

Les Cowboys Fringants : Francs-tireurs
Après s’être bâti une réputation de sympathique groupe de party, Les Cowboys Fringants viennent de prouver, avec leur Break Syndical, qu’ils peuvent aussi être pris au sérieux. À la veille de leur rentrée triomphale au Métropolis, les Cowboys ont mis leur drapeau en berne, mais la flamme brûle encore.
David Desjardins
"Dans ce royaume de la poutine, on s’complaît dans’ médiocrité. Ben satisfaits de notre routine et du bonheur préfabriqué", entonne le chanteur Karl Tremblay sur En berne, pièce d’ouverture de Break Syndical, un album qui confirme la position politique des Cowboys Fringants. Justice sociale, dénonciation de l’imbécillité ambiante et de l’inertie du peuple québécois: ceux que les Cowboys flinguaient autrefois plus timidement, ou à la blague, sont aujourd’hui criblés de projectiles hurlants qui appellent au changement drastique du mode de pensée occidental.
"C’est sûr que j’ai écrit En berne pour botter le cul aux Québécois, affirme le compositeur et parolier Jean-François Pauzé; on ne se cachera pas qu’en ce moment, au Québec, il n’existe aucun projet de société, la souveraineté est dans le creux de la vague, les dirigeants qui sont soi-disant souverainistes en parlent du bout des lèvres, plusieurs décisions douteuses sont prises et les gens se sont complètement désintéressés de la politique. En berne, c’est pour conscientiser les gens, oui, parce que même si c’est la langue de bois et la rectitude qui prédominent en politique, il faut s’y intéresser pour ne pas se faire avoir."
Une chanson qui traduit un écoeurement devant un peuple se laissant voguer sur le long fleuve tranquille de l’écran cathodique, se plaisant à croire qu’il n’est plus dominé par une classe dirigeante qui, bien qu’elle ait changé de visage, continue pourtant de s’enrichir au détriment de la masse.
Y allant d’efficaces clichés, d’images concrètes et d’invectives dérangeantes, le groupe brasse une cage dorée, empoussiérée par l’apathie et l’inconscience collective, s’appuyant sur l’accablante comparaison entre notre époque et celle qui a vu naître la génération "sacrifiée", les années 70. Période que l’histoire rapporte comme l’âge d’or de l’implication politique et de la contestation. Une vision idéalisée?
"Peut-être, répond Pauzé, mais c’est quand même mieux d’être contestataire comme ils l’étaient à cette époque-là que de ne rien faire, comme aujourd’hui. Bon, il y a bien quelques relents de contestation, mais ce sont surtout des manifestations où on va parce que tout le monde y va." Une idée qui trouve son chemin jusqu’à une chanson (La Manifestation, tiens…), où l’auteur se moque allègrement des néo-hippies poilus et autres babas cool de ce monde qui ne trouvent dans la manif qu’un prétexte à la fête, leurs bonnes intentions bien vite envolées quand la pluie froide du printemps leur tombe sur la tête. "C’est une chanson d’urgence", reprend Pauzé à propos d’En berne, se faisant le miroir peu flatteur d’un Québec déconfit, brisant le silence de la complaisance par un geste impulsif et direct. "Pendant plusieurs années, c’était mal vu de parler contre le Québec. On s’en prenait au Canada et aux autres autour, mais on évitait de se regarder en face. Moi, je suis souverainiste convaincu, mais je pense que dans la longue marche pour la souveraineté, il faut aussi savoir se regarder et voir ses défauts, ses problèmes. Et là, il faut le faire plus que jamais, parce que ça ne va pas du tout."
Si l’esprit subversif des Cowboys demeure séduisant, leur travail sur la mémoire et l’imaginaire qui génère les touchants portraits qu’on retrouvait sur Motel Capri (le meilleur exemple était Banlieue) continue de porter fruit. Que ce soit avec Heavy Metal (souvenir composite d’une époque à laquelle ils ont assisté sans vraiment y participer), la très belle Mon chum Rémi ou La Noce, Pauzé crée des personnages, à la fois caricaturaux et authentiques, dont les tribulations, bien qu’elles amplifient à outrance leur caractère folklorique, n’altèrent en rien l’impression de vérité.
Ainsi se côtoient tristes ballades poétiques et rythmiques enjouées, posant en définitive les balises de ce groupe qui se plaît autant à déconner qu’à dénoncer. Des chansons qui s’impriment facilement dans l’inconscient, qu’on se surprend à fredonner dès la seconde écoute, malgré la gravité de certains propos. Un équilibre dans l’écriture et une rupture dans le ton qui ont certes plusieurs avantages, mais aussi quelques inconvénients.
Car en n’adoptant pas musicalement le ton accusateur et un brin rédhibitoire des textes engagés, mais en balançant plutôt des messages d’importance sur des airs de fête, les Cowboys Fringants s’exposent à un problème qui effraie Jean-François Pauzé: "J’espère que des chansons comme En berne réussiront à éveiller les gens. J’ai peur qu’ils viennent dans nos spectacles et qu’ils ne la chantent que parce qu’ils la trouvent bonne. Qu’ils ne réalisent pas l’ampleur du message. J’espère que ça n’arrivera pas, mais ça me fait un peu peur."
Le 30 mars
Au Métropolis
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