

Dumas : Le goût de l’art et autres chansons naïves
Depuis la parution de son premier album éponyme, le jeune DUMAS a attiré des comparaisons flatteuses avec les Leloup, Déry et Bélanger. Mais loin de s’enfler la tête avec de pareils compliments, le chanteur originaire de Victoriaville, en bon élève appliqué, continue de trimer dur et d’apprendre son métier sur le tas.
Marsolais Patrick
– T’es drôle, toi. T’écris des trucs hyper personnels, mais aussitôt qu’on te questionne sur tes émotions ou tes états d’âme, tu détournes le visage, tu fuis mon regard et tu fais comme si tu n’avais pas entendu la question…
– Ça doit être pour ça que je fais de la musique. J’accumule beaucoup et c’est ma manière de faire sortir tout ça. La guitare, j’en joue par plaisir. Les textes, c’est une nécessité…
Steve Dumas est un faiseur de chansons pop de 22 ans. Une belle gueule; de l’entregent, certes; mais avec juste ce qu’il faut de timidité pour ajouter au charisme. Quand il se décide, les mots déboulent à une vitesse excessive, quitte à s’enfarger au sortir de sa bouche. Il peut ainsi vous causer à grand renfort de gestes du dernier disque des Cowboys Fringants, de la carrière complète de Jean Leloup ou de la tournée solo de Daniel Bélanger. Mais dès que le questionnaire s’arrête à Dumas, il enfonce la pédale de frein et se renfrogne. L’innocente beauté de sa musique et ses textes un rien douloureux cachent apparemment une zone d’ombre bien gardée.
Premiers pas
Dumas a grandi à Victoriaville, bercé par la décharge des décibels du grunge. Nirvana, The Smashing Pumpkins, Soundgarden et consorts. Comme n’importe quel ti-cul sans trop d’histoire, il met la main sur une guitare au début du secondaire et joint les rangs d’un groupe de covers de Guns’n’Roses. Il ne chante pas. Il est le guitariste de The Slug, formation qui délaisse finalement Axl Rose et son band pour se concentrer sur les saveurs du moment, le grunge et le punk: "On a même fait la première partie de Blink 182 dans une salle communautaire à Drummondville. J’étais en secondaire cinq. On n’a pas eu un gros succès. Le monde de Drummond n’aime pas les bands de Victo. Y’a une grosse rivalité… À ce moment-là, on ne faisait pas beaucoup de shows, mais je vivais déjà pour la pratique du vendredi soir, dans le local avec de la bière pis des chips. Les amis venaient nous voir. C’est là que j’ai compris la relation musique – public. J’aimais ça."
Dumas se fatigue rapidement de jouer la musique des autres, et tente d’enrichir The Slug de quelques-unes de ses compos. C’est la fin du band. Muni d’un quatre-pistes, il explore, couche sur ruban quelques idées et prend goût aux possibilités qu’offre le studio, même dans sa forme la plus simple: "Avec mes machines, c’était pas mal plus fucké que ce que je fais maintenant. Je tripais Nine Inch Nails. À une ou deux exceptions, tout était en anglais. Je n’arrivais pas à faire sonner mes trucs en français. Comme si j’avais un blocage. Aujourd’hui pourtant, j’ai ben de la misère avec les francos qui chantent en anglais. Je trouve ça ridicule et ça me choque."
La tournée Solo de Daniel Bélanger et l’option Lettres au cégep sont deux des éléments qui conduiront Steve Dumas à gribouiller quelques strophes en français. Il s’inscrit à des concours locaux, revient bredouille de Granby où on le refuse, mais persiste. Au cégep, il décroche juste avant les examens de fin d’année. Symboliquement. Sa voie est trouvée: il sera chanteur, coûte que coûte. Il revendique à peine 18 balais, et Miss Ecstasy est déjà sur papier, tout comme L’Écrivaine, deux chansons qui feront leur chemin jusqu’au premier disque. L’année suivant le refus, Dumas, pas trop orgueilleux, retente l’aventure du Festival de Granby. Armé de ses deux chansons, il met le jury et le public dans sa petite poche, et repart de l’Estrie avec les plus grands honneurs. S’il s’en retourne à Victoriaville, c’est toutefois de Montréal que l’appel se fait le plus insistant. Dumas n’a pas 20 ans, il plie bagage, prend la direction de la Métropole et atterrit dans Hochelaga-Maisonneuve. Le travail de composition peut démarrer…
Second début
À l’écouter réciter son curriculum, on se demande comment pareil apôtre du grunge a pu s’attaquer à l’univers pop avec autant de panache. Bien sûr, son disque éponyme est truffé de maladresses; certes, il repose sur une prose parfois un peu lourde; mais, au final, il renferme avant tout la promesse d’un artiste singulier, pas con du tout et béni du talent rare de mélodiste: "La jonction entre le grunge que j’ai écouté et la pop que je propose se situe probablement dans l’aspect mélodique. La musique de Nirvana est remplie de hooks hallucinants. Kurt Cobain possédait un talent épouvantable. Ses suites d’accords n’étaient pas communes, mais la ligne de voix était toujours mémorable. T’écoutais Nervermind et tu te souvenais tout de suite des chansons. Des formations comme Stone Temple Pilots étaient aussi très fortes mélodiquement. Pour moi, c’est devenu l’élément principal d’une bonne chanson. Les Beatles, c’était ça; Lennon solo aussi. Le déclic de Miss Ecstasy s’est fait comme ça. Quand je la chantais, je voyais bien que le refrain restait dans la tête des gens. Même si la toune était un peu maladroite, elle faisait son effet."
L’univers de Dumas, on l’a dit, n’est pas jaune soleil. Pas noir charbon non plus, mais hanté par les thèmes de la dépendance et du manque (amour, dope). Beaucoup d’histoires de coeur qui ont mal tourné, une difficile quête du bonheur, rien pour laisser croire que la vie du chanteur fut une oasis de paix, du moins au moment de l’écriture. "J’ai commencé à écrire mes chansons dans l’Est de la ville, tout près du métro Joliette. Je vivais en chambre. C’était sombre et bizarre, je trouvais ça difficile. Quand t’arrives de Victoriaville, c’est un premier contact avec la grande ville qui est assez fucké. Je dirais que les vies de quatre ou cinq de mes amis m’ont fourni l’inspiration pour les chansons. Et puis, en même temps, ce disque me ressemble beaucoup. Son côté angoissé, sombre, c’est beaucoup moi. Je me questionnais, j’avais un besoin affectif très fort et je trouve que ça transpire… Je suis aussi quelqu’un de très passionné. L’amour me rend fou et c’est tant mieux. L’amitié aussi. Ça m’énergise. Mais pour le prochain disque, je ne veux plus faire de "tounes de filles"…" Comme n’importe quel premier de classe de la promotion pop, Dumas couche ensuite ses histoires souvent tristounettes sur de joyeuses mélodies parées d’arrangements sucrés, quitte à tromper l’auditeur qui ne ferait pas gaffe. "Quand j’écoute l’album aujourd’hui, je trouve qu’on a été trop loin dans la production. C’est trop rempli. Le prochain, je le voudrais plus aéré. Là, je fais le show avec mes tounes. C’est correct comme ça, mais pas trop longtemps…"
Si le natif de Victoriaville a décidé que ses prochaines créations s’éloigneraient de ses récentes, faites-lui confiance, c’est ce qui va se passer. Parce que jusqu’à un certain point, il en va de sa vie. Dumas fait partie des rares artistes qu’on sent au service de leur art. Très humble, il ne cesse de répéter combien il a encore à apprendre. Il est le premier à rire (donc à admettre!) des erreurs de l’opus initial. Il cite continuellement ses influences (Bélanger, Leloup), vante ses collègues (Alain Quirion, Carl Bastien), évoque ses rencontres importantes (Marc Déry). Ce jeune homme vit pour et par son métier. Tout ce qu’il fait, que ce soit la fête, l’amour ou la lecture, est en rapport avec l’art, quand ce n’en est pas carrément le carburant.
Mieux encore, Dumas est un des seuls chanteurs qu’on voit continuellement dans les salles de spectacle montréalaises. Debout à s’abreuver, pendant que ses pairs dorment au gaz à la maison, bien repus… "C’est important, c’est mon école, explique-t-il. Ce n’est pas que je sois humble, c’est que j’ai juste 22 ans, et qu’il faut que j’absorbe. J’ai un ami qui travaille à la Cinémathèque et qui ne comprend pas pourquoi il n’y a pas plus de cinéastes qui fréquentent l’endroit. Ben c’est pareil pour moi. Je n’arrive pas à saisir pourquoi on ne voit pas plus d’artistes dans les salles de spectacle. Les disques, c’est bien beau, mais le live, c’est vraiment là que ça se passe, c’est là que tu vois la vraie valeur de quelqu’un. J’ai encore des flash-back du show de Bélanger, et c’est certain que je vais y retourner. C’est important, je ne sais pas quoi dire de plus…"
Rien. Tout est là. Une volonté d’apprendre, de s’améliorer et de se renouveler qui laisse présager de bien belles choses. Surtout que Dumas ne craint pas de (bien) s’entourer. Le Spectrum, on le lui souhaite, ne devrait être qu’une des premières étapes vers une permanence en sol montréalais. D’ici là, il n’y a pas de raison de se priver de la promotion initiale…
Le 1er mai
Au Spectrum
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