

Robert Charlebois : Une très bonne année
ROBERT CHARLEBOIS nous reçoit chez lui dans les Laurentides où il réside depuis 25 ans. Endroit idéal pour parler de Doux Sauvage, recueil de chansons d’une étonnante transparence. Oubliez les 20 dernières années, Charlebois puise désormais à sa propre source. Pour des retrouvailles, on ne pouvait espérer mieux.
Claude Côté
"Maintenant les jours sont courts, j’arrive à l’automne de ma vie / Et quand j’en fais le tour le tonneau a vieilli / Mais le vin coule toujours, je le bois jusqu’à la lie / Il est bien mûr et je me dis… encore une très bonne année."
Extrait de la chanson C’était une très bonne année(adaptation du classique It was a Very Good Year), ce passage pour le moins révélateur figure sur Doux Sauvage, surprenant dernier disque de Robert Charlebois. Du travail d’artisan à partir de matières brutes: ses réflexions et ses souvenirs. Révélateur parce que, à 57 ans, l’homme nous en dit plus sur lui sur ce seul disque qu’il ne l’a fait au cours des 20 dernières années. Comme si Robert tenait à passer aux aveux plutôt qu’à la caisse. Dans des écrins sonores sainement dépouillés, la modestie de ses intentions ne laisse planer aucun doute. Ce Charlebois-là, celui de 2001, est totalement assumé, transparent, avec la fragilité inhérente, attachant, avec la magistrale simplicité qui fait tout rejaillir.
Direction lac Écho. Somptueuse maison avec vue imprenable sur le lac. Magnifique journée d’automne. Il est 13 h. "On ne va presque plus à Montréal, constate sa femme Laurence, pendant que mon hôte termine son dîner, parce que tous nos amis habitent autour." Charlebois m’invite dans la véranda où trône son piano: "Eddy Barclay me l’avait acheté chez Eaton", rigole-t-il tout en maudissant l’humidité qui maltraite l’instrument. Visiblement, Charlebois pète le feu. Ses récents problèmes d’anémie sont choses du passé. On s’est assis. Le magnéto est en marche.
"Je lisais récemment un article où Bob Dylan parlait du contexte de création de son plus récent disque. Et ça m’a frappé. Il disait notamment que cet album (Love and Theft) était le plus autobiographique et le plus personnel qu’il ait fait parce qu’il ne s’était pas vu comme Baudelaire à côté d’une bouteille d’absinthe en train d’essayer d’écrire! J’étais jaloux de son image parce que c’était exactement ce que j’avais voulu faire moi aussi."
Charlebois, dont l’album fut brillamment réalisé par Claude Larivée, a signé tous les textes de Doux Sauvage, sauf deux. Cela en dit long sans doute sur ses intentions, disons, autobiographiques? "Je ne sais pas si de tout ce que j’ai fait dans ma vie, les 35 ans qui ont précédé cet album en ont été la maquette, ou si le fait d’avoir travaillé avec Ducharme, Dabadie et Péloquin a déteint sur moi: mais ça s’apprend, l’écriture, cela nécessite de la patience. Pour faire une bonne chanson, confie notre Bob à nous, ça prend une émotion, un angle, pis une image. Réjean Ducharme me disait tout le temps qu’une bonne chanson est tracée d’avance, qu’il suffit de repasser sur les lignes. Et là, je commence à comprendre ce qu’il voulait dire: il y a toujours UN bon mot à trouver. Et tu peux te perdre, parce qu’entre deux lignes de chanson, tu peux changer d’idée 800 fois."
"Moi, philosophe Charlebois, à partir du moment où je me dis: je ne serai jamais Réjean Ducharme, ou je ne serai jamais Rimbaud, je peux écrire et faire des choses valables. Si t’as une bonne histoire à raconter et que tu peux l’illustrer avec une seule guitare, ben tout est là! Si tu peux créer le climat avec un seul piano, c’est ça l’idéal."
Ce qui nous a naturellement amenés à parler des textures de guitares terriennes de Dominique Lanoie, inestimable complice de Doux Sauvage, tout comme les batteurs Rémi Leclerc et Alain Quirion, et le multi-instrumentiste Frédéric Beauséjour. Doux Sauvage n’a pas que des mots simples, il a aussi la musique qui vient avec: "Il y a un poste de radio country-western que je syntonise chaque fois que je passe dans les Adirondacks, et les guitares de Dominique évoquent exactement ça: une honnêteté absolue et une franchise désarmante."
"Moi, j’adore U2, avoue-t-il, question d’établir un parallèle entre sa progéniture musicale et la musique populaire. Mais pas pour les mêmes raisons que le monde. Pas parce que Bono court d’un bord à l’autre de la scène. Je l’ai trop fait, ça. La difficulté suprême dans mon nouveau show, c’est d’essayer de chanter sans bouger, je suis tellement pris dans mes tics… Non, j’aime Bono parce qu’il écrit des chansons extraordinaires."
Et comment vivra Doux Sauvage sur scène? "Dans mon spectacle, il y a moins de sautillage, moins d’agitation, plus de gestes minimalistes. Il a cependant fallu rajouter un guitariste-percussionniste, parce qu’à trois, j’étais condamné à faire la pompe avec ma guitare: si j’enlevais mes mains, tout s’écroulait. Il y a bien six ou sept chansons où je suis au piano, mais c’est un show très guitaristique", annonce Charlebois.
Avant sa rentrée montréalaise du 30 octobre au Corona, Charlebois n’aura eu que trois shows pour huiler les engrenages. "Mais on sera prêt, déclare-t-il, rassurant. Donner des spectacles, donc être sur une scène, j’adore ça. J’ai hâte de faire ma rentrée, t’as pas idée."
Du 30 octobre au 3 novembre
Au Corona
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