Robert Charlebois : Le Charlebois nouveau
Musique

Robert Charlebois : Le Charlebois nouveau

Délaissant les excès qui ont fait le succès de sa Maudite Tournée, ROBERT CHARLEBOIS accouche avec Doux sauvage d’un album country-folk mettant au jour ses talents d’auteur. Exit l’auto-caricature, exit les redites, le gars ben ordinaire se lance dans une aventure personnelle tout en nuances.

1974. Robert Charlebois fait paraître l’album Je rêve à Rio. À l’intérieur de la pochette aux couleurs psychédéliques, une photo présente le chanteur avec un globe terrestre et une baguette à la main. Sur le cliché, un message signé de sa main:

"À tous mes frères de son
J’ai trente ans
C’est mon dixième disque
En l’an 2000, j’aurai cinquante-six ans
Et j’ai l’intention d’être là "

2001. Le chanteur tient sa promesse. Doux sauvage vient effectivement de paraître et marque une nouvelle étape dans sa carrière. On a pourtant l’impression qu’il s’en est fallu de peu pour qu’il ne fasse pas honneur à ses paroles du milieu des années 70. Avec sa Maudite Tournée, qui s’est échelonnée durant près d’une décennie, le chanteur, tout en offrant un excellent spectacle, semblait se vautrer confortablement dans son passé et se tenir loin de la création.

Attablé derrière un espresso, Charlebois acquiesce: "C’était quasiment rendu Broue! À la fin, j’étais sur le pilote automatique. Je mettais l’argent dans le juke-box et la musique partait. J’étais sur le bord de devenir une parodie de moi-même et j’ai voulu me défaire de ça. Tout le monde me disait: "Robert, tu as tellement de hits, tu peux vivre juste là-dessus", et c’est vrai que les shows de certains grands comme Aznavour sont toujours pareils. Je me disais: "Tant que le monde veut ça et demande ça, je leur donnerai…" Et après j’ai commencé à penser que les grands créateurs, de Ferré à Gainsbourg, font du neuf jusqu’à leur mort…"

Tabula rasa
Charlebois était las des studios. Peut-être même las de la création musicale. Son album précédent, le Chanteur masqué (1996), en témoignait: une collection de pièces qui, bien qu’efficaces, dataient parfois de près de 15 ans. Des fonds de tiroirs pour tout dire. "Avec le recul, je m’aperçois que je faisais des albums éblouissants, mais pas émouvants, confie-t-il. J’étais rendu que je faisais de la musique pour impressionner les musiciens et ça, ça vient de mes rencontres avec Frank Zappa, Janis Joplin et les Grateful Dead. Quand tu côtoies des aigles comme ça, les griffes te poussent…"

Pour se ressourcer, Charlebois est reparti de zéro. Il s’est débarrassé de son ancienne équipe de musiciens, de son ancienne équipe de production pour partir en quête du Charlebois des années 2000. C’est dans les Laurentides qu’il l’a trouvé, entonnant ses propres paroles sur une country-folk dont on avait eu un avant-goût avec Dolorès et Madame Bertrand. "J’ai beaucoup d’amis à New York et quand je traverse les Adirondacks, la musique qui me séduit le plus est le country, explique le chanteur. Bien plus que les cartoons de cow-boy de Willie Lamothe et Gene Autry avec le cheval, la balle de foin et les cactus, le vrai country vient de là-bas. Les Laurentides sont le prolongement des Adirondacks et je m’y sens bien. Il était temps que je fasse un disque qui soit ce que j’aime entendre et qui me fait plaisir."

Ses textes et ses musiques achevés, Charlebois a réuni une nouvelle équipe de musiciens, les Dominique Lanoie (guitare), Rémi Leclerc (batterie), Frédéric Beauséjour (basse), et a, pour la première fois depuis des lunes, répété avec eux plutôt que de faire appel à un arrangeur. Les pièces ont peu à peu pris forme et le chanteur s’est permis une petite tournée confidentielle en France, afin de jauger la réponse du public. Il a par la suite sélectionné la crème de ses chansons et a pris le chemin des studios.

Ainsi est né Doux sauvage, un album qui ressemble à Charlebois du début à la fin, avec sa reprise de Witchi Tai To où les vieilles bandes se fondent à de nouvelles, avec son adaptation du poème de W. H. Auden, Funeral Blues, et avec la lecture très libre du It Was a Very Good Year de Frank Sinatra, qui semble avoir été écrite sur mesure pour lui: "Maintenant les jours sont courts/Je suis à l’automne de ma vie/Et quand j’en fais le tour/Le tonneau a vieilli/Mais le vin coule toujours/Je le bois jusqu’à la lie/Il est bien mûr et j’me dis…/Encore une très bonne année".

Charlebois auteur
Pas peu fier de son petit nouveau, Charlebois n’hésite pas à classer Doux sauvage parmi ses trois meilleurs albums, derrière Solidaritude et l’album éponyme où l’on trouvait Lindberg. Cette fierté vient en bonne partie du fait que, pour la première fois depuis ses débuts, Charlebois n’a fait appel à aucun autre parolier que lui-même pour ses chansons. "Je pense que je commence à peine à savoir écrire à 56 ans, confie-t-il. J’ai toujours une petite voix qui me dit: "Robert, tu peux être bien mieux que ça", et dans mes textes précédents il y avait toujours l’obsession de la "smartitude", je voulais que l’on me trouve bon et je surchargeais inutilement mes textes. Remarque que lorsque tu montes sur scène ce n’est pas pour être ridicule non plus, mais là mes textes sont travaillés sans être besogneux."

Simples, mais fignolées, les nouvelles chansons de Charlebois s’attardent au quotidien tantôt avec tendresse, tantôt avec humour et laissent découvrir un auteur sensible et inspiré. Au lieu de travailler, où Charlebois se surprend à rêvasser plutôt qu’à écrire, l’illustre bien: "Ma plume s’envole sur les ailes d’un oiseau/Vers la grande bleue derrière un beau rouleau/J’suis pas Rimbaud mais j’imagine sous l’eau/Les balaous et les requins-marteaux/Mes yeux s’arrêtent sur un vieux trois-mâts/Toi tu vernis la maison et t’aimes ça/Tu parles de ta mère j’te réponds pas/J’ai la tête en mer su’l’pont là-bas/Au lieu de travailler…"

La sobriété des musiques et des textes de Doux sauvage transparaît également à travers l’interprétation qu’offrent Charlebois et ses complices. Là aussi Charlebois a compris que l’éclat n’était pas toujours le secret de la réussite. Victime d’anémie lors de l’enregistrement de l’album, il a livré quelques-unes de ses interprétations les plus justes sur le plan de l’émotion sans pour autant utiliser toutes ses ressources vocales. "Quand j’étais malade, on faisait une chanson comme Si et Larrivée [son producteur] me disait: "C’est formidable!" Je lui répondais: "Veux-tu rire de moi? Je suis capable de chanter cinq fois mieux que ça!" Mais tout le monde sait que je peux chanter plus fort, alors où est l’intérêt? C’est en conservant des moments magiques comme ça qu’on a créé l’album."

Avant de me taire
Au milieu de la cinquantaine avec plus de 20 albums à son actif, Robert Charlebois est conscient que le plus gros de sa carrière est derrière lui. Jetant un oeil lucide à ce qu’il a accompli, il n’a aucun mal à discerner les bons coups des mauvais et vit bien les différents Charlebois qu’il a été: chansonnier, rock, psychédélique, variété, pop. Seul regret: la chanson Dix ans, un texte remarquable de Réjean Ducharme auquel il n’a su rendre justice. "Elle avait été faite avec des synthétiseurs aussi frettes que des tuiles de salle de bain; je vais la reprendre un jour, acoustique et avec des violons", se promet-il.

Quant au fait que le micro-brasseur en lui ait parfois déteint sur le chanteur, ce qu’on lui a souvent reproché, il dit le regretter, tout en soulignant qu’Unibroue est l’une de ses grandes réussites: "Je me rends compte que j’ai tiré fort un peu, mais on se battait contre des géants, explique-t-il. J’admets que ça a dû fatiguer du monde. Quand j’ai vu Depardieu présenter un nouveau film et parler plus de son vin que du film, je me suis dit: "Je ne peux pas croire que j’ai fait ça au monde…""

Mais Charlebois ne désire pas s’attarder outre-mesure au passé. Il a tellement repris goût à l’écriture et au studio qu’il désire aller de l’avant et continuer à mettre à profit sa vaste expérience. "Il y a une angoisse extraordinaire quand un artiste sent qu’il a tout dit et qu’il est au bout du rouleau et à la fin de sa carrière, confie-t-il. Moi, j’ai l’impression que je commence quelque chose de très excitant."

Charlebois à l’aube d’un énième renouveau? Tout porte à croire que c’est bien le cas. Et un peu comme le Charlebois qui, à trente ans, promettait d’être là en l’an 2000, celui de 2001 n’est pas prêt de tirer sa révérence. "Durer, pour moi, c’est important, reconnaît-il. Ce qui me fait le moins rêver au monde, c’est la retraite. Chanteur pop, si tu es toujours en phase, tu peux le faire à l’infini. J’étais là et j’ai l’intention d’être encore là. J’ai eu un petit malaise d’anémie cet été, mais là je suis en pleine forme et selon mon médecin, je suis reparti pour un autre 25 ans de pop rock!"


Des amies et des hommes
Daniel Boucher: "Je l’ai connu cet été et le contact a passé. Bon musicien, oreille absolue, il connaît bien ça, une guitare, et ce ne serait pas exclu que l’on se revoie et que l’on fasse quelque chose un jour. Je l’ai trouvé sûr de lui sans être frais chié. Intelligent et talentueux."

Garou: "Garou premier, c’est moi. L’autre, je ne le poursuivrai pas parce qu’il est extrêmement sympathique et chaleureux. Ce ne sont que mes intimes qui m’appellent Garou, alors c’est plus fatigant pour ma belle-mère ou ma femme que pour moi qu’il y ait un autre Garou. Mais ça me fait plaisir qu’il soit quand même bon parce que s’il était mauvais, ce serait un peu gênant…"

Mouffe: "Je pense qu’elle était mieux placée que Plamondon pour écrire de la musique populaire. On pense à Ordinaire, Madame Bertrand. Ç’aurait été le plus grand auteur de chansons si elle avait continué à travailler avec des compositeurs… "

Réjean Ducharme: "Ç’a toujours été mon écrivain favori, j’ai lu tous ses romans deux fois. J’aimerais écrire d’autres chansons avec lui, mais je crois que ça ne reviendra plus. Je ne regrette rien, si ce n’est que j’ai tenu ses collaborations pour acquises."

Frank Zappa: "Mon seul ami dans le showbiz américain avec Stan Getz. Il m’a donné un beau cadeau en produisant ma chanson Petroleum. Je crois qu’il rêvait d’être Varese ou Stockhausen à la fin de sa vie. C’était un bourreau de travail qui détestait les drogues."

Janis Joplin: "Je n’ai jamais vu quelqu’un se détruire à une telle vitesse et s’imaginer être une surfemme, mais elle nous a laissé des beaux cadeaux. […] Une fille avec un physique ingrat, mais qui compensait avec un talent et une énergie qui la rendaient belle – parce que le matin, quand elle se réveillait avec les cheveux gras et les boutons, tu n’avais pas envie d’être là!"

Photo en couverture, 35 ans plus tard:
Paru en 1967, à la veille de la guerre du Viêtnam, le troisième album de Charlebois présentait le chanteur arborant un casque militaire orné de fleurs, la larme à l’oeil. Près de 35 ans plus tard, les chansons Demain l’hiver, C’est pour ça – reprise par Daniel Boucher – et surtout Doux sauvage demeurent toujours d’actualité. Le casque de militaire aussi…