Troublemakers : Trouble fête
Musique

Troublemakers : Trouble fête

Loin de la French Touch, le trio marseillais fait ses armes avec son premier album Doubts and Convictions. Chose certaine, ils nous offrent une musique dont les frontières ne se limitent pas à un seul pays.

Dans le grand livre des adages et proverbes, les Troublemakers pourraient aisément figurer à la rubrique "Nul n’est prophète en son pays". En effet, leur premier disque, Doubts and Convictions, a beau être l’un des meilleurs albums français de musique électronique de l’année, c’est par l’entremise d’une étiquette de Chicago, Guidance Recordings, que le trio marseillais est arrivé jusqu’à nos oreilles.

N’y avait-il personne dans tout l’Hexagone pour porter attention à leurs compositions? La France est-elle restée tellement accrochée à la French Touch qu’elle ne sait plus apprécier ceux qui s’en éloignent? "C’est pas faute d’avoir essayé, explique DJ Oil, l’un des trois manipulateurs de platines de la formation. On a envoyé des démos à presque tous les labels français, mais on a été complètement ignorés. Quant à ceux qui nous ont répondu, ils nous ont affirmé que notre musique n’était pas vendable!" Ils doivent maintenant être nombreux à se mordre les doigts dans le milieu du disque français… Car si le groupe est bien loin des ventes faramineuses de Daft Punk ou d’Air, son premier album n’en a pas moins été universellement acclamé.

D’autant que Doubts and Convictions s’inscrit parfaitement dans l’air du temps, avec un son très organique, musical et varié (du funk au downtempo, en passant par les beats africains et le vieux soul américain). Une alchimie à la fois détendue et divertissante, qu’on se serait attendu à retrouver chez certaines étiquettes autrichiennes ou allemandes, comme Studio K7!, G-Stone Recordings (Krüder & Dorfmeister) ou Compost (Rainer Trüby), plutôt que sur une étiquette spécialisée dans la musique house comme Guidance. "C’est drôle, parce qu’on a aussi eu une réponse très positive de Compost, mais elle est arrivée trop tard, quelques mois après qu’on eut signé chez Guidance", explique Oil.

Doubts and Convictions a beau être un disque international, on y sent tout de même quelques parfums de France, en filigrane, que ce soit à travers une citation piquée à un film de Garrel ou une mélodie qui se rapproche dangereusement de celle d’Initials B.B. de Gainsbourg. Mais Marseille? Là, c’est moins évident. Si Oil affirme que la musique des Troublemakers aurait pu être concoctée n’importe où, et qu’elle ne sent ni le pastaga ni l’aïoli (comme personne ne chante, impossible de détecter l’ "assent" local), c’est à travers le réseau des clubs locaux que les trois D.J. se sont rencontrés et ont perfectionné leur art.

"L’ennui, c’est qu’on a peu d’appuis; les services culturels locaux sont encore assez portés vers une image folklorique de Marseille, explique Oil. On vit à l’heure de la techno; mais eux sont encore enfermés dans un univers carrément pagnolesque! Alors on fonde des associations, on organise nous-mêmes nos soirées avec les moyens du bord."

Si ça bouillonne au pays de la bouillabaisse – avec des gens comme David Caretta, Paul de Marseille ou les junglists du Selecta Crew -, la scène marseillaise est encore surtout reconnue chez nous pour ses groupes hip-hop. Pas complètement étrangers à cette scène (le hip-hop est certainement au nombre de leurs influences), les Troublemakers n’en font pourtant pas partie à proprement parler. "On a bien quelques amitiés sur la scène hip-hop: des gars comme Faf Larage, Akhénaton ou Shurik’n sont des potes, mais on n’a jamais travaillé ensemble. Sur le prochain album, on devrait avoir des rappeurs invités, mais ils risquent d’être américains. L’ennui avec le hip-hop français, c’est que les musiques sont très pauvres; quant aux textes, ce n’est guère mieux: tout a été dit dès le début, avec NTM, IAM et Assassin. Tout ce qui se fait depuis semble tourner en rond."

Qu’à cela ne tienne: le trio n’est jamais à court de sources d’inspiration où choisir ses échantillonnages, et l’un de leurs domaines de prédilection est le cinéma. Outre les références purement sonores (qui renvoient, comme souvent, à Lalo Schifrin et à John Barry), Oil et ses amis (Fred Berthet et Arnaud Taillefer) vont jusqu’à pomper des bouts de dialogues à quelques classiques, dont Taxi Driver. Dans l’intro de Get Misunderstood, on entend même Jean-Pierre Léaud! "Évidemment, c’est le texte qui nous plaisait (une sorte de tirade un peu floue sur l’inéluctabilité de la Révolution, NDLR), tout comme l’acteur et le réalisateur (Philippe Garrel), dont nous sommes très fans. On l’a récemment fait entendre à Léaud et il l’a beaucoup apprécié. Par-dessus tout, on a choisi cet extrait pour son rythme, et aussi pour l’époque qu’il évoque." Alors, un brin nostalgiques, les Troublemakers? "Ouais, on pourrait dire qu’on est un peu nostalgiques de cette période (fin 60, début 70). Il me semble qu’au moment où les gens groovaient sur du funk et de la soul, la musique était plus libre et moins corrompue par la business. On aimerait bien retrouver cet esprit…" Amen!

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