

Juan Carlos Cacérès : La leçon de tango
De retour à Québec après une série de concerts solos donnés à guichets fermés l’automne dernier, JUAN CARLOS CACÉRÈS se refondra aux rythmes endiablés de son dernier album Toca tango, accompagné cette fois de deux musiciens.
Catherine Morency
Lorsqu’on lui demande s’il a pris goût à la formule piano solo qu’il a baladée à travers l’Amérique et l’Europe au cours des dernières années, Juan Carlos Cacérès s’empresse de répondre: "Bien sûr, mais je suis loin d’avoir délaissé les performances collectives! Pour moi, présenter un concert intimiste correspondait plutôt à un processus inversé." Faisant référence à ses collaborations des 30 dernières années, il rappelle son inclinaison naturelle pour "les géométries variables, les formations de cinq, six ou sept musiciens avec lesquels j’ai élaboré divers projets de jazz et de tango, et qui ont toujours été des sources d’inspiration pour moi". Le retour à une version plus rythmée du tango semble donc s’être imposé au maître argentin, qui poursuit: "Passer de la musique intimiste à la musique rythmée, c’est simplement retourner la même médaille, ce qui se fait intuitivement chez moi car le genre de la musique que j’interprète se décline sur plusieurs tons."
Tango nuevo
Ce genre, tous le connaissent désormais, car l’étiquette du tango lui colle à la peau comme à une réputation qui a d’ailleurs connu un regain phénoménal durant la dernière décennie. Ce qui réjouit le principal intéressé: "Le fait que mes deux derniers disques (Tango Negro et Toca Tango) aient été si bien reçus par le public me confirme que les gens sont enfin prêts à connaître et à adopter une facette moins convenue du genre." Dixit le filon commercial entretenu par les multinationales du disque et des communications, qui véhiculent une image stéréotypée du tango en mettant exclusivement de l’avant des personnages gominés qui dansent lascivement sur des airs langoureux. "Je n’ai rien contre ce genre de manifestations, seulement il faut savoir qu’elles ne sont que l’un des multiples visages d’un style beaucoup plus riche."
En rupture totale avec les écoles bourgeoises et l’establishment qui ont récupéré l’engouement général afin d’en faire une mode et même un produit de consommation globale, Cacérès replonge aux sources fécondes des origines du tango, musique profondément hybride parce qu’issue du mélange des cultures africaine, hispanique, juive et autochtone s’étant depuis des siècles partagé le territoire argentin. "Les gens pensent que le tango est né dans les salons mais ce n’est pas le cas: c’est d’abord et avant tout une musique de rues, de faubourgs et donc profondément populaire, qui origine de la culture noire qu’ont transportée avec eux les esclaves africains émigrés en Argentine au début du XIXe siècle."
S’il n’entretient aucune forme d’animosité envers les ambassadeurs de formes plus conventionnelles, il participe activement à la réhabilitation et à la transmission d’un tango plus organique, moulu par la fusion des percussions et des chants populaires, fermement politisés. "Malgré qu’on observe depuis quelques années un engouement pour la murga (version dansée du tango populaire), qui prend d’assaut les parcs et les endroits publics de Buenos Aires et qui redevient un pôle d’attraction et de solidarité à la suite des bouleversements politiques et sociaux récents, le tango moderne et hybride, aussi appelé "bâtard" par les esthètes défenseurs du tango official, demeure massivement méprisé." Sans prétendre au rôle de porte-parole de cet art marginalisé et méconnu, il souhaite, par son intervention et celle d’autres musiciens, le voir intégrer la part de marché qui lui revient. "Évidemment, explique-t-il, les multinationales devront cesser de le boycotter, sans quoi les initiatives prises par les musiciens argentins demeureront confinées à l’espace clos de la cité, et invariablement confrontées aux problèmes d’enregistrement et de diffusion."
L’extension du domaine de la lutte
Pour celui qui se bat quotidiennement à propulser le tango populaire et confidentiel au rang des arts les plus raffinés, la musique demeure un acte festif et social, par lequel la joie comme la nostalgie doivent s’exprimer sous toutes les formes. "Moi, ce qui me plaît, enchaîne Cacérès, c’est de faire vibrer les gens sur des rythmes universels. Ainsi, je ne me pose jamais la question du genre à employer, mais j’essaie plutôt de conserver un rapport intuitif avec la musique." Un acte spontané qui prend la forme de mélodies envoûtantes et d’empreintes carnavalesques sur Toca Tango, un disque et un spectacle puisant aux sources tant du jazz que des diverses facettes du tango argentin. "Si je passe naturellement d’un genre à l’autre, c’est que l’improvisation est à la base de toute ma démarche. Malheureusement, le tango a évacué l’art de l’improvisation depuis plus de 50 ans; c’est pourquoi il n’en subsiste qu’une version figée et classique, qu’on vend au public comme on vend des saucissons!"
Avec une légèreté rieuse et déconcertante, Juan Carlos Cacérès propose donc une mouture en trio (accompagné de Didier Ithursarry et Marcello Russillo) de ses pérégrinations récentes, tentant de rendre aux rythmes argentins leur pesant d’or, de fraîcheur et de reconnaissance.
Du 12 au 15 juin
À la Maison de la Chanson
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