Supertramp : Développement durable
Musique

Supertramp : Développement durable

Presque trois décennies après la parution-choc de Crime of the Century, Supertramp persiste et signe un dix-huitième album, Slow Motion. Sans Roger Hodgson, parti il y a trois vies. Que reste-t-il de vos amours? RICK DAVIES, bien sûr, qui tire désormais toutes les ficelles. Les fans vont adorer.

"Je perçois Supertramp comme un groupe encore viable, qui peut proposer du matériel neuf, pertinent, mais en même temps, ce n’est pas une occupation à plein temps. Nous avons effectué une tournée il y a cinq ans, mais cette fois l’optique est de moins grande envergure. Ce n’est pas comme si on voulait attirer désespérément l’attention du public."

De son domicile de Long Island où il nous accorde cet entretien téléphonique (après avoir habité pendant plus de 25 ans à Los Angeles) Rick Davies répond prudemment aux questions. Remarquez, il aurait très bien pu nous la jouer triomphale: Supertramp vient de terminer une tournée de 75 concerts en Europe. Un carton. Mais aux États-Unis, pays d’Eminem et de Bruce Springsteen, pour "l’art rock", le progressif, appelez ça comme vous voulez, vieux pour vieux, on s’en remet à Johnny Cash, aux Allman Brothers, à Dylan… Sans contrat de distribution valable, Slow Motion n’est disponible que par Internet (supertramp.com)… ou aux concerts.

Le son d’histoire
La voix n’a pas changé d’un iota. Les notes de son clavier non plus, reconnaissables illico, estampillées d’une griffe. Et c’est probablement mieux ainsi. Rick Davies ne voudrait pour rien au monde changer le son de Supertramp. Ne s’agit pas ici d’une production ronronnante, voire sans éclat, ou pire, faussement créative. Ce disque-là vous interpelle, là où ça fait du bien. "Nous avons commencé l’enregistrement le 10 septembre à Los Angeles, raconte-t-il. Inutile de vous dire qu’un léger contretemps est venu perturber la durée de studio prévue. Mais rendre la magie d’une chanson sur disque (et, implicitement, en concert), c’est toujours pour moi le même défi. Slow Motion est un disque typique de Supertramp.

Difficile pour moi d’en interpréter la valeur, mais je pense que Slow Motion va ravir les fans de la première heure. Il n’y a pas beaucoup de chansons qu’on zappe, si je peux le dire ainsi."

Et il a raison. Ce disque-là fera certes oublier les 20 dernières années. Autant éviter toute tergiversation et lui dire d’entrée de jeu que je préfère nettement le vieux Supertamp à tout ce qui a été fait après 1979. "La plupart des groupes doivent composer avec cette réalité, philosophe Davies, cela outrepasse la musique, ça devient quelque chose de nostalgique. Qu’à cela ne tienne, je crois que nous faisons encore de la bonne musique: pourquoi se restreindre à un seul format de chanson, longue ou courte, joyeuse ou triste?" Slow Motion évoque tout ça à la fois. "C’est un ensemble d’éléments: mélodie, rythme, dynamique des sons, arrangements, paroles, c’est notre recette à nous."

Qu’est-ce qui a changé chez Rick Davies? "Mes goûts pour la musique en général. Je reviens aux musiques de mon enfance: R&B, jazz, rock’n’roll, les vieux albums sur Blue Note. J’utilise sur Slow Motion ces influences avec plus de confiance qu’auparavant. Mais je n’aurais ni la prétention, ni l’ambition de verser complètement dans le jazz. Ce n’est pas ma vocation." Et il se reprend: "Je ne pense pas que nous ayons tant changé, dans le fond, peut-être que nous attendons tous les prochains Beatles qui pourraient changer le cours des choses."

Passé en revue
L’histoire, celle de Crime of the Century (1974) à tout le moins, vous la connaissez. Dreamer et la voix haut perchée de Roger Hodgson, School avec son harmonica à faire pâlir d’envie Ennio Morricone, Bloody Well Right et sa mélodie qui tue, Rudy, avec ses élans de poursuite, bref, on reste (encore) subjugué devant ce foisonnement créatif.

"Au moment de la création du groupe en 1970, la scène musicale changeait constamment, se rappelle Davies. Il y avait dans le paysage musical plusieurs de ces groupes pour lesquels on pouvait s’asseoir et écouter le disque du début à la fin; je pense à Spooky Tooth, Traffic, Jethro Tull, King Crimson, le genre de philosophie musicale que nous voulions adopter. Des groupes qui ne misaient pas sur la personnalité d’un seul individu, mais plutôt sur l’aspect collectif."

Crime… est peut-être celui des 18 albums du groupe qui a le mieux vieilli. Même si Indelibly Stamped (1971) et Extremes (1973) sont probablement devenus des pièces de collection, c’est en 1974 qu’on divise les fans. Ceux qui aiment Hodgson et ses petites ritournelles gentilles – Give a Little Bit, Logical Song, It’s Raining Again – ont poursuivi le pèlerinage: Crisis? What Crisis? (1975), Even in the Quietest Moments (1977), Breakfast in America (1979), leur plus gros vendeur. Après, on a semblé faire du surplace. Avant que Hodgson lui-même ne décroche de Supertramp en 1984. Si l’on se fie à la frénésie démentielle de la foule au Centre Molson l’an passé alors que Hodgson nous en balançait quelques-unes avec le groupe "toutes étoiles" de Ringo Starr, il existe bel et bien deux catégories de fans de Supertramp.

"Ce n’est pas parce que les chansons excédaient le format radio, confie Davies, que nous ne voulions pas être populaires. Faut dire que les compagnies de disques étaient plus patientes qu’aujourd’hui, il y avait moyen de faire deux ou trois albums moins vendeurs sans que l’on vous relègue aux oubliettes. Aujourd’hui, la business est devenue… étrange."

On répète souvent que Supertramp a connu son premier véritable bassin de fans au Québec: "C’est tout à fait véridique. La première fois que nous sommes débarqués à Montréal, il y avait 12 000 personnes. Pour nous, c’était incompréhensible! Et c’est grâce à un employé d’A&M, un certain Gerry Primeau, originaire de Montréal, qui a convaincu tout son monde de nous donner une chance."

Cela vous dérange-t-il qu’on s’intéresse davantage à votre passé qu’au présent? "Avec les années, je me suis habitué, et c’est un peu normal que les gens réclament les chansons qui leur sont familières. C’est un peu comme ça que nous avons conçu le spectacle, en proposant les plus récentes au début du concert, pour glisser graduellement vers les plus populaires du répertoire. Nous couvrons toutes les périodes, en somme." La tournée en question s’intitule One More for the Road.

Le 26 août

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