

Gilbert Bécaud (1927-2001) : Baisse de tension
À l’occasion du décès de Gilbert Bécaud, GÉRARD THIBAULT raconte comment il a connu le chanteur alors qu’il n’était que pianiste accompagnateur. Récit d’une star montante qui s’est éteinte.
David Desjardins
Gilbert Bécaud n’est plus. À 74 ans, M. 100 000 volts, auteur de grands succès de la chanson française tels que Et maintenant, L’important c’est la rose et Je reviens te chercher a éteint la machine. À la moitié du siècle dernier, c’est en tant qu’accompagnateur que Bécaud a débuté sa carrière qui, déjà, l’amenait jusqu’à Québec au célèbre cabaret Chez Gérard.
Propriétaire dudit cabaret et témoin privilégié des belles années de la chanson française, Gérard Thibault se souvient.
"Je l’ai connu en 1951 quand il accompagnait la vedette Jacques Pills. Je me souviens que sur la publicité, le nom de Pills était en gros alors que celui de Bécaud était tout petit; il n’avait pas commencé à chanter à ce moment, il n’était pas connu. Au milieu du spectacle, Pills présentait son accompagnateur: "Voici monsieur Gilbert Bécaud, si vous voulez, il va vous faire une chanson." Les gens l’appréciaient énormément, il avait une très belle voix en 1951… Ça fait cinquante ans, ça! Cinquante ans! Et c’était au mois de décembre par-dessus le marché, presque jour pour jour… Il a fallu attendre jusqu’en 1954 avant que j’entende parler de lui à nouveau. Son gérant, Émile Hebey, était aussi mon agent à Paris pour dépister les bonnes vedettes. Il m’appelle de Paris et me demande si je peux passer Gilbert à Pâques en 1954. J’étais déjà complet, mais à la demande de Hebey, je l’avais passé entre d’autres artistes qui étaient déjà au programme Chez Gérard et à la Porte Saint-Jean. C’était difficile, il ne fallait pas déranger les autres vedettes. Il devait être discret, mais les gens applaudissaient, oh! là là!"
"Au piano, Bécaud déployait énormément d’énergie. C’était différent de ce que nous avions vu avant – des chanteurs et des chanteuses plus délicats -; il jouait fort, ses doigts marchaient fort, il y mettait du poids. Quand il avait sorti Et maintenant, c’était génial: "Et maintenant, que vais-je faire, de tout ce temps [chanté]". Cette chanson avait été très populaire."
"En 55, je signe un contrat pour cinq ans avec Émile Hebey pour Bécaud. Il était de plus en plus en demande. Je l’ai ensuite présenté en tournée. Nous avions fait toutes les salles de la province: Ottawa, Sherbrooke, Trois-Rivières, le Lac-Saint-Jean, Rimouski, partout. Et même, après avoir passé deux semaines à la Porte Saint-Jean, je le présentais au Capitole et on faisait encore deux ou trois soirs remplis à pleine capacité."
"Bécaud était un excellent garçon. Il était un des plus familiers de ceux qu’on a connus, mes frères et moi. Il tutoyait tout le monde. Jean Silly, son frère, savait aussi entretenir les relations publiques. Ce matin [le mardi 18 décembre], j’ai été très surpris d’apprendre son décès. Je le savais malade, mais partir si vite…"
"Pour moi, Bécaud était un innovateur dans le domaine de la chanson française. Il avait un côté des chanteurs populaires américains, un peu crooner, et c’était nouveau au Québec et en France. J’étais tellement content qu’il soit venu chez nous. Il s’ajoutait à la liste des grands noms que j’avais présentés en spectacle. J’ai beaucoup de peine qu’il soit parti, il était quand même assez jeune, 74 ans… Je sais que je vais avoir de la difficulté à dormir ce soir, je me connais, je vais sans doute fredonner ses chansons…"