La Bottine Souriante : Moi, mes souliers…
Musique

La Bottine Souriante : Moi, mes souliers…

Il y a de quoi se réjouir: le doyen des groupes traditionnels québécois est aussi l’un des plus vibrants et des plus innovateurs. Et la meilleure preuve de l’immense talent de La Bottine Souriante, c’est que plusieurs jeunes groupes marchent dans ses traces en insufflant un vent de jeunesse bien nécessaire à la musique dite folklorique. Présentations de ces pionniers, et de quatre de leurs dignes  successeurs.

Un temps des Fêtes sans La Bottine Souriante, c’est un peu comme une soupe sans moustache, comme disait le grand bédéiste Fred. C’est comme une dinde sans atacas. Un sapin sans boules. Un… (ajoutez votre lieu commun préféré ici). Bref, les spectacles des Fêtes de La Bottine Souriante sont à peu près aussi prévisibles que l’introduction de ce texte. Et si l’on s’est parfois plaint de ce que la musique traditionnelle avait de la difficulté à exister au Québec en dehors de Noël et de la Saint-Jean, son absence en ces temps de réjouissance nous ferait encore plus de peine.

La Bottine Souriante, donc. Le doyen de nos folkloristes, le plus connu et l’un des plus innovateurs des rénovateurs de notre patrimoine sonore est aussi devenu l’un des plus grands ambassadeurs de la culture québécoise à l’étranger. Cette année, La Bottine célèbre son quart de siècle d’existence avec un album rétrospective, doublé d’un disque de nouvelles compositions (Cordial), leur premier en trois ans. L’occasion de passer en revue 25 ans de reels, de rires, de voyages et d’explorations en compagnie de l’accordéoniste et chanteur Yves Lambert, membre fondateur, pilier et seule constante du groupe depuis ses débuts.

Rétrospective?
Lors du 20e anniversaire de son groupe, Lambert avait déclaré à mon collègue Marsolais qu’il refusait systématiquement de regarder en arrière. Pour célébrer son quart de siècle, avec une anthologie qui remonte jusqu’aux débuts, il a dû changer son fusil d’épaule, non? "Il faut dire que 25 ans, c’est quand même un cap assez symbolique; et c’est vrai que les cinq dernières années m’ont permis de me réconcilier avec mon passé, avoue le chanteur moustachu. Durant cette période, on a fait Mémoires et Racines, un gros show-concept de quatre heures avec les anciens musiciens de La Bottine, et ça m’a beaucoup stimulé; l’esprit est bien meilleur depuis. Pour ce qui est de l’anthologie, c’est un exercice qui m’a vraiment plu, parce qu’il m’a permis de me rendre compte de l’ampleur de l’oeuvre bottinienne, même si je la connaissais déjà pas mal, étant là depuis les tout débuts. En me replongeant dans l’histoire du groupe, j’ai redécouvert des pièces que j’avais oubliées."

Pour le fan récent de La Bottine, l’anthologie permet de (re)découvrir des classiques comme 2033, un incontournable tiré de leur premier album qui les a suivis depuis, ou encore La Ziguezon, issue de leur deuxième, qui renaît ici dans une version entièrement réarrangée (et complètement modernisée) sous le titre Le Petit Porte-clés. Par-dessus tout, il s’agissait de dépoussiérer et de remasteriser plusieurs chansons qui, comme le précise Lambert, "seraient demeurées dans l’oubli si on ne les avait pas déterrées".

"La sélection ne s’est pas faite en fonction d’un greatest hits; on a choisi des pièces qui témoignaient bien de l’esprit de l’époque, même si certaines d’entre elles sont passées inaperçues. Et ça permet un coup d’oeil sur les différentes phases artistiques de La Bottine: l’époque mythique de 76-80, qui a donné le ton, puis celle qui a suivi le départ de Gilles et Pierre, qui étaient de formidables porteurs de tradition, et qui nous a fait passer à l’étape de l’esthétique celtique. Vinrent ensuite les éléments jazz et les cuivres, qui sont à la base du son moderne de La Bottine."

En effet, il y a plusieurs étapes distinctes dans la carrière de ce groupe hors norme.

Fait cocasse, le 25e anniversaire de La Bottine Souriante coïncide avec celui de l’arrivée au pouvoir du Parti québécois. De là à y aller de complexes analyses, il n’y a qu’un pas, qu’on hésite à franchir. Lambert, ayant vu la question venir de loin, m’avoue qu’une thèse de doctorat a déjà été consacrée à ce sujet précis. "Il faut faire attention à ce genre de comparaisons, prévient Yves; on a suivi l’évolution du Québec comme citoyens et comme groupe, mais le parallèle s’arrête là. On ne s’est jamais considéré comme un groupe politique, ça n’a jamais été le but de l’opération."

Reste qu’il ne s’agit pas d’une extrapolation immodérée: l’histoire de La Bottine a bel et bien évolué en parallèle avec celle du Québec moderne. Du retour à la terre dans les années 70 (alors que les membres du groupe arboraient chemises de bûcherons et attitude pure laine), on passe ensuite à la période post-référendaire, durant laquelle le groupe fut presque totalement ignoré chez lui, jusqu’à l’éclatement multiculturel des années 90: tout y est. "Il n’y avait pas d’intention claire: le retour aux sources, par exemple, était une idée bien contemporaine dans les années 70, précise Lambert. Ce que ça prouve, c’est qu’on n’était pas déconnectés de notre époque."

Poursuivons l’analogie: durant les années post-référendaires, le groupe incorpore des sonorités plus anglo-saxonnes – surtout écossaises et irlandaises – qui viennent casser le son assez terroir des débuts, et la formation commence à se produire devant des publics anglos, dans l’Ouest canadien et aux USA. Une période riche en apprentissages… "À la fin des années 80, quand on a commencé à se produire au Club Soda, on a suscité l’intérêt des médias, qui se rendaient compte qu’on était devenus des musiciens d’expérience. On ne peut pas comparer ça à Félix dans les années 50, par exemple, qui avait dû attendre la reconnaissance des Français avant qu’on s’intéresse à lui ici; on était simplement un groupe qui avait plusieurs années de tournées dans le corps et ça commençait à paraître."

Puis, dans les années 90, c’est l’ouverture au monde: rythmes latins, caraïbes et autres: La Bottine, après s’être promenée de par le vaste monde, constate qu’elle appartient à la grande famille de la world music. Si la réputation de bêtes de scène de La Bottine était déjà acquise, on commence à en parler de façon plus universelle. On commence à entendre des phrases comme: "L’un des meilleurs groupes au Québec… toutes catégories confondues", manière de reconnaître du bout des lèvres que La Bottine a transcendé le carcan traditionnel et mérite d’être jugée sur un pied d’égalité avec le reste des entertainers de la province. C’est aussi l’aventure à neuf musiciens qui commence. "C’était complètement hors norme parce que personne ne voulait engager un groupe aussi nombreux", se souvient Lambert. Au-delà des considérations techniques, La Bottine risquait aussi de s’aliéner les puristes du folklore à cause de l’intégration de cuivres et de sonorités latines. "Ça a créé quelques remous, les puristes ne retrouvaient plus leur bonne vieille Bottine, mais ils se sont vite rendu compte que l’esprit était intact. On n’avait aucunement envie de se complaire dans le passé."

Ce qui nous amène à Cordial, leur petit dernier, lancé presque conjointement avec l’anthologie. Si on voulait faire les fines bouches, on pourrait se demander si La Bottine, forte d’une recette inédite, ne commence pas à faire du surplace… Que reste-t-il à explorer? Où se situe l’avenir? "L’avenir et le présent, c’est Cordial, qui est le fruit du travail de la dernière décennie. J’ai compris que je n’étais pas un compositeur, je suis un recycleur. Un flibustier de genres et de cultures, un récupérateur qui ramène ses influences diverses sur le canevas de la musique traditionnelle. Je pense qu’on a trouvé la recette de la sauce bottinienne, et on se contente de la perfectionner à chaque album."

Les 26, 27 et 28 décembre
Au Spectrum
Voir calendrier Folk


Les Batinses

Un Montréalais, deux Gaspésiens, une fana de musique actuelle et quelques instrumentistes provenant de souches musicales diverses ont formé Les Batinses à Québec il y a quatre ans. "À Québec, il y a du monde qui vient de partout en province, et ça crée une super dynamique", explique Mathieu Girard, principal géniteur du groupe qui, à l’instar des autres bands de trad, veut "amener du neuf, injecter de nouveaux ingrédients sonores et pousser l’aventure le plus loin possible". Après un disque essentiellement porté sur la chanson (Charivari), paru en 1997, Les Batinses rejoignent la famille des Productions Mille-Pattes. Puis c’est la sortie de Tripotages l’année dernière, dont le bouillonnant melting-pot musical lui vaudra le qualificatif de "trashditionnel" et, plus récemment, de "funklorique". "Le courant des musiques du monde est intéressant pour nous, observe Girard, puisqu’il permet de marier le folklore local à l’international." L’Europe de l’Est avec ses bouzoukis, l’Afrique et ses djembés, la musique celtique, le jazz, le rock; il n’y a pas de défis trop gros pour Les Batinses. Le groupe figure même sur la compilation ska de Ramon Vitesse avec une toune sur l’arrivée de l’électricité! Il faudra donc désormais compter avec eux dans les réseaux du prestigieux circuit traditionnel-celtique européen: "Nous avons deux tournées de prévues en Europe: l’une en Écosse en janvier et l’autre en Espagne au mois de mai, annonce Girard. La Belgique suivra en septembre." Et comment Les Batinses se démarquent-ils du lot? "Je pense que nous sommes les seuls à avoir intégré un côté heavy à la musique traditionnelle; et, sans vouloir dénigrer les autres, je crois que nous avons plus de profondeur, côté création. Il y a des pièces que nous avons arrangées de façon très progressive et peu accessible, mais là, nous sommes en train de revenir à des trucs immensément groovy. Quand tu prends des rythmes africains et que tu les mélanges à de la musique traditionnelle, ça locke au boutte. Surtout qu’on a maintenant deux violons; et un reel à deux violons, ça déménage! On explore aussi un côté pop dont les influences vont d’Arthur H à Stereolab. Les Batinses, c’est une conjonction de toutes nos influences."

À propos de La Bottine: "L’un des plus vieux groupes au Québec, tous styles confondus, avec Le Rêve du Diable. La Bottine a prouvé qu’on pouvait avoir un succès populaire et durer. Il y a toujours eu un souci de qualité extrême dans le groupe, autant du temps d’André Marchand, qui a beaucoup innové côté arrangements, qu’aujourd’hui. Pour tous les membres des Batinses, La Bottine a été le premier contact avec la musique traditionnelle."(Claude Côté)

Le 26 décembre
Au Café Campus


Chasse-Galerie
Lutte à finir

Le dernier disque s’intitule Le Pacte. Pacte, du latin pactum, également racine du mot paix. Normal. Avec pareil métissage entre modernité et traditionalisme, on soupçonnera les membres de Chasse-Galerie d’avoir dû procéder à d’intenses négociations avant d’en arriver à ce fameux pacte. Aujourd’hui, le neuf côtoie le vieillot et, pareils à deux petits coqs de ruelle, aucun n’a l’intention de céder la moindre parcelle de territoire.

Le combat, faut-il le préciser, est à la fois dynamique et bienfaiteur. C’est que Chasse-Galerie mise sur des musiciens issus de diverses générations, aux idées et influences différentes: "Y’a jamais eu de grosses chicanes, précise la flûtiste Geneviève Dufresne. On voit rarement l’un de nous autres bouder parce que la direction que le groupe a prise ne fait pas son affaire. Cela étant dit, les compromis ne sont pas nécessairement faciles, mais ils finissent toujours bien."

Concrètement, on parle donc d’une base traditionnelle aux fortes effluves celtiques, croisée avec des éléments rock (façon seventies) et un peu d’électro, appuyée occasionnellement de scratchs: "Chasse-Galerie est devenu un groupe plus démocratique, explique Dufresne. Avant, les décisions revenaient d’abord au guitariste Robert Jourdain. Aujourd’hui, tous les membres tripent sur un paquet de genres qui s’intègrent facilement à la musique traditionnelle. C’est sûr que ces nouvelles influences sont d’abord apportées par la tranche plus jeune du groupe, mais tous restent très ouverts. C’est un renversement des tendances qui se fait bien."

Un renversement, le mot est faible. Chasse-Galerie avait timidement amorcé le virage avec Aux frontières du réel, le disque précédent, après trois disques nettement plus collés sur la tradition. L’équilibre a-t-il finalement été trouvé? "Moi, je pense que le penchant moderne n’a pas encore fini de faire sa place, lance la représentante de l’aile jeunesse. Il nous faut retravailler les arrangements des anciennes chansons. On ne deviendra pas death métal, mais il y a assurément de la place pour établir ce qu’on veut faire…"

Pour moi, La Bottine c’est…
"C’est drôle, je pensais justement à La Bottine Souriante hier dans le métro. Je regardais les gens, et je me disais qu’à peu près tout le monde devait connaître le groupe. Pour moi, cette formation-là est la preuve vivante que le folklore a sa place. Même si on n’emprunte pas la même avenue, c’est un fichu de bel exemple à suivre." (Patrick Marsolais)


Mauvais Sort
Nicolas Geoffroy a fondé Mauvais Sort à Québec en 1998. Les six membres du groupe ont à peu près 20 ans. Ils sont donc les cadets du néo-trad. Qu’est-ce qui motive tant Geoffroy? "La scène. Faire des shows." Podorythmiste accompli et multi-instrumentiste fouineur, Geoffroy, qui vient du berceau néo-traditionnel de Lanaudière, est "tombé dedans quand il était petit", tout comme Obélix. "Je suis un vrai fan de musique traditionnelle, confie Geoffroy, on peut même dire que j’en mange; mais j’écoute aussi autre chose, Dave Matthews, par exemple. Là où l’on se démarque des autres groupes, c’est dans l’arsenal complet des percussions, un élément fort important dans la musique de Mauvais Sort. Dans les voix aussi; tout le monde chante, siffle et participe vocalement aux chansons. Mais surtout, nous composons tout notre matériel, sauf quelques standards que nous incorporons aux concerts." Difficile de tout écrire? "En fait, poursuit Geoffroy, nous pouvons adapter un reel connu à nos textes. Prends La Volée d’Castors, qui sont des grands chums à moi. Eux, ils font le contraire: ils n’écrivent pas de textes mais composent beaucoup d’instrumentales et beaucoup de reels." Une exception à cela: la chanson Germaine, qui figure sur (l’album auto-produit) Sens dessus dessous, leur seul compact à ce jour. La Germaine de Garolou? "Oui, mais il s’agit d’une vieille chanson belge qui s’appelait originellement Germine", corrige Geoffroy. Avec leurs 1500 albums vendus à l’aide des moyens du bord (tiens, ça ferait un beau nom de groupe trad) et des visées sur l’Europe, les gars de Mauvais Sort tentent d’éviter leur pire démon: "Faire trop de chansons à répondre. Beaucoup de gens se tannent de ça. Un enfant de 10 ans qui fait du skate et qui écoute du rap nous a envoyé un mail cet été, après nous avoir vus en concert par hasard, pour nous signifier qu’il était en train de convertir ses amis à Mauvais Sort. Ce qui les séduit, semble-t-il, c’est l’instrumentation. Et c’est en plein ce qu’on veut: que personne ne reste indifférent."

À propos de La Bottine: "C’est en revenant d’un de leurs shows du 31 décembre au Medley que j’ai décidé de fonder un groupe. Étant donné que je viens de Lanaudière, je suis un peu vendu: un des gars de La Bottine est le voisin de ma tante, mon cousin a suivi des cours d’accordéon avec Yves Lambert, etc. Une trentaine de musiciens se sont succédé mais Lambert est toujours là. Ils sont non seulement des défricheurs mais aussi, un peu, des précurseurs." (Claude Côté)

Le 29 décembre
Au Café Campus


Mes Aïeux
Quand, en mai 1980, le Québec a dit "Non" pour une première fois, suivit une période culturelle trouble, dont les grands classiques (?) ne résonnent désormais que très rarement à nos oreilles. Seize ans plus tard, c’est précisément en réponse au second "Non" que Stéphane Archambault et Frédéric Giroux formèrent Mes Aïeux, signataires, comme ils le disent eux-mêmes, d’un folklore génétiquement modifié.

Cinq ans après sa création, on a affaire à l’une des très belles machines musicales de Montréal. Peut-être également à l’une des plus sous-estimées, sans doute parce qu’un peu trop pop au goût de certains. N’empêche, rares sont les groupes d’ici capables d’un métissage aussi élégant: "Le band est né autour d’une guitare acoustique, explique le chanteur Stéphane Archambault. Beaucoup en réaction à la défaite référendaire. En 1980, tout le monde s’était mis à chanter en anglais, en se disant citoyen du monde. En réponse à ça, on a proposé une forme de résistance en se disant qu’il fallait au moins célébrer notre culture." Voilà sans doute pourquoi les échos de Beau Dommage, de Zébulon, des Colocs, voire d’André Gagnon, croisent ceux de La Bolduc, de La Bottine et autres chevaliers de la tradition. "Si on veut réaliser le projet d’indépendance, va falloir intéresser les anglophones et les allophones à la culture québécoise. Pas leur faire avaler de force. Si on a du fun entre nous, ils vont peut-être être curieux de venir voir ce qui se passe de notre bord. C’est pour ça qu’on a décidé de faire une grosse fête de tout ce qui est québécois."

Curieusement toutefois, Entre les branches est moins direct dans ses allusions nationalistes que ne l’était son prédécesseur Ça parle au diable: "C’est possible, admet Archambault. Peut-être que l’option souverainiste s’essouffle et qu’on est aussi essoufflé que ben du monde. Mais en même temps, pour moi, une chanson comme Le Temps des semences est très politique même si le message n’est pas au premier degré…" "Je ne crois pas qu’on a évacué notre message politique, réplique Frédéric Giroux. On n’est pas obligé d’utiliser des mots trop évidents pour se faire comprendre…" De toute manière, la musique de Mes Aïeux symbolise à elle seule la célébration d’un siècle d’histoire culturelle au pays du froid…

À propos de La Bottine Souriante: "C’est le représentant par excellence de la culture québécoise sur la planète. Un groupe traditionnel, certes, mais qui, en prenant autant de libertés, a tracé une nouvelle voie pour tous nous autres. C’est également le groupe le plus tight, toutes catégories confondues, du Québec." (Patrick Marsolais)

Le 28 décembre
Au Club Soda