Henri Salvador : Gentleman charmeur
Musique

Henri Salvador : Gentleman charmeur

Avec Chambre avec vue, l’un des albums les plus fédérateurs des dernières années, le grand HENRI SALVADOR a signé un come-back des plus étonnants. Plus en forme que jamais, le sympathique octogénaire débarque chez nous pour la première fois depuis 1957. Des retrouvailles attendues avec un homme qui sème le bonheur partout où il passe.

"Allôô?" Un seul mot et déjà, dans cette voix ample et mielleuse, il y a une gentillesse qui pétille comme du champagne frais. J’ai beau tenter de m’excuser pour ces cinq minutes de retard à notre rendez-vous téléphonique, il me rassure aimablement: "Ne vous en faites pas, jeune homme, je suis bien installé, peinard; j’ai tout mon temps!" Éclate ce ricanement que je reconnaîtrais entre mille. Moi qui craignais de causer avec un vieillard, je suis servi. Monsieur Henri pète la santé comme un jeune homme qui déguste la vie, qui la sirote avec une paille. Modèle de modestie, il incarne l’amour du show et se compte chanceux de travailler dans ce qui lui procure le plus de plaisir. Tout au cours de notre entretien, je vais avoir une belle démonstration de son esprit vif et de sa mémoire intacte.

"Ça fait un bail que vous êtes venu nous visiter, non?"

"C’est très juste, répond-il avec un brin de malice; la dernière fois, c’était en 1957. J’avais chanté plusieurs jours dans une boîte très bien à Montréal puis à Québec, chez Gérard." Et comme je m’esclaffe devant une telle précision, il me glisse: "Vous savez, ce n’est pas difficile: c’est la seule fois que je suis venu!", et il repart dans ce fou rire irrésistible à grands coups de claques sur les cuisses.

Quarante-cinq ans, vous vous rendez compte? On n’était pas nés! Il a beau avoir le gag facile, Salvador se souvient de tout avec une précision redoutable. Quand je lui dis que je suis né en Haïti et que mon enfance caraïbe a été bercée par "petit Indien s’en allait" et "une chanson douce que me chantait ma maman", il se félicite d’abord d’avoir dépisté mon accent, puis me raconte d’emblée l’histoire de la chanson et de cet album, un 10 pouces avec une pochette rose, probablement le premier disque live que j’aie entendu de ma vie. "C’était mon premier grand spectacle en solo à Paris. J’avais loué moi-même la salle Pleyel. Les paroles de ces chansons étaient de Maurice Pon. C’était un homme très discret, il travaillait dans le charbon. On en a fait plusieurs dont Petit Indien et Le Petit Souper aux chandelles. Et puis, il y avait aussi des sketchs. Vous savez, j’ai exercé le métier de chanteur mais aussi de fantaisiste!"

Et comment! Il faudrait énumérer ici la liste de ses chansons-gags comme Mais non, mais non, Fugue en rires, Zorro est arrivé, sans compter la pléiade de succès qu’il cosigna avec son copain Boris Vian comme parolier à l’âge d’or de Saint-Germain-des-Prés et des cabarets rive gauche. On évoquera aussi Duke Ellington et Louis Armstrong, son amour éperdu pour le swing, ses quatre années au Brésil (il me corrige sur les dates), le violoniste Eddie South, Ray Ventura, Quincy Jones qu’il a rencontré dans le rôle du chef d’orchestre le jour de l’enregistrement de Blouse du dentiste – "On est restés de très bons amis depuis 40 ans" -, le guitariste Biréli Lagrene qu’il adore, Paul Misraki, son ami décédé dont il parle avec tendresse et qu’il honore sur Chambre avec vue en interprétant sa chanson Je sais que tu sais.

Comme quoi le grand retour d’Henri Salvador (un million d’exemplaires de Chambre avec vue vendus en France, 40 000 au Québec) n’aurait pas grand-chose à voir avec le hasard. Certaines de ses chansons comme J’ai vu ou La Muraille de Chine datent de plus de 40 ans. "Je les ai fait écouter à mon producteur, on m’a dit que c’était pas mal." Un sacré bonhomme aux talents multiples qui aurait tout simplement attendu son heure pour faire les choses à son goût, à son rythme.

On comprendra que certaines chansons de ce chef-d’oeuvre tardif soient empreintes d’une certaine nostalgie mais Salvador-le-crooner n’est pas du tout un éternel mélancolique. Nostalgique de la tendresse, de la galanterie, du panache et du swing, ça oui! Ce bonhomme qui possède, intacte, ce qu’il convient d’appeler "la classe" sera chez nous entouré de 12 musiciens et musiciennes, incluant cordes et cuivres.

Et pendant qu’il continue d’égrener ses souvenirs d’une voix enjouée, on ne peut que conclure en lui demandant de bien se reposer, histoire de nous arriver en forme à Montréal. "Ah, pour ça, vous pouvez compter sur moi: pour ne rien foutre, je suis le plus fort!" répond Monsieur Henri. Et retentit de plus belle ce rire de fou qui se bidonne de bon coeur. Ça promet!

Le 28 juillet à 20 h 30
À la Salle Wilfrid-Pelletier