

Cowboys Fringants : L’école des fans
Connaissant les bonheurs comme les affres d’un succès inespéré, les Cowboys Fringants se réjouissent que leurs messages trouvent maintenant des milliers d’oreilles attentives, s’inscrivant cependant en faux devant l’extrémisme de certains fans.
David Desjardins
Le sol tremble, les Cowboys Fringants s’amènent, suivis d’un nuage de poussière. À l’occasion de leur prochain passage, ils seront des centaines à se précipiter des quatre coins du Québec pour assister au concert du groupe qui connaît une montée aussi fulgurante qu’inattendue depuis la parution de son album Break syndical il y a six mois.
En fait, comme l’écrivait un collègue, on n’a pas vu tel phénomène de masse depuis les Colocs ou Jean Leloup, chaque concert revêtant un caractère sacré, les fans scandant chaque ligne de texte comme une incantation où se mêleraient velléités politiques et festives. Il y a quelques semaines, au stade Jarry de Montréal où la formation jouait avec Plume, ils étaient près de 8000 à s’égosiller sur la caustique En berne ou à chanter en coeur le refrain doux-amer de Mon chum Rémi. La consécration.
De la musique de party qui ferait réfléchir? C’est exactement ce que proposent les Cowboys qui, de l’aveu du parolier et principal compositeur Jean-François Pauzé, craignaient cependant que le message ne s’égare quelque part dans le moshpit au parterre, écrasé par le délire collectif. Au contraire, il semble que le coup de poing qu’est En berne ait contribué à ouvrir un espace de discussion essentiel à l’éveil politique d’une nation que le groupe considère comme bien trop apathique.
"Je ne sais pas si tout le monde s’arrête pour écouter le texte, mais on a reçu énormément de courriels de gens qui affirment avoir été conscientisés, qui se sont ouvert les yeux après avoir écouté En berne, constate aujourd’hui Pauzé. On a aussi reçu pas mal d’avis de gens qui ne sont pas d’accord avec notre vision, ce que je trouve ben correct, et on a pu leur répondre, lancer une sorte de débat avec eux. On n’est pas des preachers, on ne demande pas aux gens de nous suivre les yeux fermés, on veut seulement les conscientiser à la réalité politique pour leur éviter de se faire avoir."
Le Québec, le Canada et Super Mario
Sur le site Internet du groupe, où s’échangent autant de banalités que de messages d’engagement politique et de témoignages d’amour, on trouve évidemment de drôles d’oiseaux. Pas toujours le genre de types qu’on voudrait avoir comme porte-étendard: "Hier soir, je lisais vos messages et je me suis rendu compte que je chiale depuis des années et que je n’avais jamais rien fait. Je suis sorti de chez moi et j’ai arraché trois drapeaux canadiens qui empestaient l’air dans mon patelin de Terrebonne…" écrit l’un d’eux. "Ouin… Ce n’est pas tellement l’approche que je préconiserais, lance Pauzé, agacé par le manichéisme que revêtent depuis trop longtemps les relations entre Québec et Ottawa. On est nationalistes, on ne se le cache pas, mais il faut commencer par se regarder, et c’est ce qu’on exprime avec En berne. Je trouve que ce genre de trucs, c’est des enfantillages, des guerres de chiffons qui ne changent absolument rien. Je ne dis pas que le Canada n’a pas de torts, c’est vrai qu’ils investissent des masses de fric en propagande au Québec, mais de là à aller arracher des drapeaux et les brûler… Faudrait pas exagérer."
Et puisqu’on parle politique, on pourra difficilement s’empêcher de faire remarquer que parallèlement à la montée des Cowboys Fringants, celle de l’Action démocratique a aussi de quoi surprendre. Mais bien que, comme il le précisait plus haut, Pauzé ne cherche pas à prêcher pour quoi que ce soit si ce n’est l’éveil des masses, c’est d’un oeil aussi dubitatif que critique qu’il observe cet autre phénomène qui en dit long sur l’état de la politique au Québec: "Les gens s’emballent pour rien, pour une cruche vide. Ce gars-là n’est qu’une image, il n’y a pas beaucoup de contenu dans son programme. Tout ce qu’on sait, c’est qu’il s’agit de petites idées pigées à gauche et à droite, enfin, surtout à droite (rires), dans de vieux systèmes de la droite américaine. Le gars ne dit rien, ne répond pas aux questions, les gens aiment une image que ses organisateurs politiques poussent. On va élire quelqu’un dont on ne sait rien de ce qu’il pense, s’il a de vraies idées de changement ou non. Il y a anguille sous roche quand tu te fais conseiller de ne rien dire."
Symptomatique de la politique d’aujourd’hui? "Exact, et c’est ça le problème. Maintenant, c’est la langue de bois qui prévaut, t’as pas le droit de dire quoi que ce soit, d’avoir de projets de société, si tu t’enflammes trop, on te dit de te la fermer. Je suis d’ailleurs en train d’écrire une chanson là-dessus; on est loin des leaders charismatiques qu’on avait dans les années 60 et 70. On n’a qu’à penser à René Lévesque ou Jean Lesage. Aujourd’hui, toute vision est arrêtée à la base, les politiciens n’ont plus de pouvoir, ce sont les gens en arrière qui contrôlent tout."
En équilibre
Revenant au succès de son groupe, Jean-François Pauzé s’avoue un peu troublé devant une telle ferveur. Bien qu’il confie s’être senti transporté par l’expérience du stade Jarry ("j’avais l’impression de faire partie de U2", dira-t-il à la blague), le gaillard qui écrit le quotidien des gens ordinaires est le plus souvent mal à l’aise devant la révérence dont font preuve certains fans. "On est comme tout le monde, ordinaires, et j’ai de la difficulté à comprendre pourquoi les gens sont impressionnés quand ils nous rencontrent. Arrêtez-moi ça! Je ne comprends pas ça parce que je n’ai jamais été groupie… En même temps, c’est grâce à eux qu’on est là, même s’ils sont trop extrémistes par moments [en parlant des groupes de discussions du site Internet]. Quand ils me sautent dessus, qu’ils me disent que je suis leur idole, j’essaie de les raisonner. "
Parfois coincés entre les aspirations puristes de leurs fans et les réalités du marché, les Cowboys Fringants doivent aujourd’hui jongler avec les implications de leur statut comme avec des balles enflammées: avec une infinie prudence. "Y en a qui disent qu’on ne devrait pas aller au gala de l’Adisq, qu’on ne devrait pas jouer à la Fureur… Écoute, si on veut vivre de ça, on peut refuser certaines choses, être sélectifs, mais il faut bien se plier un peu à la game. Notre site Internet, je compare ça au conseil du Parti québécois. Nos fans de la première heure, ce sont comme les militants qui ont propagé la bonne nouvelle, qui prêtaient les disques au monde, faisaient du bouche à oreille: ils se sentent donc souvent très impliqués dans notre succès et on prend parfois des décisions avec lesquelles ils peuvent ne pas être d’accord. Mais on reste les mêmes, on a encore un pied dans l’underground, et un autre dans le mainstream. On ne changera pas notre musique parce que ça joue à la radio. Il faut juste prendre le temps de leur expliquer."
Le 12 octobre
Au Théâtre Capitole
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