Muriel Moreno : Spin et idéal
Musique

Muriel Moreno : Spin et idéal

Longtemps sous les feux de la rampe, MURIEL MORENO veut désormais rester dans l’ombre et livrer une musique électronique qui traduit ses états d’âme. Exit l’image de sex-symbol, exit l’image de chanteuse sulfureuse, l’ex-Niagara veut être reconnue pour ses talents de compositrice.

Depuis la dissolution de Niagara, Muriel Moreno vit tapie dans son home studio et fait son petit bonhomme de chemin dans le monde de l’électronica. Tapotant son piano, grattant sa guitare, échantillonnant des sons, elle s’applique à créer une musique qui lui ressemble, intrigante, secrète, sombre, sensible.

Pour elle, plus question d’être chanteuse pop rock. "Ce n’était pas moi, Niagara, assure-t-elle, depuis son domicile, en France. J’ai mis beaucoup de temps à savoir qui j’étais et je commence juste à cerner le sujet. Je suis assez compliquée comme femme et ma musique me permet maintenant d’exprimer cette complexité-là…"

Femme de l’ombre
Si Muriel Moreno a occupé l’avant-scène durant les années de Niagara, qu’elle est devenue un véritable sex-symbol, c’est un peu malgré elle, et elle dit en avoir payé le prix puisque son image a complètement éclipsé ses talents de musicienne et de compositrice. Voilà pourquoi depuis le milieu des années 90 elle se fait discrète et veut laisser parler sa musique. Elle a travaillé à plusieurs musiques de films, a fait paraître un premier album solo en 1996, Toute seule, puis un second, entièrement instrumental en 2000, intitulé Required Elements.

Dernier en lice, Surviving the Day est un intéressant mélange de trip-hop et d’acid jazz où l’artiste, en plus de jouer d’à peu près tous les instruments, s’amuse à sampler les sons qui l’entourent, y compris ses propres chansons. Elle accouche ainsi d’une musique parfois difficile d’approche, mais dont la richesse et la personnalité s’avèrent indéniables. "L’eau est froide, mais une fois qu’on est dedans, elle est bonne! acquiesce Moreno. J’espère être dans un laboratoire. Je ne suis pas sûre de moi, mais l’élan qui m’anime est plus fort que moi. Et la prétention que j’ai est énorme: c’est d’aller voir où les gens n’ont pas été, où ils ont eu peur d’aller."

Nul besoin de dire que pour les fans de Niagara, le choc est énorme. La nouvelle vie musicale de Moreno est en totale rupture avec ce qu’elle a fait. Or l’artiste s’y sent on ne peut mieux: "C’est comme si pendant 10 ans j’avais été hétérosexuelle en étant homosexuelle refoulée. Là, enfin, j’arrive et je dis: "Je vous emmerde, je suis pédé!" Et si quelqu’un vient me dire: "Attends, c’était vachement mieux quand t’étais hétéro!" Je lui réponds: "Non, mais j’t’emmerde toi! T’es chez moi quand je pleure? T’étais chez moi quand j’ai eu cette douleur hallucinante de ne pas avoir le droit d’être écoutée en tant que compositrice parce que j’étais une femme?"

"La liberté, ça se paye toujours très cher, poursuit-elle. Et moi, je suis sur un chemin super difficile maintenant, mais jamais je ne le regrette. […] J’aurais été une petite grosse à lunettes, je n’aurais pas eu ce problème. Est-ce qu’un homme qui a une image de sex-symbol n’est pas crédible en tant qu’artiste? Bien sûr que non. Alors c’est une nouvelle injustice pour les femmes."

Mutisme
Outre le changement de style musical, ce qui caractérise les nouvelles compositions de Muriel Moreno, c’est sans doute la discrétion de sa voix. Désirant faire tabula rasa, elle a complètement cessé de chanter sur Required Elements. Avec Surviving the Day, album qui traduit l’état dépressif dans lequel elle était il y a un an, elle fait un timide retour au micro sur la pièce jazzy Come Rain or Come Shine! ainsi que sur Le Petit Cheval blanc, reprise empreinte de détresse du poème de Paul Fort mis en musique par Brassens. "Les gens qui composent sont souvent des instrumentistes ratés ou qui s’estiment ratés et j’estime être une mauvaise instrumentiste, confie-t-elle. Je n’ai jamais été satisfaite de ma voix, alors que de temps en temps, je suis satisfaite de ce que je fais comme compositrice."

Qu’on se rassure, Muriel Moreno réapprivoise son métier de chanteuse et met de plus en plus sa voix à contribution à l’occasion de projets autres que les siens. Elle songe même à faire un album de reprises jazz ou de chansons françaises. Cependant, pas question de faire renaître Niagara ou de remonter sur scène: "La scène, c’est le grand théâtre de la démagogie, mais ça, personne ne vous le dira parce que ça ne fait pas très chic de dire ça. Ça va à l’encontre de ce que tout le monde dit, mais moi, je suis en porte-à-faux. Et j’ai toujours été bizarre… Je n’ai jamais été normale de toute façon! J’ai un esprit de contradiction terrible!"

Pour sa visite à Québec, Muriel Moreno se fera D.J., un métier qu’elle a pratiqué bien avant de joindre les rangs de Niagara. Si vous désirez entendre ses compositions, vous devrez toutefois aller fouiller dans les bacs de votre disquaire, car bien que l’artiste s’avoue narcissique, elle se dit incapable de faire tourner ses propres pièces. "Ce doit être une espèce de pudeur, j’y arrive pas, indique-t-elle. J’ai l’impression d’une certaine obscénité, comme un écrivain qui viendrait lire son roman…"

Que nous concoctera alors la D.J.? Des morceaux dansants bien sûr, souvent obscures, mais rien en rapport avec ses accomplissements musicaux. "En résumé, ceux qui aiment L’Amour à la plage, ils ne viennent pas me voir faire la disc jockey, c’est clair! rigole-t-elle. Il n’y a pas de show, il n’y a pas de light, il n’y a rien à voir! Par contre, ceux qui ont envie de découvrir des trucs rares vont apprécier. D’ailleurs moi, ce qui me fait plaisir, c’est que des gens viennent me voir en me demandant: "C’est quoi ce truc que tu as fait tourner?…""

Le 19 décembre
Chez Maurice
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