Issa Bagayogo au Festival Nuits d'Afrique : De Bamako à Port-au-Prince
Musique

Issa Bagayogo au Festival Nuits d’Afrique : De Bamako à Port-au-Prince

Pour sa 16e édition, le Festival Nuits d’Afrique ratisse large, avec une très forte présence haïtienne, la doyenne du raï, du groove électro-tropical et un énigmatique et séduisant Malien, Issa Bagayogo. Tour d’horizon de ce tour du monde…

Le 16e Festival Nuits d’Afrique a commencé difficilement le lendemain du Festival de Jazz, au Kola Note, avec l’annulation de la première performance à Montréal de la chanteuse argentine Barbara Luna. Simple accident de parcours. Et si, comme pour le jazz, le festival des musiques d’origine africaine donne souvent l’impression de sombrer dans la redite avec des affiches prisées ici telles que Rokia Traoré ou Ricardo Lemvo, sans parler des véritables abonnés que sont devenus les percussionnistes guadeloupéens du groupe Van Lévé, la programmation ne manque pas de piquant.

Parmi les retours attendus en 2002, il convient de citer ceux de Femi Kuti avec Positive Force et surtout du géant Thomas Mapfumo, le lion du Zimbabwe, qui en aura probablement long à dire sur la situation politique dans son pays. Également Merceditas Valdez, la soeur du grand Chucho, et des guitaristes émérites comme Alpha Yaya Diallo, le Guinéen de Vancouver, et D’Gary, le Malgache au picking toujours si particulier.

Parmi les nouveautés intéressantes, signalons aussi Habana Sax de Cuba, dont les organisateurs disent beaucoup de bien, et la formation montréalaise Cowboy Cubano qui mêle les bongos et un rap assez séduisant. Un démo circule en ville mais n’importe qui peut se faire une idée grâce à la compilation Nuits d’Afrique, qui paraît cette semaine.

En fait, le choix le plus déchirant se décide ce jeudi, le 11. De la très grande visite au Spectrum: la légendaire Cheikha Rimitti, qui a bercé sur ses genoux tous les princes du raï, avec, en lever de rideau, le chanteur Sahraoui pour compléter cette chaude soirée algérienne. Au même moment, au Kola Note, rendez-vous avec la world plus branchée, comme on dit. La formation européenne P18, qui vient de sortir un nouvel album judicieusement baptisé Electropica et qui se définit volontiers comme une machine à danser la salsa bionique, mène le bal. Mais la véritable curiosité de ce festival, en première partie, est sans nul doute l’énigmatique Issa Bagayogo, 41 ans, surnommé "techno Issa": un paysan de Tombouctou qui fait fureur sur les palmarès des musiques du monde à travers toute l’Europe.

"Je suis vraiment très heureux du succès que ma musique remporte depuis quelque temps un peu partout en Europe, mais je ne fréquente pas du tout les boîtes où les gens dansent sur mes compositions", explique-t-il d’une voix ferme et monocorde.

Joint par téléphone dans un hôtel de Paris, l’homme semble réservé mais intense: "J’ai commencé à faire de la musique à l’âge de 16 ans mais j’ai toujours travaillé la terre. Bien avant de commencer à chanter, bien avant mon arrivée à Bamako, j’étais cultivateur." À l’instar de son illustre compatriote, Ali Farka Touré, qui aime jouer de la guitare en regardant pousser les tubercules dans son village à la lisière du désert, Issa joue du kamélé n’goni – une espèce de guitare préhistorique – en méditant sur la fragilité des choses humaines. "En effet, dans Dama, je parle de la mort et des funérailles tandis que dans Nogo, je parle de la pollution. En général, c’est ainsi que je procède. Quand je compose une chanson, je ne peux que m’inspirer des réalités, des faits concrets." Descendu à Bamako, la capitale malienne, avec une partie de sa famille, Issa entame une fructueuse collaboration avec un Blanc qui travaille dans le plus important studio de la place. Complétant intelligemment une musique 100 % roots avec une trame sonore électronique faite de percussions hypnotiques, de claviers et d’étranges sonorités de basse, ce duo réussit deux disques pour l’étiquette Six Degrees, dont le deuxième, Timbuktu, est littéralement hallucinant. "J’ai rencontré Yves Wenert par l’intermédiaire de mon producteur Philippe Berthier, qui vit au Mali et qui avait supervisé tous mes enregistrements de musique traditionnelle depuis le début", explique Issa. Wenert est celui qui a proposé d’ajouter des éléments de musique électronique. "Notre collaboration s’est faite sans heurt, tout naturellement." Le résultat est magique. Moins tonitruante que l’expérience analogue Frikiyiwa, c’est tout en douceur que cette musique vous captive et vous transporte ailleurs. Reste à savoir comment ça fonctionne sur scène.

Après-demain, par contre, c’est un portrait de famille qui sera en vedette. Pour la soirée haïtienne au Spectrum, le "bouquet de talents" qu’annonce le programme serait particulièrement disparate si les quatre têtes d’affiche n’avaient en commun cette opiniâtreté, cette persistance dont font parfois preuve certains artistes méconnus ou malchanceux. Harold Faustin, un vieil habitué du Festival, continue de faire cavalier seul dans sa quête d’une musique contemporaine et ambitieuse. Des compositions dont les ramifications touchent au jazz mais qui gardent leurs racines bien enfoncées dans l’histoire et l’imaginaire de son pays natal. À défaut des nouvelles compositions que l’on attend de lui depuis fort longtemps, on peut dire que TL, son spectaculaire hommage à Toussaint Louverture, n’a jamais mieux sonné que depuis qu’il a comme partenaire le bassiste ivoirien Manu Pelé.

Quant à Pierre-Michel Ménard, c’est un entertainer particulièrement doué pour la fête dont les capacités vocales sont sous-estimées; il a déjà partagé la scène à plusieurs reprises avec Yannick Dutelly. Fervente des chansons folkloriques, cette dernière voue une admiration sans borne à la grande Martha Jean-Claude, à qui elle consacre une bonne partie de son répertoire. Dutelly a longtemps séjourné en Afrique tandis que Martha est une battante de la chanson du terroir qui a quitté son pays juste avant la dictature des années 50 pour vivre une deuxième carrière à Cuba.

Pourtant, malgré tout, le clou de la soirée pourrait bien être le septuagénaire Joe Trouillot dans la mesure où cet élégant crooner a rarement bénéficié des honneurs des festivals et des salles situées dans l’axe de la rue Sainte-Catherine. Trouillot a absorbé la potion magique qui lui permet de retrouver ses jambes de 18 ans et l’époque mondaine des grands combos de Port-au-Prince dès qu’il monte sur les planches pour chanter Oro Basso.

Issa Bagayogo
Le 11 juillet
Au Kola Note

Voir calendrier World/Reggae

Programmation complète au www.festnuitafric.com