Matmos : Couper-coller
Musique

Matmos : Couper-coller

Parmi les noms à surveiller de près lors de la deuxième édition de MUTEK, nous vous proposons celui du duo californien Matmos, qui vient de signer un album étonnant intitulé A Chance to Cut Is a Chance to Cure. Rencontre avec Drew Daniel et Martin Schmidt, nouveaux collaborateurs de Björk, obsédés de la chirurgie et grands amis des rats de  laboratoire.

Pour sa deuxième édition, le festival MUTEK a décidé d’ouvrir un peu ses horizons, faisant appel à plus d’artistes accessibles aux non-initiés du monde parfois très obtus de l’électro expérimentale. Paradoxalement, l’une des formations les plus digestes de cette nouvelle programmation a germé dans l’imagination délirante de deux académiciens: Matmos, duo formé de Drew Daniel et Martin "MC" Schmidt, semble essayer de joindre le monde de la musique expérimentale sérieuse et celui des clubs. "Je suis très heureux de te l’entendre dire, parce que c’est effectivement notre but, lance Martin, joint dans les bureaux du label Matador à New York. Il existe une espèce de règle tacite dans le monde de la musique expérimentale, selon laquelle il est interdit de faire référence à la musique populaire et il est absolument impensable d’avoir un beat régulier, ce qui me semble absurde. À l’autre extrémité du spectre, je méprise tout autant la dictature du beat constant qui étouffe la club culture. Pour moi, Matmos, c’est la liberté de pouvoir faire une toune qui va te bouger les fesses, ou des salves de bruit improvisé si ça me chante."

C’est sûrement cette polyvalence qui fait que les musiciens de Matmos sont si recherchés. Lors de notre conversation, le du0 s’apprêtait d’ailleurs à donner un concert intime en compagnie de Björk, pour qui ils ont travaillé à la réalisation d’un album à paraître, Vespertine. Mais revenons à la question: peut-on vraiment danser lors d’une performance de Matmos? "Ce n’est pas à moi de décider si notre musique se prête à la danse; mais je peux te dire que si j’étais dans le public pendant un de nos shows, je me limiterais à la traditionnelle imitation de poulet avec la tête", poursuit Drew, qui participe également à cet appel-conférence animé.

Tout accessible qu’elle soit, la musique de Matmos est pourtant hautement conceptuelle, comme en témoigne leur plus récent disque: A Chance to Cut Is a Chance to Cure, qui propose une réflexion sur la médecine moderne en utilisant des bruits de chirurgie plastique comme source principale d’échantillonnages. En fait, on pourrait même avancer que c’est le genre d’oeuvre qui ne s’apprécie que lorsque l’auditeur est autant conscient du message que du médium. Afin de prouver cette théorie, vous n’avez qu’à pratiquer un test à l’aveugle avec quelques membres de votre entourage. Faites jouer à plein volume la pièce Lipostudio… and so on, sans explications. Regardez vos amis taper du pied et hocher de la tête. Maintenant, expliquez-leur d’où proviennent les sons qu’ils entendent (une liposuccion, vous l’aurez deviné), et observez leurs réactions, qui risquent d’aller de l’amusement à la répulsion profonde. "Idéalement, la musique doit pouvoir être appréciée par n’importe qui, pour ses simples mérites musicaux, explique Drew. Mais il est évident qu’un album-concept comme A Chance to Cut… a besoin d’une certaine mise en contexte pour être bien compris. En quelque sorte, notre musique est un peu anti-Napster, car si tu te contentes de télécharger un de nos morceaux, tu n’as pas accès au contexte: le visuel, les photos et les notes de la pochette qui te permettraient de comprendre de quoi on parle."

À les entendre discuter de façon très… clinique de leur musique, on ne peut s’empêcher de s’enquérir de la manière de recueillir les sons parfois troublants que l’on entend sur A Chance to Cut… "C’était assez étrange de voir les réactions des gens qu’on a approchés, explique Martin. Pour la pièce l.a.s.i.k., nous avons demandé à l’une de nos amies de pouvoir l’accompagner lors de sa chirurgie oculaire au laser; elle était très excitée, mais le médecin n’était pas très chaud à l’idée. Dans le cas de Lipostudio, c’était tout le contraire: la patiente n’était pas au courant, mais le médecin était tellement emballé qu’il s’est mis à rythmer ses gestes de manière à donner lui-même le beat!"

Le disque, très varié, ne porte pas exclusivement sur la chirurgie esthétique, abordant d’autres aspects de la médecine, des interventions crâniennes à l’acupuncture. Et puis, au beau milieu de l’album, cette pièce planante et mélancolique pour le moins atypique (plus près de Godspeed que d’Autechre), dont les sonorités évoquent la rencontre entre un piano-jouet et un violon désaccordé. For Felix (and all the Rats) est entièrement jouée sur les barreaux d’une cage à rats, qui sont pincés ou frottés à l’aide d’un archet. "En fait, c’est une sorte de marche funèbre pour Felix, mon rat décédé. Je trouvais normal de l’inclure sur le disque, à cause du rapport évident entre les rats de laboratoire et le thème central de l’album: la technologie médicale."

On se demande bien, d’ailleurs, ce qui a pu pousser les deux Californiens à s’intéresser de si près à un sujet en apparence si éloigné de la musique. "Nos deux pères sont médecins alors j’imagine que, inconsciemment, on a cherché à susciter leur admiration avec ce projet, avance Martin. Le titre vient d’ailleurs de mon père (qui était médecin en chef au Royal Victoria de Montréal lorsque Martin était enfant), qui répétait souvent cette phrase: "A Chance to cut Is a chance to cure". Aujourd’hui, il est plasticien, et fait régulièrement jouer notre album lors de ses opérations." La boucle est donc bouclée. Maintenant, c’est à votre tour de passer sous le scalpel de Matmos.

Le 31 mai
À Ex-Centris
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