The Dears : Moments chéris
Musique

The Dears : Moments chéris

Considérés, à tort ou à raison, comme une bande de jeunes prétentieux accrochés au courant brit-pop, les Dears sont simplement comme tous les autres groupes de leur âge: une bande de musiciens bien décidés à conquérir le monde…

J’ai toujours entretenu des sentiments ambigus à l’endroit des Dears, candidats certains à la couronne du next big thing de la scène indépendante montréalaise. N’allez pas croire que je les trouve mauvais, au contraire: le groupe a toujours affiché un talent bien trop énorme pour les limites de l’underground auquel ils sont confinés. De plus, ils possède une assurance étonnante, que d’aucuns assimilent à une ambition démesurée.

Mais il y a un malaise: au moment de l’interview, j’ai devant moi la moitié des Dears: le bassiste Martin Pelland et la claviériste Natalia Yanchak , tous deux souriants et affables. Un peu en retrait, le chanteur Murray Lightburn, l’âme damnée du groupe, semble se faire désirer. J’appréhende un peu la rencontre avec Lightburn, qui se plait à entretenir une certaine distance derrière ses lunettes d’aviateur. Je l’avais déjà croisé, il y a quelques années, à l’époque où il chantait pour le groupe Wren; et celui que l’on a qualifié de "Black Morrissey" exhibait déjà des traits de caractère d’une future rock star.

À tort ou à raison, on lui a bâti une image d’artiste torturé et tortueux: on le dit prétentieux, distant, dépressif et colérique; bref, il posséderait la personnalité-type de l’artiste angoissé. Pour ajouter au mythe, l’homme a entretenu une querelle aussi publique que venimeuse avec Jamie O’Meara, mon vis-à-vis de chez Hour, ce qui me porte à croire qu’il ne tient pas les journalistes en très haute estime. Mais ce n’est pas son supposé sale caractère qui m’inquiète, c’est plutôt son côté romantique-intello, qui lui a fait chanter "Have you ever heard of Gide?" sur le premier morceau de son album, The End of a Hollywood Bedtime Story. Un chanteur qui cite l’auteur de L’Immoraliste sur fond de brit-pop, ça évoquait trop une mauvaise copie Morrissey chantant les louanges de Keats et Yeats dans Cemetary Gates, à mon goût.

En fait, ce ne sont même pas les prétentions littéraires de Lightburn qui m’agacent, mais la parenté immédiate que je sens avec lui. Nous avons le même âge (30 ans), et, comme lui, j’ai dû passer de longues nuits d’adolescence à écouter en boucle Hatful of Hollow, des Smiths, en lisant de la poésie romantique à la lueur d’une chandelle. Ce qui m’énerve vraiment, c’est le fait de me sentir intelligent en comprenant ses références à la littérature française et d’aimer ça! En entendant cette confession, Murray éclate de rire. "Ça m’amuse que les gens puissent croire que je suis mégalomane, égocentrique et prétentieux. En fait, c’est la chose la plus absurde que j’aie jamais entendue! Je ne vois pas mon écriture comme de la masturbation, au contraire; j’écris pour le plus grand nombre, avec un souci d’être universel, car selon moi, The Dears est un groupe global. Ceci dit, L’Immoraliste a eu un impact certain sur moi et quiconque a lu ce bouquin saisira exactement de quoi parle la chanson. Quant aux autres, ils comprendront quand même."

Malgré une nostalgie récurrente et un romantisme exacerbé (renforcé par la voix très expressive de Lightburn, qui évoque étrangement un croisement entre Damon Albarn, de Blur, et Jarvis Cocker, de Pulp), les chansons des Dears traitent avant tout d’espoir. Exit le pessimisme? "Il y a toujours dans notre musique, quelque chose d’assez optimiste, en effet, une sorte de rayon de soleil qui perce la noirceur. Tu sais, un feeling à la Mary Tyler Moore devant l’adversité: "I’m gonna make it after all.""

Après quelques blagues de circonstance ("Ha! Ha! Murray Tyler Moore!"), la glace est bel est bien brisée. On parlera donc musique…

Long jeu
Au moment de notre conversation, les membres des Dears étaient en train de terminer le montage du vidéoclip de la chanson No Return, extraite de leur récent mini album Orchestral Pop Noir Romantique, ce qui a exigé quelques réaménagements. En effet, la chanson est passée de six à quatre minutes, ce qui n’est pas toujours évident à faire pour un groupe qui voit plus grand que nature. "Il se passe tellement de choses dans le monde, comment veux-tu résumer ça dans une chanson pop de trois minutes et demie?", demande Murray. Car tout pop soient-ils, les Dears n’ont jamais fait dans la facilité formatée. Non contents d’être un sextette comprenant un violoncelle, de la flûte et une batterie de claviers vétustes (Moog, Farfisa et autres), le groupe peut aussi compter, à l’occasion, sur la participation de musiciens supplémentaires qui transforment le groupe en un véritable orchestre.

Versant à l’occasion dans un psychédélisme de bon goût, le groupe n’hésite pas non plus devant la complexité, étendant parfois ses chansons au-delà de 10 minutes. "10 minutes? Certaines de nos chansons en font plus de 20!", lance Natalia en rigolant. "On a une pièce intitulée Pinned Together Falling Apart qui, selon les circonstances et aussi selon notre humeur, peut durer de 18 minutes à une demi-heure, explique Murray. La version la plus courte qu’on a jamais interprétée de ce morceau faisait quand même 13 minutes."

Bien que l’on continue à les associer au courant brit-pop, cette démesure semble beaucoup plus proche de l’esprit actuel des Dears, qui seraient plus apparentés à Mercury Rev qu,au Blur des premières années. "D’ailleurs, il n’y a plus beaucoup de brit-pop au sein des Dears, crois-moi… Nos influences sont tellement plus vastes que ça! Lorsqu’on se promène en van, on écoute Gainsbourg, Guns’n’Roses, Isaac Hayes, Ween ou Yo La Tengo. Et puis il y a l’album Jaune, de Jean-Pierre Ferland… it’s fucking amazing!"

Le chemin de Damas
On se demande bien ce que le groupe pourra créer s’il se décide à fusionner un jour des influences aussi disparates. En attendant, revenons sur le passé discographique: leur premier album End of a Hollywood Bedtime Story est paru il y a un peu plus d’un an sur l’étiquette montréalaise Grenadine. Durant les premiers mois, les réactions se sont fait attendre, mais peu à peu, en grande partie grâce à des performances explosives, les Dears ont conquis leur public, en particulier à Toronto. Après une séparation plus ou moins amicale d’avec Grenadine (pour compliquer les choses, leur ex-maison de disques devrait lancer cet automne une compilation de morceaux datant d’avant Hollywood… au grand désarroi de Lightburn et de ses comparses), ils refont surface cette année sur l’étiquette torontoise Shipbuilding avec Orchestral Pop Noir Romantique, un mini album qui vient, selon le groupe, clore le premier chapitre de l’histoire des Dears. "Il y a quelques références à ce qu’on a vécu dans le milieu de la musique sur ce disque, et quelques références à la façon dont on a été perçus." Quelques références? On n’appelle pas innocemment une pièce Heathrow or Deathrow lorsqu’on a été qualifié de groupe brit-pop toute son existence et qu’on porte le surnom de "Black Morrissey". "C’est évident qu’il s’agit d’une boutade sur notre supposée anglophilie; mais il y a un tas d’autres trucs aussi, sans qu’on perde le sentiment d’universalité dont on parlait plus tôt. Quant au titre, Orchestral Pop Noir Romantique, c’est simplement la description banale de ce que l’on fait: à tous les gens qui nous demandaient de décrire notre musique, on répondait qu’elle est très romantique, très pop, parfois orchestrale, mais qu’elle a aussi une face sombre."

Au delà des petits clins d’oeil au passé, le mini album, on le disait, annonce le futur glorieux des Dears, que l’on espère voir enfin émerger de l’underground dans lequel ils pataugent depuis leurs débuts. Le groupe, maintes fois proclamé meilleur band indépendant au Canada par bon nombre de spécialistes, risque en effet de passer à la vitesse grand V avec le prochain album, qui pourrait voir le jour au début de l’été prochain. "Mais on veut faire les choses correctement, explique Martin. Nos chansons ont besoin d’une bonne réalisation, d’orchestrations solides, par conséquent, on veut se donner les moyens de les réaliser dans les conditions qu’elles méritent." Si personne au sein du groupe n’affirme qu’il s’agira d’un moment crucial du genre "ça passe ou ça casse", ils semblent tous convaincus que les Dears sont prêts pour les ligues majeures.

"D’une certaine façon, ce disque est l’aboutissement de ce que nous avions amorcé avec Hollywood, explique Murray. Après ce disque, tout, de la manière d’écrire des chansons aux sons employés, en passant par la façon de le mettre en marché, risque de changer."

Où s’en iront les Dears? Murray, dont l’ambition démesurée nous étonnera décidément toujours, lance, le plus sérieusement du monde: "Le prochain album a besoin d’une chorale. Il ne sortira pas sans que la chorale n’y participe. J’aurais bien voulu en dire autant à l’époque d’Hollywood, mais ce disque a été enregistré pour un peu plus de 1000 $. Comment veux-tu te payer une chorale avec une budget pareil? J’ai aussi besoin d’excellents violonistes et de tubular bells, deux autres éléments essentiels. Vous pouvez toujours prendre la voie de la modernité et vous contenter d’échantillonner tout ça, non? "Pas question, tu ne peux tout simplement pas reproduire parfaitement le son d’un violon, d’un saxophone ou d’une chorale avec un synthé", poursuit Natalia.

Tout cela vient donc confirmer les rumeurs sur la nature ambitieuse du groupe. Pour ce qui est du personnage de Lightburn, cet être torturé que l’on devine enclin à se mettre dans des situations catastrophiques dans le seul but d’alimenter son art, faudra repasser. "Tu as déjà lu la Bible?, s’enquiert Murray, dont le père, musicien à ses heures, est aussi prêcheur (un must pour toute rock star en devenir). Tu connais l’histoire de l’apôtre Paul? À l’origine, il s’appelait Saül et c’était un être immonde. En se rendant à Damas, il a "rencontré " Jésus et a transformé sa vie pour devenir bon. Hollywood, ça a été un peu ça: une sorte de catharsis qui m’a libéré. Aujourd’hui, je n’ai pas envie de revivre la déprime qui a inspiré mon premier disque. Je veux toucher le plus grand nombre possible de gens, c’est tout."

Avec Stars
Le 18 août
Au Centre Social Espagnol
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