

Louis Lortie : Le maître de musique
LOUIS LORTIE s’est lancé dans un marathon de concerts consacrés à Beethoven. Le pianiste québécois nous parle de son approche de la musique, et de son métier d’interprète.
Réjean Beaucage
Louis Lortie
a donné le 8 septembre, en avant-première au Festival Beethoven Plus, l’une des performances les plus éblouissantes que l’on ait vues depuis longtemps. Il nous a d’abord surpris en commençant la soirée sur un piano-forte, l’ancêtre du piano d’aujourd’hui, l’instrument qu’utilisait Beethoven. Si l’interprétation de la Pathétique en souffre quelque peu au point de vue sonore, l’instrument étant plus métallique et sec, plus près du clavecin que du piano contemporain, la leçon d’histoire, elle, vaut bien le détour.
Lortie a ensuite été rejoint par ses comparses James Ehnes au violon et Jan Volger au violoncelle pour interpréter, sur un piano cette fois, la Symphonie no 2 transcrite pour cette formation par le compositeur lui-même. Les trois excellents interprètes ont communiqué au public leur bonheur de jouer cette musique avec une aisance qui promet de beaux moments pour la suite de la série. Après l’entracte, Lortie a émerveillé tout le monde par une interprétation de la Symphonie no 5 qui rend presque la version pour orchestre inutile. Une pièce "qui donne une idée formidable de la violence de Beethoven, surtout lorsqu’elle est interprétée par une seule personne". Tant de puissance et d’investissement laissent pantois. À la fin, c’est un Louis Lortie vidé qui est venu saluer cinq ou six fois un public subjugué.
J’ai eu le plaisir de rencontrer Louis Lortie la veille de ce concert. Pour parler d’abord du problème de l’interprétation de Beethoven. L’interprète doit-il chercher à être au plus près, fidèle au texte, au risque de voir son jeu qualifié de "sans âme", ou doit-il au contraire être personnel, quitte à se faire reprocher de s’écarter de la partition? "Chaque compositeur a sa façon d’être complet ou incomplet, et la partition ne peut donner qu’un certain nombre de détails, répond Lortie. Ces dernières années, beaucoup de gens ont voulu retourner aux sources, avec des instruments d’époque et en essayant de situer historiquement la musique." Par exemple, souligne Lortie, on lit ce que les gens disaient du jeu de Beethov, pour savoir en quoi il était différent de celui de Mozart. "Même sa façon de diriger scandalisait, il faisait de grands gestes au piano, et les gens étaient très impressionnés; je vois surtout Beethoven comme quelqu’un qui inventait le langage du XXe siècle, sur le plan physique, sur le plan des effets, des grands contrastes de dynamique. Mais il demeure des problèmes d’indications dans les partitions, parce qu’il était très brouillon. Il y a alors beaucoup de choses qu’on doit décider soi-même, par expérience, par déduction; il y a des pièces de Beethov qui sont très difficiles à comprendre, même au niveau analytique, c’est un work in progress!"
Musique et multiculturalisme
Lortie s’intéresse ces jours-ci au problème du multiculturalisme en musique. Ainsi des compositeurs comme Franz Liszt ou César Franck, qui n’avaient pas le bonheur d’être nés en Allemagne ou en France, "se faisaient taper tout de suite dessus, explique Lortie. Et encore aujourd’hui, en France, on ne peut admettre que l’OSM puisse bien interpréter la musique de compositeurs français, et moi-même, n’étant pas allemand, certains me reprochent de jouer Beethoven". Il se fera peut-être reprocher autre chose bientôt, puisqu’il travaille parallèlement à la préparation de la série Beethoven sur des oeuvres des contemporains Elliott Carter, György Kurtag et György Ligeti, "très difficiles et qui demandent beaucoup de cuisine".
Problèmes de multiculturalisme entre anciens et modernes en vue? "Il est fort possible que je revienne à Montréal d’ici moins de cinq ans avec un concert tout contemporain, ça me plairait de faire ça!" Avis aux organisateurs de concerts, la perche est tendue!
D’ici là cependant, on a de quoi patienter. Les 20 et 21 septembre, Lortie dirigera l’OSM en plus de tenir le piano pour deux programmes tout Beethoven. "Je n’ai pas l’intention de devenir chef d’orchestre! Pour moi, de toute façon, la direction, c’est un peu un mythe; je connais très bien cet orchestre et bien sûr, quand je suis au piano, ils n’ont pas besoin de suivre mes gestes, ce qui prouve aux gens que le chef est là pour certaines choses bien précises et que ce n’est pas nécessaire d’avoir quelqu’un qui gesticule sans arrêt. Mon but est de diriger le moins possible."
Il sera de retour à l’OSM le 2 octobre pour le Triple Concerto, avec Pinchas Zukerman et Amanda Forsyth. Le coeur du Festival Beethoven Plus se déroule du 1er octobre au 1er novembre à la salle Pierre-Mercure. Le pianiste y retrouvera James Ehnes et Jan Volger et interprétera les 32 sonates pour piano, 10 sonates violon/piano, 5 sonates violoncelle/piano et 6 trios. Gargantuesque menu! On lui souhaite un public boulimique.
OSM/Louis Lortie, les 20 et 21 septembre
Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts (842-9951)
Festival Beethoven Plus, horaire détaillé: www.beethovenplus.qc.ca
Festival Duo-Piano
La cinquième édition du Festival international du Duo-Piano du Québec lance ses activités ce soir, 20 septembre, et se terminera samedi par un gala de clôture autour de transcriptions de grandes musiques de ballet de Bartok, Debussy, Ravel et Stravinski. Centré cette année sur le thème de l’Angleterre, le Festival invite le duo de Jocelyn Abbott et Laura O’Gorman et celui de Jennifer Micallef et Glen Inanga. Les deux procéderont à la création canadienne d’une oeuvre récente d’un compositeur anglais et livreront quelques pièces du répertoire pour deux pianos (Martinu, Debussy, Liszt, Ravel et Jacques Hétu, entre autres).
Le concert de 21 h, vendredi, devait nous faire découvrir une nouvelle pièce d’ André Hamel. Malheureusement, cette création a dû être reportée; mais nous aurons tout de même les hommages à Jean Papineau-Couture et André Prévost, de même que des pièces de J. Hétu, Marc Hyland et Ann Sotham. Pas de festival sans concert gratuit à Montréal, et celui-ci invite même le public sur scène! Le concert "Festival du public", samedi 15 h 30 à Pierre-Mercure, vous invite en effet à vous mêler aux Guy St-Onge, Gregory Charles et Brigitte Morel, afin de démontrer, à la bonne franquette, votre amour du piano. Vous pourriez même gagner des billets pour le gala de clôture, au cours duquel sera interprétée une adaptation pour deux pianos du Sacre du printemps réalisée par Dominique Morel, directrice de l’événement. On sait que la version du Sacre que l’on connaît est pour piano quatre-mains; la version pour deux pianos donnerait à la musique de Stravinski une amplitude et des couleurs plus proches de la version orchestrale. À entendre!
Du 20 au 22 septembre
Salle Pierre-Mercure, 987-6919
Opéra de Montréal
Drôle de bateau que ce Peter Grimes. Cette histoire d’un pêcheur accablé par les habitants du village, parce que ses apprentis ont la fâcheuse habitude de mourir dans des circonstances suspectes, n’est guère palpitante. Aussi, bien que la production soit soignée, que l’OSM joue bien, et que les chanteurs fassent adéquatement ce qu’ils ont à faire: on en sort sans vraiment y repenser. Un peu comme les villageois qui, à la toute fin, ne semblent guère se soucier de ce que l’objet de tout leur ressentiment soit en train de couler. Pourtant, passez-moi l’expression, le spectateur doit ramer durant les trois heures que dure l’opéra. La grisaille des décors convient parfaitement au propos, mais c’est précisément que celui-ci est quelque peu terne. La musique de Benjamin Britten, sans être inintéressante, n’est pas non plus flamboyante, et elle n’offre aux chanteurs ni passages virtuoses ni grands airs populaires, se contentant de soutenir le texte. Si l’on ne peut rien reprocher à la mise en scène de Bernard Uzan, on ne peut s’empêcher de constater qu’à l’opéra, il n’y a malheureusement que le côté visuel qui ait bénéficié des avancées du progrès. Projections fixes, éclairages ou décors sont bien de leur temps. À quand une "mise en sons"? La redistribution du son par une amplification qui enroberait la salle ne serait certes pas un luxe à Wilfrid-Pelletier, et pourrait contribuer à l’efficacité du drame. Ça pourrait aussi être utile pour convaincre les 18-30 ans, que l’Opéra de Montréal cherche à séduire avec des billets au parterre à 30 $ (ce qui reste une bonne affaire). Un coup d’épée dans l’eau.