère visuel de la mise en scène ajoute aussi son effet saisissant. Pour donner un seul exemple, mentionnons le rituel étrange, avec chandelles et crucifix, auquel se livre Tosca après avoir tué Scarpia. Durant cet épisode qui termine le deuxième acte, la seule musique est présente, majestueuse et sans paroles.
Précisions locales
À l’Opéra de Québec, la collaboration entre le directeur artistique Bernard Labadie et le metteur en scène Serge Denoncourt a déjà donné d’excellents résultats dans deux opéras de l’époque classique avec Mozart (Cosi fan tutte et Le Nozze di Figaro). Réunis à nouveau pour la présentation d’un opéra de l’époque romantique, ils nous en mettront sûrement plein la vue. Surtout si l’on considère que cette production sera offerte dans des décors originaux, créés spécialement pour l’occasion par le scénographe Guillaume Lord. Un spectacle tout à fait exclusif et nouveau, même pour les mélomanes qui ont déjà vu l’oeuvre sur d’autres scènes.
Les moyens mis en place sont d’ailleurs très impressionnants: sept solistes, plus de 70 musiciens, deux chorales (le Choeur de l’Opéra de Québec et la Maîtrise des petits chanteurs de Québec), sans oublier les très nombreux artisans obscurs mais absolument nécessaires pour la réalisation d’un projet d’une telle envergure. Les principaux solistes retenus pour interpréter les rôles-clés sont vraiment à la hauteur de cette minutieuse préparation. Dans l’exigeante réincarnation de Floria Tosca, la soprano canadienne Michele Capalbo démontrera les qualités que lui a reconnues la critique: "présence scénique saisissante et voix rare d’une vraie soprano dramatique". Le peintre Cavaradossi sera personnifié par le ténor américain Mark Nicolson, qui a déjà chanté ce rôle plus de 50 fois sur des scènes importantes du monde de l’opéra. Et sans aucun chauvinisme, soulignons la présence bienvenue de deux artistes québécois qui connaissent une carrière croissante chez nous et à l’étranger: le baryton Gaétan Laperrière dans le rôle central de Scarpia et la basse Alain Coulombe dans celui du Sacristain. Ces deux artistes, respectivement originaires de Montréal et de Matane, ont déjà été réunis sur scène dans l’opéra Fedora de Giordano (Montréal, 1995) et dans La Traviata de Verdi (Toronto, 2000).
Cette somptueuse réalisation de Tosca de Puccini par l’Opéra de Québec sera certainement un événement mémorable. Encouragés par les auditoires croissants qui ont accueilli leurs plus récentes réalisations scéniques, les responsables ont planifié cinq soirs de représentation. Un défi réaliste, car les mélomanes doivent maintenant se hâter pour réserver les billets encore disponibles.
Une occasion à ne pas manquer, pour connaître une exceptionnelle expérience musicale et théâtrale…
Les 12, 15, 17, 19 et 22 mai
Au Grand Théâtre
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