Alain Souchon : Full sentimental
Musique

Alain Souchon : Full sentimental

Porté par une poignée de nouvelles chansons brillantes en perpétuelle ascension dans les radios, ALAIN SOUCHON est reparti depuis mai sur les routes, avec dans ses bagages une petite galerie de personnages fragiles et tendres que la vie ne cesse d’écorcher. Lors de sa récente tournée promotionnelle, nous avons échangé politesses, papotage puis questions sérieuses avec l’un des grands de la chanson française.

Commençons par le commencement. Comment allez-vous?

"Très bien, il fait un temps magnifique. Je ne vois chez vous que des gens gentils."

Vous avez réussi à surmonter cette peur de l’avion qui vous a fait nous manquer. Valium ou thérapie?
"[Rires] Non, ça va beaucoup mieux. Si je suis pas venu avant, c’est que j’avais mis beaucoup de temps pour faire mon album, il fallait que… heu, j’avais plein de choses à faire. Mais dès que j’ai pu, je suis venu."

Parlant de transport, sur le plancher des vaches, il semble que vous trouviez souvent l’inspiration en marchant interminablement.
"Tout à fait. Lorsque je me mets à un bureau, j’ai tendance à m’endormir. Alors je marche. Je vais dans la nature ou bien dans Paris. Je marche jusqu’à ce que je trouve des phrases. Je m’en vais à la pêche aux phrases, comme vous allez à la pêche au saumon. Et puis je reviens avec des phrases, je les note et puis… et puis très souvent elles me plaisent plus le lendemain. Alors, je retourne à la pêche."

Vos biographes vous décrivent nerveux, anxieux, inquiet, pessimiste, triste, nostalgique.
"Ben oui, mais je suis aussi fantaisiste, j’espère. J’ai une tendance profonde à être comme vous dites, mais je résiste. Enfin, c’est la moindre des choses d’être un peu rigolo."

Donc, c’est la gêne qui donne l’impression qu’en public vous avez parfois envie d’être ailleurs?
"[Silence glacial] Ah ça, je sais pas. Ailleurs? Non! De pas écouter ce qu’on me dit? Pas du tout… [long silence glacial]."

Il n’y a pas d’ambiguïté pour vous entre votre nature pudique et la nécessité de monter sur scène chanter pour quelques milliers de personnes ?
"C’est-à-dire… très longtemps ça a été pénible pour moi. J’étais très réservé. J’étais traqueur, démoli par le trac. Longtemps, pendant des années, j’ai eu un peu de plaisir et beaucoup le trac. Maintenant, j’ai un peu moins le trac et beaucoup de plaisir."

Dès votre premier album, une certaine nostalgie du passé s’est installée. Entre Rockcollection et Les Regrets, c’est devenu un fil conducteur important.
"Tous les hommes sont nostalgiques. On regrettera toujours sa petite enfance. Les moments d’insouciance de notre jeunesse. Le temps irrémédiablement passé qui ne reviendra jamais. Et ce trésor qui part dans le temps qu’on ne peut plus rattraper, ça fait peur. D’autres s’occupent du présent, des affaires, ils ont pas le temps de s’offrir une petite nostalgie. Moi, j’exagère…"

Quand est-ce que Souchon a acquis une identité propre? Une signature identifiable?
"Oh… en 1977-78, je crois, quand j’ai fait la chanson Allo maman bobo. Avec cet album qui s’appelait Jamais content. On m’a reconnu comme quelqu’un qui écrivait un petit peu différemment des autres."

D’ailleurs, c’est à ce moment-là que j’ai commencé à diffuser vos chansons à la radio. Des auditeurs éberlués m’ont demandé méchamment: "Qui est cet abruti qui balbutie des phrases comme un enfant de 10 ans?" Avez-vous subi les mêmes réactions en France ?
"Oui. Au début, j’avais une façon de faire s’entrechoquer les mots un peu nouvelle. Les images surgissent d’une manière plus rapide quand on évite la grammaire. Quand on met des mots d’anglais, des mots d’argot pour que ça suggère vite. Parce que la chanson, c’est rapide. Alors j’essaie que ce soit le plus clair possible. De toute façon, tant qu’à faire, faut faire les choses d’une manière nouvelle. Sinon ça n’a pas d’intérêt."

Vous avez écrit Toto trente ans rien que du malheur quand vous aviez à peu près 30 ans. Dans cette chanson, vous contempliez vos premières rides. Quel est votre sentiment lorsque, presque 30 ans plus tard, vous regardez le chemin parcouru?
"Qu’il faudrait que je me fasse faire un lifting, refaire le nez ou je sais pas… [rires] Non mais, on est toujours un petit peu gêné par son physique, par sa voix, quelque chose, et puis ma foi, on s’habitue. C’est le seul intérêt de l’âge: on s’habitue."

Auriez-vous pu écrire un Toto cinquante-cinq ans rien que du malheur?
"Oui, j’aurais pu, parce que j’ai trouvé que 30 ans, c’était vraiment quitter l’adolescence et l’enfance. Quarante ans, ça m’a rien fait, mais 50 ans, c’est très différent. On entre dans un monde… ouf, là on est vraiment des grandes personnes. Les amis, les gens de notre âge sont ministres… C’est le monde des vieux déjà. On est en forme, heureusement."

Dans Sous les jupes des filles, vous avancez que c’est le désir sexuel inassouvi qui fait que les hommes sont si cons et par extension si violents.
"C’est sûr! Je pense que les hommes, enfin les hommes et les femmes, on aime beaucoup ces rapports qui nous font voler. Enfin… le bonheur est dans l’amour. À partir du moment où il s’efface, ce côté-là, parce que c’est trop dur, les hommes se mettent à être chasseurs, à faire des guerres ou à se passionner pour des conneries puisqu’il faut se passionner dans la vie. Alors c’est mieux de se passionner pour des femmes."

Pourquoi tous vos personnages masculins sont-ils des perdants, des défaits, des décevants qui se cassent la gueule en amour?
"Ah! [rires] parce qu’on est tous un peu comme ça. On est tous un petit peu décevants. On a tous un côté de nous-mêmes un peu brillant, un peu éclatant. Et puis un autre côté pfuiiiiit, on se conduit pas comme on devrait. On est un peu nuls…"

Vous, par contre, vous êtes stable, marié depuis longtemps, bien au chaud, protégé dans le couple et le cocon famille…
"C’est ma vie. C’est-à-dire que j’ai eu la chance de tomber sur la bonne personne. Sur une femme qui est belle avec qui je parle. On a des tas de goûts en commun et tout ça. Bah, j’en fais pas une gloire, j’ai beaucoup de chance. Ceci dit, je comprends très bien qu’on change de femme à tous les 10 ans. Quand ça va pas, ça va pas; nous ça va, alors… C’est le hasard, je pense."

Parlons de choses simples. Vous êtes au Québec pour une série de concerts.
"Je suis surtout en retard de venir pour parler de mon album. Les nouvelles chansons, je les ai chantées un peu à la télé avec ma guitare. Ça fait longtemps que j’aurais dû venir vous voir."

Il y a désormais une phrase qui parle de nous, Québécois, dans une de vos chansons: "Traité par le mépris comme le Québec par les États-Unis."
"Je suis admiratif de la façon dont vous vous arc-boutez contre la culture anglophone envahissante. Nous, on n’est pas comme ça, on se rend pas compte, on ne se méfie pas. On est très envahis par ce rouleau compresseur. C’est agaçant."

Quel est pour vous le futur de la chanson francophone?
"M. [Matthieu Chédid]"

Souchon, est-ce que ça vous semble de plus en plus gros?
"Soixante-quatre kilos à 18 ans…"

Je veux dire l’entreprise, la structure, l’organisation…
"Ben, je fais toujours 64 kilos. Pas pris un de plus en 40 ans."

Comment ça se fait?
"Je mange des sandwichs."

Les 24 et 25 mai
Au Théâtre Olympia
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