Kevin Parent : Maître chez soi
Musique

Kevin Parent : Maître chez soi

Huit ans après l’immense consécration de son premier album, KEVIN PARENT reprend simplement la route avec 15 nouvelles chansons. Des chansons sobres portant souvent sur le dur désir de demeurer malgré tout entier, au plus proche de soi-même, intègre et authentique. Simplement? Ces temps qui ont changé ont serré au plus près l’auteur-compositeur qui a traqué, cherché et trouvé jusqu’en lui-même des bonheurs fragiles.

Plage cinq. C’est pas réciproque. Quatre minutes dix-neuf: "Prendre l’air sans sentir,
manger sans goûter.
Faire l’amour dépourvu de désir,
pour finir une longue journée […]
Si c’est ça que t’attends de moi, t’as ben beau c’est pas réciproque…"
Un bar, un verre, un magnéto d’avant le déluge qui tourne et tourne… des réparties complices. Une certaine idée de l’écoute et de l’attention entre rires et stupeur…

Une petite heure de conversation solide avec Kevin Parent saura vous convaincre par-dessus tout d’une chose: des plaisirs et périls de l’amour comme de ceux de la carrière, dans tout ce que lui a offert et lui offre encore la vie, le Gaspésien s’impose une exigence presque constante. Il ne se permet rien qui ne provoque chez lui un débordement de sentiment, de sensations ou de sens.

Et si, sur son nouveau disque, le thème de la liberté nécessaire, explicité jusque dans les détails dans Father on the Go, n’est pas nouveau pour lui, Parent ne s’attarde plus à justifier ses absences.

"Mon plus beau cachet, mon plus gros salaire, c’est d’être présent de la tête aux pieds. Débordant d’amour les yeux clairs, sans futur ni passé", poursuit-il dans C’est pas réciproque.

Sans futur ni passé…
Il faut pourtant revenir en arrière pour saisir les étapes de cette évolution intérieure, du moins jusqu’en 1995 alors que Parent, au lendemain de son premier album, devint en quelque sorte, de scène en scène, de radio en radio, une immense idole populaire, spontanée.

À Québec, sa consécration passe alors par le Festival d’été, où en juillet, le bouche à oreille fait plus de bruit que la meilleure des promotions. Là, il s’en trouve même, parmi mes capricieux amis du métier qui ne jurent que par Neil Young, Dylan, Wilco ou Jonathan Richmann, pour m’avertir: "Il faut que tu voies ça!"

Effectivement, il fallait voir ça…

Un soir puis deux, dans un D’Auteuil dangereusement bondé, et voilà soudain Kevin porté par les bras de la volonté populaire, hissé sur une grande scène extérieure…

Question: Par quel effet de manche, par quelle conjoncture des astres Parent devint-il ainsi, du jour au lendemain, le choix de toute une génération?

"Oh! ce sont des concours de circonstances, je crois. Il n’y avait pas beaucoup d’artistes de mon âge à cette époque. Il y avait Éric Lapointe, Jean Leloup et… moi j’avais un petit spot entre les deux. Leloup était urbain; Lapointe, rocker… et moi qui chantais le peuple… soutenu par les régions…

"J’étais conscient que le star-système, c’était un peu comme la saveur du mois chez McDonald’s… mais je n’imaginais tout de même pas l’ampleur que ça pouvait prendre si vite. D’autant qu’il ne s’était pas passé beaucoup de temps entre le moment où les chansons avaient été écrites et la scène", avance le principal intéressé, sérieux et remarquablement attentif à chaque question.

Rentrons donc dans le vif du sujet.

Témoignage intime et cru de passion violente, la chanson Les vents ont changé s’imposait tout de même visiblement comme titre de ce nouvel album écrit et bâti sur quelques convictions profondes. Résumons: pour Parent, il semble désormais préférable d’avertir. D’avertir qu’on ne peut offrir que ce dont nous sommes capables. D’avertir et de refuser, plutôt que de compromettre une pureté originelle qu’il élève désormais en valeur ultime devant les femmes comme devant son art. Et ces avertissements ponctuent ses textes:

"Comme un cheval sauvage, j’ai besoin de galoper. Et si tu veux me restreindre, tu vas te blesser… prédateur, moi j’demeure au règne animal…" (Jeune Vieux Garçon)

Mais pour atteindre cette lucidité, cette détermination qui ne s’embarrassent pas de demi-mesure, il lui fallait vaincre une petite nuit personnelle.

Des choses à régler…
"Imagine… Je pars de la Gaspésie. Je quitte ma gang. Puis, je monte en ville… Me voilà connu. Professionnellement, au début, j’étais bien naïf, je montais sur scène, c’est tout… Le point de vue financier, les tickets, le marketing, les ventes d’albums, je ne savais pas comment ça marchait. Je ne comprenais pas que mon nom rapporterait, ferait vivre du monde… Alors, la gloire… Pas du tout! Je me sentais frustré, contrôlé. J’avais l’impression de ne pas faire ce que je voulais. J’avais, d’avance, des choses à régler, alors là…

"En 1995 , j’étais tourmenté, angoissé, en crise d’identité et de culpabilité… Moi qui allais à l’église plus jeune. J’ai des souvenirs terribles de ces crises-là… des chansons comme Seigneur, mine de rien, en témoignaient encore.

"Mais c’est un penchant désormais moins présent dans ma vie. Je suis moins féroce, je mords moins dedans… les états d’urgence et de violence que j’avais avant se sont apaisés. Ma qualité de vie et ce qui se passe dans ma tête s’est amélioré", ajoute Parent.

Comment? L’argent, la vieillesse?
"Oh! c’est sûr que je vis mieux…"

Alors comment?
"La thérapie, entre autres…"

Le principal intéressé chasse du revers de la main des poussières imaginaires sur la table du bar, avant de jeter dans le vide ses yeux bleus si doux qui crèvent le coeur des filles. Et c’est toute une surprise d’entendre ce garçon, que l’on pressent timide, faire dans le détail avec une honnêteté désarmante, afin d’expliquer que cette évolution intérieure ne s’est pas faite toute seule. Mais rien de grave…

"C’est moi qui ai demandé à mon entourage de chercher des ressources pour m’aider… J’ai consulté, je suis allé… Oh! pas des choses du domaine psychiatrique ou médical, mais j’ai fait de la croissance personnelle. Des ateliers sur comment s’exprimer, comment respirer, comment rentrer dans son corps. C’était très interactif, porté sur l’émotion. Pas très cérébral… car je suis un gars émotif. Ça m’a donné des ailes et des forces pour m’exprimer solidement.

"Où j’en suis?… Ça reste un work-in-progress, mais déjà je récolte les fruits de cette croissance personnelle…"

"Va voir ailleurs au cas qu’tu trouverais mieux ou pour te rassurer que c’est moi que tu veux. Je ne te demande pas de m’attendre ni de m’accepter…" (Ton collier)

Savoir laisser plutôt que de mal prendre. La phrase bancale résumerait assez bien les convictions de Parent: "C’est drôlement plus agréable de disposer de liberté et de ne pas en abuser que de se sentir pogné et de ne vouloir que ça. Alors vaut mieux ne pas créer trop d’attentes… Je ne crois pas aux promesses. Les gens qui sont très exigeants envers eux-mêmes le deviennent de plus en plus avec les autres. Ne pas trop en demander, se sentir bien avec ce qu’on a, c’est tout de même plus cool. J’essaie de vivre comme ça… et ces temps-là me vont bien…"

Parent d’aujourd’hui
À preuve! L’auditeur attentif se jettera avec délice sur la petite lumière matinale de Father on the Go Part 2. Une chanson au ton bien plus léger que la version précédente, branchée génération X.

Ici, entre le chien Pistache et les petites peurs de l’enfance, papa Parent tente de transmettre à son fils quelques règles élémentaires de savoir-vivre et surtout les vertus de la transparence, de la confiance retrouvée; au texte, de belles phrases simples et toujours la même conviction tranchante invitant à la maîtrise de son destin:

"Tu resteras surpris par le bonheur qu’apporte la maintenance d’un coeur fidèle à lui. Crois-le ou non t’as toujours le choix dans la vie. Soit que tu te fais confiance ou tu fais ce qu’on te dit."

"Ben oui, on est passé de "je m’excuse de pas être là" à une certaine présence… Mais surtout, y a de l’amour là-dedans, lance un peu plus fort Parent. J’ai pas de problème à l’écrire. Ça me fait du bien de le dire à mon fils, au public, à une femme que je l’aime. Donner de l’amour, s’accepter… Y a pas de mal là-dedans! Au contraire, moi, ça me fait du bien. C’est très libérateur, quand c’est spontané."

L’anglais
Il y a fort à parier que parmi les chansons en "langue étrangère" composées par Parent, l’implacable Tom Welch restera dans les mémoires. "Some say I’m paranoid and try to bring me pills. They say my love is overkill cuz I dance with my cyclops although he’s stuff swaying to the sounds of the chanting monks." Parent aurait-il pu écrire de telles choses, si directes, si rudes et si délirantes en français? Son travail dans la langue de Shakespeare épate carrément. Nous voici à la frontière d’un autre monde, presque vierge, où l’auteur s’offre des libertés extraordinaires: l’influence impossible de Chris Witley, inconnu, jetée sur un tapis de sons sourds à la Led Zeppelin, les timbres tordus implacables…

"Il y a des raisons techniques à cela, explique un Parent un peu surpris du commentaire puisque ce n’est pas la première fois qu’il livre quelques chansons en anglais. Les quatre chansons en anglais de l’album ont été mixées à Vancouver. C’est une mentalité différente. Je me suis peut-être plus défoulé. Je m’amusais à faire ça. C’est pas un son nouveau, mais la voix et tout… Il se passe peut-être des choses… mais moi, je me sens moins précis en anglais… What hip, en anglais, les tendances, c’est une attitude…"

L’auteur-compositeur préfère mettre en perspective une autre caractéristique de sa collaboration avec ses complices anglophones qui a donné au disque une sorte de souplesse sonore inédite:

"Ma gang d’anglophones, je leur disais: "Hé! relax, ces chansons, quand je les ai écrites, je sentais un peu d’humour dedans." Café crème, Du coin de l’oeil, pour moi, c’est de l’humour. Je ne suis pas sûr que c’est comme ça que les gens les reçoivent, mais musicalement, on a fait preuve d’une certaine légèreté."

Appel d’air
" Y a le goût de partir pour se retrouver, très loin du trafic, où l’air est salé." (Daniel)

De sa pochette, ouvrant sur des espaces infinis, villages de bord de mer et montagnes ennuagées, des mots exotiques de Caliente en passant par les envies de Daniel de sacrer le camp, jusqu’au quai où la Suzanne de Leonard Cohen fixe rendez-vous à son petit amant, Les vents ont changé est aussi un album empli d’air et de partance.

Gaspésien dans l’âme, Parent, qui partage ses saisons entre ville et campagne, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ne chante pas l’espace et le départ comme un désir pressant de fuir les pressions du star-système.

"Ah! non, pas du tout! Ce n’est pas par envie de fuir ou épuisement. Je souhaite et je saisis ces opportunités de retourner vers mes origines… et je les organise… mais pas par écoeurement. Veut, veut pas, Montréal, c’est le point de chute… les studios… J’y jet set un peu… une partie de hockey, un bar, un band… Mais là-bas, en Gaspésie, c’est ma talle. Parfois, je fais une pointe ici et une pointe là-bas. J’ai mes temps de repos. De beaux étés… et puis l’automne, c’est le temps de sortir de chez nous. Ben oui, je m’ennuie plus à Montréal à cause du manque d’espace… même pour stationner. Mais, de toute manière, je m’emmerderais à longueur d’année en Gaspésie. C’est agréable de changer de milieu. Je ne suis pas malheureux dans ce va-et-vient. Par contre, ces temps-ci, je m’ennuie un peu plus des régions du Québec qui m’ont aidé à me rendre là. Ça fait longtemps que je suis pas allé en Beauce, à Sept-Îles, à Baie-Comeau sur la Côte-Nord… des gens chaleureux et accueillants…"

La gêne
Rentrons donc en ville. Dans Montréal, Québec, Babylone, où radios et télés se nourrissent quotidiennement de faits divers culturels. Depuis quelques années, Parent, de son propre aveu, traîne une persistante réputation de résistance critique face aux médias. De toute évidence, l’homme n’est pas à l’aise devant l’urgence quotidienne qui remplit les carnets culturels des salles de presse. Une approche réductrice qui exacerbe sa tendance à se refermer comme une huître. Encore faut-il savoir de qui et de quoi on parle, semble-t-il dire à mots couverts… Dans cet échange de bons procédés entre médias et artistes, Parent fait valoir ses droits: il espère des rapports, des discussions conséquentes sur lui-même et son travail, mais tient tout de même à nuancer cette réputation d’ours mal léché.

"Oh! il y a de la gêne pure et simple là-dedans. Aller faire des bettes devant cinq caméras, c’est pas ma force… Je ne lèche le cul de personne. Mais lorsqu’on n’a pas l’air de vouloir me piéger, quand les opinions ne sont pas préconçues ou les questions réchauffées, tant que c’est pas du potin et qu’on place en contexte les affaires personnelles… Enfin, lorsque les journalistes ont l’air intéressés, ben, je le suis moi aussi! Alors… let’s go! On jase…

"Soyons clairs, insiste Parent, je ne refuserai jamais une bonne rencontre, mais, déjà, dans mes disques, mes chansons, mes spectacles, je mets mes gosses sur la table. Alors si je fais pas Michel Jasmin pour mémérer sur ma blonde, c’est pas plus grave… On peut parler d’autre chose…"

Parenthèse
Parler d’autre chose, pour Kevin, en ce bel après-midi de novembre, c’est au premier chef insister de manière très prosaïque sur une situation qui l’enrage. Une cause pour laquelle il s’emporte franchement: le piratage.

"Imagine… Lors de la parution de mon premier disque, j’espérais vendre 15 000 copies. Miracle, j’en ai tiré 350 000. C’est un chiffre désormais difficile à battre, simplement parce que dans le temps, y avait moins de graveurs de CD."

Je titille Parent sur la misère des pauvres qui, sans Internet, ne pourraient pas s’offrir ses chansons. "Quoi? Le p’tit gars qui est trop cassé pour acheter mon disque, il a tout de même les moyens de s’acheter un ordinateur et un graveur de CD? Soyons sérieux. Lui, il me tue droit dans la patate. Le piratage, ça fait chier tous les artistes. Ça fait chier le technicien et même l’éclairagiste. Les gens ne sont pas conscients de la petitesse du bassin québécois. Ils ne comprennent pas à quel point ce sont des gestes qui détériorent la qualité de ce qu’on peut leur offrir. Ça coûte cher de faire des disques. Lapointe, Jorane, Souad Massi… on n’est pas des Bill Gates. Y a beaucoup d’ignorance là-dedans… Crisse! Vois-le n’importe comment, c’est du vol! Et on ne vole pas ceux qu’on aime…"

Suite et fin…
Le temps tourne court. Un mot sur Tony Levin, immense artiste et bassiste sur ce disque invité: "J’avais lu un article dans Voir qui annonçait son passage en ville. J’ai voulu profiter de l’occasion pour le rencontrer et l’engager. Autour de moi, on n’y croyait pas. C’étaient des problèmes et puis… tout pour sauver du cash et tuer mon rêve… Mais je l’ai eu. Tony est un musicien formidable. Oh! mes chansons sont relativement simples. Il a fait son boulot et surprise! Après l’enregistrement, il m’a demandé de lui proposer des dates de tournée. Il sera du voyage…"

Et puis comment éviter d’évoquer une dernière fois les mots cruels et étonnants de Les vent ont changé, cette chanson quasi vénérienne portant à moitié sur les microbes rapportés d’amours incertaines. Un thème inédit dans l’histoire de la chanson française depuis les pitreries d’entre-deux-guerres de Bourvil. Il y a là-dedans, de prime abord, dans ce fond d’amertume, quelques douleurs qui semblent contredire les envies d’équilibre et de paix de Parent.

"Ben oui, ça, c’est hyper personnel…

Qui dit que c’est pas elle qui a… ben oui… elle qui a fucké le chien! Moi, je le sais. C’est moi, le trompé. Moi le loser. Mais ça aussi, ça finit bien." Et Parent de réciter des bribes de son propre texte: "Ben oui, ça fait mal, ben oui j’t’aime encore… J’ai écrit tous ces mots juste pour te dire que tes yeux verts que j’aime tellement me manquent tant… Même ça, ça m’a fait du bien… L’humilité, mais c’est une matière qui se vit au quotidien. Calmement. Cet album-là, dans ma tête, c’est pas de la paresse et pas du réchauffé. J’ai touché à des choses… Ça a ouvert des portes pour moi qui vont déboucher sur autre chose. Mais j’aime tellement faire des chansons… On verra! Je suis pas rendu plus loin que ce chapitre-là de ma carrière.

Peut-être que demain je vais retomber en amour. Et elle va me crisser là… Et ça va être épouvantable. Et là je ferai des chansons terribles et malheureuses là-dessus…"

Certains jours, l’été, dans le bout de la Gaspésie, les téméraires qui voudront retrouver le jeune homme pour parler affaires et business devront se mouiller et oser descendre au-dessous du niveau de la mer. Car Parent a trouvé dans la plongée sous-marine la planque idéale où rien ne viendra le déranger:

"C’est complètement introverti. J’adore ça. 40, 45 pieds de fond, un pied de visibilité… T’es tout seul, y a que les poissons. Mentalement, je te dis, ça m’aide. Ça me plogue avec moi-même… Il y a toujours quelque chose à voir au fond…"

Les 27 et 28 novembre
À la salle Albert-Rousseau
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