Grant Lee Phillips : Le dernier amant romantique
Musique

Grant Lee Phillips : Le dernier amant romantique

On attendait beaucoup du groupe américain Grant Lee Buffalo. Finalement, le succès ne s’est jamais présenté et la formation s’est sabordée il y a deux ans. Le chanteur GRANT LEE PHILLIPS est maintenant seul, avec une attitude plus détendue, mais avec le même goût pour les chansons béton.

Après avoir fait larmoyer les pierres de ses chaudes inflexions, rallié les intellos comme les amateurs de rock, et composé un chapelet de grandes mélodies, Grant Lee Phillips a mis un terme au trio Grant Lee Buffalo en 1999. Le deuil aura duré deux ans. L’auteur-compositeur californien revient à Montréal sous son nom, mieux dans sa peau, plus détendu que jamais… et toujours aussi pertinent, comme en font foi la douzaine de ritournelles gravées sur Mobilize, son premier compact solo officiel.

L’idée de causer avec Grant Lee Phillips amène toujours un brin d’insomnie. L’artiste est sérieux, ne se prend pas pour le dernier des céleris, donne rarement dans la confidence, préférant nettement parler de son art avec un grand A. Chacune des trois ou quatre entrevues précédentes allait dans le même sens: des propos intéressants, mais rien de très chaleureux, voire de très généreux. Cette fois, dès le hésitant "Bonnejourre" en français, on a senti Grant Lee nettement plus entreprenant. La demi-heure qui suivra confirmera le tout: "C’est vrai que j’ai plus de facilité à communiquer qu’avant, acquiesse-t-il. J’étais plus renfermé, mais je ne saurais pas comment l’expliquer. Peut-être étaient-ce mes nerfs qui me faisaient agir ainsi. De toute manière, chaque band a sa personnalité, et nous avions décidé d’être très très sérieux… Chose certaine, j’ai appris à rire de moi un peu plus. Je ne sais pas si j’aurais accepté un rôle dans Gilmore Girls (une sitcom américaine dans laquelle joue également le comédien québécois Yannick Truesdale), il y a quelques années!" Dans l’émission, Phillips incarne un troubadour et arpente les rues en entonnant ses propres chansons, Mockingbirds, notamment. L’art de désacraliser son oeuvre, finalement.

De toute manière Phillips pouvait bien ruminer quelques sombres idées à l’époque. Après tout, Grant Lee Buffalo est l’une des grandes énigmes de cette décennie. Confinée à un succès d’estime, cette formation aurait pourtant dû exploser sur les palmarès tellement ses chansons étaient puissantes. À l’époque de Mighty Joe Moon, et de la majestueuse Lonestar Song, plusieurs critiques étaient convaincus de détenir là LA prochaine sensation rock. Le grunge s’essoufflait, mais Cobain et ses sbires avaient néanmoins rouvert la porte aux textes bien foutus, et aux chansons signifiantes. La table était mise, mais jamais Grant Lee Phillips ne goûta aux fruits du méga-succès qu’on lui prédisait: "Est-ce que je suis déçu et frustré? Oui et non. Nous avions la tête trop dure pour faire les petits compromis qui auraient été nécessaires afin de dévorer les palmarès. On en était conscients. Et c’était un choix réfléchi, peu importaient ses conséquences. Mais bon, c’est certain que j’entendais aussi les prédictions dont tu parlais, et que peut-être que oui, j’ai cru pendant un moment que Grant Lee Buffalo allait devenir nettement plus gros. Les critiques déliraient, le public embarquait, le label était hyper-satisfait. Disons qu’il m’est aujourd’hui beaucoup plus facile de garder les deux pieds sur terre…"

Le milieu des années 90 aura eu ceci de bon: il laissa entrevoir à certains intellos de la pop qu’il était tout de même possible de trouver une place au soleil. Grant Lee Buffalo, certes, mais aussi Eels avec sa jolie Novocaine for the Soul, par exemple. La nuance était de rigueur, la sensibilité, également. Aujourd’hui, on a parfois l’impression que l’Amérique ne vibre qu’aux beats ultra-pesants des Limp Bizkit et autres Slipknot: "Je ne suis pas si convaincu de ce que tu dis, argue Phillips. Je me considère encore comme prolifique, je suis plus inspiré que jamais; et, pour avoir entendu ses plus récentes chansons, je peux te dire que c’est la même chose pour E. [le chanteur d’Eels]. Et probablement aussi pour Tom Waits et pour tous ceux qui n’ont d’autres choix que de survivre. Je ne crois pas que le rock injecté de stéroïdes aura la cote encore très longtemps. Chose certaine, j’aime bien mieux un groupe comme Air que n’importe quel Blink 182-3-4 ou 5."

N’empêche, ils seront des dizaines de milliers à aller entendre Blink au parc Jean-Drapeau, alors que, la veille, seulement quelques centaines se seront laissé caresser par le romantisme et la voix hyper-sensuelle de l’intello à lunettes californien: "Je ne suis pas un intello!" réagit-il, alors qu’on pensait que c’était plutôt le qualificatif "sensuel" qui allait le perturber… "Non, non, ça, ça va, le processus de création est quelque chose de très sexuel dans mon cas. Et puis tous les artistes qui m’accrochent possèdent ce timbre qui a le don de vous étourdir: Patti Smith, Michael Stipe. En autant qu’on puisse conjuguer cette voix avec des textes qui veulent dire quelque chose, ça me va…" Un must pour tous les amateurs de cul… et de très grandes chansons.

Le 28 août
Au Cabaret
Voir calendrier Rock et Pop