Sonic Youth : New York Stories
Musique

Sonic Youth : New York Stories

Depuis ses débuts, il y a 20 ans, SONIC YOUTH s’est affiché comme l’un des symboles les plus universels du bouillonnement contre-culturel qui est au coeur de l’esprit new-yorkais. Sur son onzième album, Murray Street, le groupe rend hommage à la ville qui l’a vu naître avec, en filigrane, les événements tragiques de septembre dernier.

Du Velvet Underground aux Ramones, en passant par les New York Dolls, beaucoup de groupes rock ont tenté d’incarner en musique le mélange de trash et d’art d’avant-garde qui constitue, pour beaucoup, le véritable esprit de la ville de New York. Depuis 1982, l’un des groupes les plus directement associés à cet esprit contre-culturel est certainement Sonic Youth.

Avec Murray Street, deuxième volet de ce qu’il conviendra un jour d’appeler (n’en déplaise à Paul Auster) sa "Trilogie new-yorkaise", le groupe continue à distiller son rock bruitiste à la fois intello et instinctif, en effleurant les incontournables changements vécus dans la Grosse Pomme depuis ce fatidique jour de septembre 2001. Même si le chanteur et guitariste Thurston Moore et sa compagne, la bassiste et chanteuse Kim Gordon, habitent maintenant dans le Nord du Massachusetts, Murray Street, successeur fort réussi de NYC Ghosts and Flowers, est un nouvel hommage oblique à la ville qui les a vus naître. "New York, c’est un flux permanent, un univers en changement perpétuel, mais c’est une partie intrinsèque de ma personne et un endroit absolument indissociable de l’idée même de Sonic Youth, affirme Thurston Moore. Comme tout le monde, on a été soufflés par les attentats de septembre, d’autant que notre studio, sur Murray Street, était juste à côté des Twin Towers. Pendant plusieurs semaines, on naviguait dans cet univers post-apocalyptique, et on a passé plusieurs mois à ne pas savoir de quoi serait fait le jour suivant; mais on y est retournés parce qu’on sentait un profond attachement. C’était notre quartier…"

Sur Murray Street, une seule chanson, Rain on Tin, fait directement référence aux tragiques événements de septembre. "Gather round, gather friends, never fear, never again", peut-on y entendre. Des paroles aussi directes qu’explicites, une rareté chez Sonic Youth. "Oui, il y a un certain optimisme dans ce morceau; il est clair que je ne voulais pas en faire une sorte de heavy métal sombre et angoissé, explique Moore. Je l’ai écrite chez nous, dans le Massachusetts, alors que plusieurs de nos amis qui avaient fui la ville étaient venus s’installer dans notre maison le temps que ça se calme."

Si Sonic Youth n’a pas perdu l’habitude des explosions dissonantes (la pièce centrale de l’album, Karen Revisited, est une fresque bruitiste de 13 minutes), dans le fond comme dans la forme, il semble avoir atteint une sorte d’équilibre, voire un apaisement, grâce auquel il arrive à réconcilier ses pulsions parfois contradictoires. "On a fait pas mal de trucs purement expérimentaux dans notre carrière et d’autres disques à tendance plus rock; mais aujourd’hui, on se sent plus à l’aise que jamais pour fusionner les deux. Le groupe n’a jamais été aussi soudé, et depuis l’arrivée de Jim O’Rourke comme membre à part entière, on a l’impression qu’on peut vraiment développer toutes nos idées à l’intérieur d’un cadre rock. Cela dit, on va continuer de présenter des trucs débiles avec nos projets parallèles dans des festivals comme celui de Victoriaville."

Après avoir passé 20 ans en marge de tous les courants, Sonic Youth aurait-il enfin envie de plaire aux masses? "Pourquoi pas? L’ennui, c’est que les gens de notre compagnie de disques, même s’ils nous aiment bien, n’ont jamais su quoi faire avec nous. Moi, je verrais bien une chanson comme The Empty Page trouver sa place entre deux hits du Dave Matthews Band. En fait, je ne comprends pas pourquoi ce type semble avoir fait main basse sur tout l’univers de la chanson pour adultes. Pour moi, la musique est un art progressiste, et lui semble incarner exactement le contraire. Tu sais ce que je me disais l’autre jour? Que Sonic Youth devrait lancer un défi au Dave Matthews Band, une sorte de compétition amicale de songwriting. On pourrait rassembler un panel de juges et de critiques indépendants, on créerait des chansons et on sacrerait un vainqueur à la fin de la journée." Et si Dave Matthews gagne? "Je serais le premier à lui serrer la main et peut-être que je me pencherais plus sérieusement sur sa musique…"

Jeunes vieux et vieux jeunes
Sonic Youth n’en est pas à une contradiction près. Si, durant toute sa carrière, le groupe a fait le grand écart entre le monde protéiforme de l’avant-garde et le langage très codifié du rock, il doit aussi, depuis quelques années, composer avec une autre réalité, plus cruelle celle-là: maintenant que ses membres ont atteint la quarantaine (même si Moore a toujours l’air d’un gamin de 15 ans), et qu’ils mènent tous des vies de famille rangées, peuvent-ils toujours prétendre à leur statut de "jeunesse sonique"? Bien que les paroles de leurs chansons demeurent relativement cryptées, on ne peut s’empêcher d’y déceler une fascination constante pour l’univers de la jeunesse, son insouciance et sa créativité débridée. Mais sur Murray Street, ce thème récurrent prend un drôle de tournant avec Radical Adults Lick Godhead Style, qui, étrangement, s’en prend assez directement à la culture jeune d’aujourd’hui, pendant que Moore fait directement allusion à sa propre jeunesse, mentionnant au passage le Transformer de Lou Reed. Sonic Youth serait-il en train de verser dans la nostalgie? "Je me rends compte que je m’inspire de plus en plus des oeuvres qui m’ont marqué à 18 ans, alors que mes role models étaient des rockers comme Lou Reed, ou des journalistes comme Richard Metzer et Lester Bangs, explique Moore. Ce que tu absorbes à cette période de ta vie, même si c’est médiocre, te marque à jamais." Alors pourquoi s’en prendre à la culture jeune d’aujourd’hui? Celle des années 70 était-elle tellement plus glorieuse? "Il faut que j’apporte une nuance, précise Moore. Je suis critique, mais pas de la jeunesse dans son ensemble; ce qui me dégoûte, c’est la façon dont est présentée la culture jeune dans les médias de masse. Je me souviens d’une époque, pas si lointaine, où l’on prétendait qu’il ne fallait pas faire confiance à qui que ce soit d’âgé de plus de 21 ans; mais cette culture jeune d’aujourd’hui est d’un conformisme désolant. De Britney Spears à Limp Bizkit, c’est une version disney-ifiée de la culture jeune qu’on nous présente. Qu’il s’agisse de colère adolescente ou de sexe, tout est moulé, assaini, stérilisé… bref, tellement square! Je suis bien conscient qu’il existe toujours des éléments radicaux, mais ils n’apparaissent même pas sur le radar du mainstream. Regarde autour de toi: qui sont les radicaux d’aujourd’hui, les artistes vrais et authentiques? Neil Young, Lou Reed, Patti Smith, Bob Dylan, Yoko Ono! Que des vieux!"

Jeunes vieux ou vieux jeunes, coincés quelque part dans un vide générationnel, les membres de Sonic Youth continuent leur petit bonhomme de chemin, distillant leur recette chaotique dans un monde de plus en plus formaté, sans subir les angoisses du vieillissement. "Mais je veux être vieux! claironne Moore. Je sais que c’est bizarre dans le monde du rock, qui est un terrain de jeu pour les jeunes; mais sérieusement, je ne voudrais pas avoir 20 ans aujourd’hui et me fondre dans cette culture abjecte. C’est une boutade, bien sûr, parce que je suis assez optimiste sur l’avenir de la musique quand je vois le respect qu’inspirent des groupes comme Wilco ou les Flaming Lips. Je pense que de plus en plus de jeunes ont envie d’authenticité et qu’un jour, l’industrie devra revoir ses façons de faire pour satisfaire à leurs exigences. Ce jour-là, j’espère que Sonic Youth pourra encore faire partie du paysage. Mais d’ici là, je ne veux pas jouer au jeune: il y a des jours où je préférerais de loin aller prendre des bières avec Dylan."

Le 14 août
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