Sapho : Oiseau d'exil
Musique

Sapho : Oiseau d’exil

14 juillet
La chanson française des 20 dernières années est multiforme. Elle s’est ouverte à de multiples cultures. L’auteure-compositrice-interprète SAPHO revient nous visiter après une absence de plus de 12 ans…

Rappelons que la chanteuse est née à Marrakech au Maroc en 1950, et qu’elle est issue d’une famille juive. Elle demeure dans ce pays jusqu’à l’âge de 16 ans, date de la décolonisation du pays au milieu des années 60. Elle part malgré tout avec ses parents pour Paris. Après quelques élans passionnés pour le théâtre, elle se dirige avec confiance vers la chanson. L’origine du pseudonyme Sapho vient d’un mouvement ludique: "Tout commence par l’écriture. Le surnom Sapho vient d’une série de gags que mes copains musiciens et moi-même nous lancions et qui avaient pour effet de vous révéler à vous-mêmes." Sapho de Lesbos ou de Mytilène écrivit une dizaine de recueils de poésie lyrique, dont il ne reste malheureusement que des fragments. Elle fut célèbre à la fin du VIIe siècle avant Jésus-Christ, donc après Homère mais bien avant Eschyle, Sophocle et Euripide. "Le nom Sapho, poursuit la chanteuse, est synonyme de grande poétesse, d’une femme qui n’a pas eu peur d’oser."

Après avoir baigné, comme plusieurs d’entre nous, dans le rock énergique de la fin des années 60 (avec Jim Morrison, Jimi Hendrix, Janis Joplin), Sapho découvre vers 1985 les racines du monde judéo-arabe. C’est le disque Passions, passons. En 1992, avec El Attal (Les Ruines), elle rend hommage à la grande voix de la musique égyptienne, Oum Khaloum, la Diva du Nil, dont l’oeuvre reste une référence incontournable dans la poursuite d’indépendance du pays. Chants empruntés à la fois aux psalmodies du Coran et à la variété musicale. Expression du patriotisme arabe et surtout des amours impossibles. Enfin, dans Jardin d’Andalou, en 1996, Sapho met plus en lumière les liens qui unissent la musique andalouse et celle du nord de l’Afrique.

Exil était une fois…
La Route nue des hirondelles est le treizième disque de Sapho. Il fusionne toutes ces influences de façon très douce. Sapho n’hésite pas à prendre position dans l’actuel conflit israélo-palestinien: "Au nom du bon droit, au delà de l’endoctrinement, existe toujours la capacité de l’Homme de se détruire. La seule attitude possible, c’est de croire au langage." Sapho évoque le grand romancier égyptien Nadjib Mahfuz, qui a écrit Rue des Pilons, Le Voleur et les Chiens, Les Fils de la Médina (Prix Nobel 1988), Dérives sur le Nil. Elle souligne que c’est l’auteur qui peut le mieux faire comprendre le monde arabe et ses contradictions.

Les textes des chansons de La Route nue des hirondelles expriment beaucoup le sentiment de l’exil. Il ne s’agit pas toujours d’une distance géographique ou culturelle. Ce peut être le racisme dont Sapho et ses amies de 8 à 10 ans faisaient les frais dans leur quartier de Rabat Agdal: "Si on ne voit pas cette cicatrice / C’est qu’elle est dans les yeux des vieux / Ils ont inventé ce maléfice." Ou encore ses souvenirs heureux d’Afrique, évoqués dans Khenifra. Sapho offre aussi une très belle adaptation de la Chanson de l’étranger, de Leonard Cohen… L’exil n’est pas tant celui de la distance: "Nous sommes redevables aux Juifs marocains de beaucoup de tendresse, de beaucoup de tolérance. La patrie la plus profonde est sans doute celle de la langue."

Par ailleurs, Sapho a toujours été sensible aux relations entre les hommes et les femmes, au machisme sous toutes ses formes. Pour cet aspect en particulier, nous retrouvons Faut qu’ça saigne et surtout Tu ne m’aimes pas, où s’exprime le désir de plusieurs hommes que la femme soit toujours la plus forte: "C’est un fossé malheureux / Nous nous aimerons / Plus fort que ce rond." En réponse à la question concernant l’évolution des rapports entre masculin et féminin depuis 1975, Sapho répond ceci: "On a fait des pas, mais on a créé d’autres malentendus, dont plusieurs subsistent. Des femmes revendicatrices, guerrières, ont envié la virilité de l’homme. D’autres sont tombées dans la délinquance. Ce sont les ratées qui m’attendrissent, les déchues, celles qui ont renoncé à cette respectabilité."

La Route nue des hirondelles repose ainsi sur le pouvoir de la musique et de la parole. Dans Fontaine ("Mes mots racontent autrement") et dans La Porte ("Celui qui chante / Doit faire taire les rancoeurs"), Sapho est très explicite. Elle ajoute en entrevue: "La musique est quelque chose d’organique. Quand nous nommons les choses, nous faisons surgir une parole valide." À propos de la chanson Impossible, à cause de ses paroles plus fragmentées, plus éclatées, la femme de scène confie: "C’est plus rock, le retour du refoulé, quoi." L’importance accordée par Sapho à l’écriture se traduit par plusieurs récits de fiction depuis 20 ans. Elle vient par ailleurs tout juste de publier une anthologie de 100 textes d’auteurs de tous les horizons sur la question israélo-palestinienne.

La Route nue des hirondelles est d’abord un disque dont la réalisation artistique a été confiée à Thomas Gubittsch. Et puis, chez nous, cet été, c’est la chaleur marocaine alliée à la poésie française et aux tambours de Marrakech, que le vent poussera plus au nord vers nous: Vicente Almaraz (guitare flamenco, classique), Simon Bendahan (guitare, basse), Nicky Haimo (guitare électrique, acoustique), Pablo Mendes (bongo, petites percussions) et le compagnon des premières années, Richard Mortier (guitare acoustique, électrique). Des musiciens qui ne sont ni vraiment islamisés, ni vraiment assimilés, qui tendent à faire le pont entre la tradition et la modernité, forment Kjoujou, un groupe de trois ghnairas (kerkabou, gumbi et tabal) qui, dès qu’ils entrent en scène, communiquent une énergie contagieuse qui rappelle la musique de transe.

Le 14 juillet
À la place D’Youville
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