La collaboration artistique entre Robert Lepage et Peter Gabriel apparaît comme une évidence, comme l’inévitable rencontre de deux hommes aux mêmes visées: celles de créateurs misant sur la technologie au service de l’émotion, de sa représentation.
Pour ce faire, le duo se tourne vers une modernité qui se traduit par une complexité technique parfois monstrueuse, mais qui cherche à s’inscrire dans un concept de spectacle à grand déploiement en faisant preuve d’une théâtralité qui transpose, si le pari est remporté, le caractère intime de l’humain à un degré universel.
Un pari d’autant plus risqué que, comme le souligne notre collègue Marsolais (voir texte), le plus récent album de Gabriel en est un de réflexion et de recueillement. Tout le contraire de ses deux disques précédents (So et Us) qui, par leur facture plus pop, se prêtaient beaucoup plus facilement à l’exercice.
Robert Lepage a cependant su saisir l’essence de ce nouvel essai, donnant au spectacle de la tournée Growing Up une allure austère, sombre et étrange. L’organique de la tournée Secret World troqué pour une scénographie mécanique plus près de Zulu Time, on y verra une scène composée de deux cercles concentriques – dont un qui tourne – surplombés d’une gigantesque structure de forme semblable qui, se déplaçant vers le sol, devient plateau de tournage. Et il y a bien sûr l’immense boule-amibe – telle que vue à la télé – au sein de laquelle le chanteur se déplace; puis il y un vélo rigolo, un manteau lumineux un peu décevant, une barque rescapée de la Tempête, etc.
Une très lourde quincaillerie qui n’a pas manqué de faillir alors qu’un millier de fans privilégiés assistaient à la générale de ce spectacle au Colisée de Québec, il y a deux semaines. Un théâtre des opérations dont on pouvait toujours voir les ficelles et où l’interprétation cédait malheureusement le pas à la technologie et à une mise en scène complexe, semée d’embûches. Reste à voir si, dans ce carcan qu’on constate trop contraignant, les musiciens parviendront à prendre leurs aises afin de conférer plus de naturel à une performance qui en manquait terriblement.
Et la musique dans tout ça? Limpide, belle, puissante, interprétée avec brio par un Gabriel solide, un batteur déchaîné en la personne de Ged Lynch – qui arrive à nous faire oublier Manu Katche -, l’habituel David Rhodes, le favori des Québécois qu’est Tony Levin, la fille du chanteur, Melanie, aux choeurs, le multi-instrumentiste Richard Evans et la claviériste Rachel Z.
Un jeu chirurgical, un choix de pièces qui parvient étonnement à réconcilier le nouveau et le vieux matériel. Puis il y a le son: absolument parfait, laissant autant d’espace aux explosions sonores qu’aux chuchotements, le meilleur exemple se matérialisant dans la pièce Darkness en début de prestation: renversante.
Si tout fonctionne, que le groupe prend assez d’assurance sur cette scène surchargée, gageons que le tandem Gabriel-Lepage remportera son pari. À condition de nous épargner la vue de tous les rouages afin que la technologie soit véritablement au service de la musique, et non l’inverse.