Souad Massi : En plein coeur
Musique

Souad Massi : En plein coeur

Consacrée révélation maghrébine par les Français qui l’ont adoptée, Souad Massi, jeune chanteuse kabyle en exil, débarque chez nous avec ses chansons caressantes et ses mots qui cognent. Sans conteste, l’un des plus beaux coups de cette quinzième édition de Coup de coeur francophone…

On l’appelle tour à tour la Tracy Chapman du Maghreb ou la Joan Baez d’Algérie. Et ce n’est pas fini. La jeune Kabyle à la guitare sèche s’est fait comparer à Suzanne Vega et à Joni Mitchell aussi. Pourtant, Souad Massi se tient droite comme un I. Sa voix, qui s’élève telle une prière au milieu d’un carnage, la personnifie comme un symbole emblématique de courage et de dignité.

On la dit "engagée" – le terme aujourd’hui paraît presque étrange ou éculé -; pourtant, les chansons folk-rock arabes qui émaillent son premier album Raoui (Le Conteur) n’ont rien du protest song typique ou de la harangue révolutionnaire. Mélancoliques mais jamais molles; enjouées aussi, parfois, mais avec une simplicité et une pudeur qui touchent droit au coeur. Parce qu’on ne peut qu’entendre frémir la vraie douleur et toute la colère cachées derrière les inflexions sincères de ce timbre mûr.

"L’engagement, ce n’est pas nécessairement parler de politique, me répond Souad de sa voix douce à l’autre bout du fil. Je ne le fais même pas dans mes chansons. Mais être une femme et parler des problèmes de tous les jours, c’est déjà, en soi, une prise de position qui peut paraître assez singulière en Algérie."

On la croit sur parole. Ce n’est pas pour rien que cette jeune technicienne hydraulique diplômée a été remerciée du cabinet d’urbanisme où elle travaillait, "à la suite de diverses pressions", comme nous l’explique laconiquement sa bio. D’où l’exil. Après une adolescence rebelle où elle alterne entre groupes de flamenco et de rock, cette ex-élève de conservatoire se produit à la télé sans avertir son paternel, et signe des chansons poignantes comme des cris de détresse qu’elle enregistre pendant le couvre-feu et qui sont commercialisées sur cassette par un producteur local. Ça fait maintenant trois ans qu’elle vit à Paris. Signée chez Universal, elle a bouclé un album sobre et puissant sous la houlette de Bob Coke, un vieux briscard qui a roulé sa bosse aux côtés de Ben Harper.

"Je suis exilée depuis longtemps, avoue-t-elle avec une certaine langueur. C’est tellement dur de vivre en Algérie, avec tout ce qui s’y passe, que me réfugier dans l’univers des chansons, c’était déjà comme partir dans ma tête. Et puis, j’écoutais du country américain là-bas: c’était vraiment un dépaysement volontaire…"

Pourtant, l’Algérie n’a jamais quitté Souad. Les trois chansons qu’elle a écrites en sol français pour compléter sa première galette autobiographique parlent encore d’angoisse et de trahison, de nuits sans sommeil à guetter les murmures. Comme dans ses textes juvéniles (Raoui, la chanson-titre, en est le plus bel exemple), la jeune femme quémande un peu de rêve pour masquer l’implacable réalité. "La Terre est devenue un enfer / Le feu a brûlé le printemps / Arrêtez de faire la guerre / Vous faites la guerre à des enfants", clame-t-elle dans Biadi, une chanson brève pour son pays. Mais quand on lui demande des justifications, Souad Massi se fait plus réticente: "C’est très délicat de parler de ce qui arrive là-bas. C’est une guerre civile non déclarée mais on ne comprend pas ce qui se passe, à vrai dire." Et elle se borne à déclarer qu’elle retournera là-bas, voir sa famille ou chanter pour les siens.

Pendant ce temps, l’Europe la découvre. À Bourges, au printemps dernier, où elle a fait grand bruit; puis à l’Olympia, la fin de semaine dernière. "J’avais un trac extraordinaire mais ça s’est bien passé, confirme-t-elle avec une certaine modestie. Le public qui me soutient en ce moment n’est pas exclusivement maghrébin. Ce sont des Français, des Européens avant tout." Et ce sera bientôt nous, coup de coeur garanti. Parce qu’à une époque où musique rime trop avec plastique (comme disait Serge Fiori), ça fait réellement plaisir d’écouter de la chanson avec un coeur plus gros que le haut-parleur. Tournant le dos au raï exotique, lui préférant le rock façon chââbi du quartier chamarré où elle est née, voici une interprète qui choisit de s’en tenir davantage à l’essence, au traditionnel. "Je continue de travailler de manière très simple, dit-elle. Rien n’a vraiment changé dans ma méthode. C’est d’abord le texte, puis vient la mélodie."

N’empêche que son disque donne lieu à bien des mélanges inédits. Quand on marie la douze cordes avec l’oud, ou encore des accents arabisants aux rythmiques des Antilles: tout est encore possible. Et peu importe la langue, vous constaterez combien certains messages deviennent universels. Surtout dans un monde où les pays lointains n’ont plus le monopole de la terreur.

Le 7 novembre
Au Cabaret
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