Groovy Aardvark : À la dure
Musique

Groovy Aardvark : À la dure

Seize ans d’existence. Pour un groupe de rock au Québec, on pourrait aisément parler d’une éternité. À tout le moins, d’une rareté. Conscient de cet état de choses, de la précarité que sous-tend le choix de se jouer de l’industrie, Groovy Aardvark persiste tout de même et signe un nouvel album au titre évocateur: Masothérapie. Histoire de survie.

Ça faisait un moment que Groovy Aardvark, probablement l’une des formations rock les plus spectaculaires du Québec, n’avait rien fait paraître de neuf. Quatre années, pour être précis, séparant la parution de son dernier album de matériel original, Oryctérope, et son nouvel essai, Masothérapie.

Un très long hiatus, ponctué par la parution d’un album live, Exit Stage Dive, et par un retour aux premières armes, Fast Times in Longueuil High, que le guitariste et parolier Martin Dupuis explique d’abord simplement: "Entre le changement de guitariste, l’enregistrement du live et de Fast Times, on n’a pas trop eu le temps de se retrouver et d’écrire de nouvelles chansons. Il y a d’autres raisons aussi, mais je ne m’étendrai pas là-dessus", laisse-t-il finalement tomber, sibyllin.

Le spectre de l’abandon qui guette la plupart des groupes rock, Dupuis avoue s’y être confronté à de multiples reprises. Car il ne faut pas être dupe: malgré le succès radiophonique de Vacuum avec les extraits Dérangeant et la reprise hard du Petit Bonheur de Félix Leclerc, et bien que les Groovy parviennent à remplir leurs salles, le groupe vit toujours dans l’incertitude et dans une pauvreté de moins en moins relative qui en aurait d’ores et déjà découragé plus d’un.

"On n’a que deux options: soit on arrête, soit on continue et on compose de meilleures chansons. Et à la minute où on s’assoit ensemble, ça repart, on a un paquet d’idées de chansons, de concepts de spectacles et l’idée d’arrêter ne nous effleure jamais l’esprit, rassure Leclerc. On ne pense jamais à lâcher. Ça plane au-dessus de nous, on le sait, mais jamais on ne baisse les bras. On ne rajeunit pas, mais on n’a jamais eu autant envie de faire du rock."

Cynisme ambiant
Sur Masothérapie, on retrouve donc des Groovy Aardvark engagés dans une lutte des classes à finir, terrorisés par l’absurdité de la politique, par la dictature des apparences. Et même si le propos s’étaye et que l’écriture se raffine, le ton demeure aussi cinglant que d’habitude.

"On aime beaucoup le cynisme, l’humour anglais à la Monty Python. Même s’il y a une forme de colère, il y a toujours un brin d’humour là-dedans, rien n’est pris tout à fait au sérieux dans ce qu’on fait. C’est peut-être notre façon de nous en sauver? Je ne sais pas, je ne réfléchis pas à ça (…) Quand on parle du Sommet des Amériques par exemple, on sait très bien que malgré les manifestations, les politiciens vont continuer de prendre les décisions qu’ils veulent bien prendre et forcément, ça nous donne l’impression que la démocratie, c’est une espèce de joke aussi. Alors on aborde ça en sachant très bien que rien ne va vraiment changer."

La principale nuance sur ce nouvel album, on la trouve dans une plus grande exploitation de thèmes personnels, absolument intimes. Et c’est sans pudeur aucune que le groupe aborde ce versant de vulnérabilité qui détonne avec le cynisme ambiant que Martin décrivait précédemment: "Je n’ai pas de difficulté à assumer les états d’âme de Vince, puisque je n’ai qu’à jouer de la guitare et que je ne les chante pas. C’est sûr que c’est plus difficile pour lui de chanter mes problèmes, mais ça ne nous gêne pas. De toute manière, il n’y a pas grand-chose qui ne pourrait pas entrer dans le cadre de Groovy, sauf peut-être si c’est trop pop, trop léché. Sinon, on est capables de pas mal tout assumer."

Guide de survie
Si Martin Dupuis s’interroge sur les vertus de l’impudence, ses explications quant au titre de l’album viennent confirmer ce qui n’apparaissait jusqu’alors que comme une interrogation, une possibilité. Un album qui s’est fait, de l’aveu du guitariste, dans des conditions frôlant l’inhumanité mais qui ont pourtant rapproché les membres et les ont confortés dans leur désir de conserver le cap.

"On était en studio et on n’avait pas une cenne pour manger", se remémore-t-il. Une affirmation qui choque, surtout venant d’un des groupes de rock les plus populaires du Québec. "Tu l’as dit! Je ne te dirai pas tout parce que t’es journaliste, mais on s’est regardés en comptant nos sous pour manger et on se trouvait vraiment fous. Fous de continuer comme ça, dans la misère, mais tellement contents de se revoir, de jouer ensemble que ça nous fait aussi du bien, et c’est pour ça que, quand Vince est arrivé avec cette idée-là, on a trouvé ça génial: une masothérapie. Mais bon, il faut aimer le malheur quand même, preuve qu’il n’y a rien de logique dans ce qu’on fait. "

Le 16 novembre
Au Kashmir
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