

Yann Perreau : L’école de la vie
Promis à un brillant avenir alors qu’il dirigeait le groupe Doc et les Chirurgiens, YANN PERREAU a dû fuir le monde du showbiz pendant quatre ans pour accoucher de Western Romance, un disque intense et intime qui témoigne d’un parcours personnel chargé. Le garçon déchaîné d’hier est encore là, mais il marche désormais dans les chaussures d’un homme qui a vu neiger.
Marsolais Patrick
Un gamin. C’était vrai, il y a huit ans, alors qu’il brûlait les planches de l’Empire des Futures Stars, nous laissant brièvement croire à l’avènement du nouveau sauveur du rock québécois; ça l’était encore la semaine dernière, lorsqu’on l’a rencontré dans un Van Houtte de la rue Sherbrooke. Entre ces deux rendez-vous, Yann Perreau s’est offert une balade plus obscure. De Montréal à San Francisco, de Paris à Lima, il s’est joué de la vie et la vie a bien failli le laisser tomber. Au final, il est toutefois réapparu l’an dernier avec Western Romance, un disque que l’on n’attendait plus. Excellent, de surcroît.
Certains, grâce à Julie Snyder, mettront tout juste neuf semaines à devenir des stars. Après 13 ans de labeur, Yann Perreau y travaille encore et rien ne laisse croire qu’il troquerait son parcours si on lui en donnait le choix. Né à Berthier, cadet d’une famille de six enfants, ses parents possèdent un bar-resto où traîne un piano. Il y martèlera ses notes aussitôt capable d’en escalader le banc. "Je suis l’accident, avoue-t-il. Malgré le piano, malgré le bar, y’a personne chez nous qui est devenu musicien. Personne qui soit acteur ou peintre ou quoi que ce soit d’artistique."
Son penchant naturel, il l’a bien caché. Perreau avait beau écrire des poèmes ou des "chansonnettes" dans son coin, c’était au hockey, au volley ou au football qu’il excellait. On était loin du fauve un peu fou capable de virer les salles à l’envers: "Même mes meilleurs chums ne savaient pas que j’écrivais. Je ne chantais pas, j’étais trop timide. J’étais un sportif et je performais assez fort. L’art, c’était un peu mon secret." Le déclic, c’est au Théâtre Saint-Denis qu’il se fera. Ce soir-là, au début des années 90, Perreau, 16 ans, voit un homme en solo au piano avec comme seuls éléments scéniques un casque de mineur et un follow spot. L’ado est sur le cul. Richard Desjardins vient d’autoriser l’artiste à sortir de la garde-robe.
La solitude du coureur de fond
Un an après l’épiphanie Desjardins, Yann s’exile à Montréal. Il prend les commandes de Doc et les Chirurgiens avec qui il remporte le concours Cégeps Rock. Comme premier prix, la formation obtient une tournée belge et s’offre la première partie des Rita Mitsouko à Namur devant des milliers de personnes. Le chanteur n’a pas encore 10 shows derrière la cravate… Peu importe, la rumeur commence à circuler: Doc et les Chirurgiens sont menés par un leader rare, intense et charismatique au possible. Un showman de 18 ans, pieds nus, en bedaine, qu’on jurerait parfois en transe et qui sème le délire (tous ceux qui ont vu Doc à l’époque savent que le mot n’est pas exagéré) parmi ses fidèles. Les comparaisons fusent: Leloup, mais surtout Morrison. Yann et ses complices font un tabac à l’Empire des Futures Stars. "Là, ç’a commencé à rouler pas mal vite. Trop vite. J’avais 18 ans, j’étais pas mal fou. Tout le cirque autour du band m’a étourdi…"
Parallèlement, sa réputation d’animal nocturne s’est mise à accoter celle de bête de scène. "Je ne comprenais pas l’engouement. J’en étais fier cependant, mais je ne comprenais pas. Et puis le carcan des tournées est devenu oppressant. J’enviais mes amis qui partaient dans l’Ouest avec leur sac à dos alors que je devais aller chanter à Coaticook. J’avais à peine 20 ans mais je devais me taper toutes les responsabilités qui viennent avec une job. C’était trop. Avec le recul, le quotidien sexe-drogue-rock’n’roll que j’ai mené à ce moment, je réalise que c’était comme un gros fuck you à toute cette vie dans le showbiz. J’étais trop jeune. C’était rendu que j’aimais mieux aller jouer du drum à Contrecoeur avec mes chums que de monter sur scène avec Doc et les Chirurgiens. Le vent soufflait trop fort…"
La vie, plutôt que Yann, se chargera de mettre un frein à l’aventure du groupe. Mis sur les tablettes après un premier disque au succès mitigé et dans la foulée de changements administratifs qui auront raison de leur compagnie de disques, Doc et les Chirurgiens donnent leur ultime spectacle au Cabaret de Montréal en 1999. "La salle était remplie, c’était parfait. Après le show, David Brunet et moi on s’est regardé et on s’est dit: >Ouais, on finit ça comme ça.> Pour le bien-être de tout le monde, et pour ma santé, c’était la meilleure chose à faire. Mixmania, Star Académie, tant mieux si ça marche pour ces chanteurs-là. Moi j’étais pas prêt…"
À l’époque, on se disait que le chanteur allait rebondir dans les mois suivants, enfin libre et seul. Au bout du compte, il aura mis quatre ans à refaire surface: "J’avais besoin de ce repos-là. Et puis pour être honnête, le téléphone n’a pas sonné non plus…"
Yann Perreau est un romantique et un rêveur. Un excessif capable de se défoncer dans tous les sens du terme. On le soupçonne d’avoir une vision très précise de ce que doit être un artiste. De ce qu’il doit expérimenter aussi. La liberté à son maximum, sous toutes ses formes, quitte à la payer de sa vie: "J’étais supposé être une rock star, je me suis dit que j’allais me péter le trip qui va avec…" Le voilà donc à sillonner l’Amérique de bord en bord, squattant les terminus d’autobus, traversant le désert sur le pouce, la Californie sans but précis, puis le Pérou, la France… Amoureux de Kerouac, il reprend l’autobus Greyhound et se tape le trajet d’On the Road. Se retrouve à San Francisco à jouer de l’harmonica avec les itinérants: "C’était peut-être idéaliste, mais au moins ça me nourrissait. Et puis j’avais l’impression de construire ma propre légende… J’encourage pas la dope ou la fuite pour autant, mais moi, j’avais besoin de sacrer le camp parce que j’étais trop vite devenu une personnalité."
Ses trips, Perreau les assume donc pleinement, même s’il se donne parfois la frousse. Pas surprenant que des rumeurs aient déjà surgi sur son état de santé. À entendre certains, il n’eût pas été surprenant de le retrouver mort ou à demi inconscient dans le fond d’une ruelle. Rumeurs fondées? "Oui… mais non, répond-il en riant. J’ai soif de vie, je veux aller loin, être entendu, et ce n’est pas en me ramassant dans le fond d’une ruelle que ça va se réaliser. En même temps, oui, j’ai raclé le fond, mais je me dis que ça me sert. C’est ma carrière. Paradoxalement, j’ai fait mes plus belles chansons quand j’étais sobre. Je pense que je suis beaucoup plus beau lorsque je suis à jeun…"
Après une rupture amoureuse suivie d’une dépression, Yann Perreau s’est lancé dans un cours de gestion de carrière. Il a alors réalisé que son but n’était pas de poser de la tourbe ou de livrer le Voir, mais d’écrire des chansons et de vous émouvoir. Il a mis un peu de discipline dans sa vie, aujourd’hui encore il s’auto-analyse régulièrement pour être certain qu’il ne perd pas les pédales, et sapristi, ça fonctionne. La preuve en est Western Romance, un disque pas facile, mais qui vous remue comme seuls les écorchés sont capables de le faire. "Mes abus me font parfois peur. J’ai fait des conneries qui auraient pu me tuer ou tuer du monde. Des fois je me dis: "Slacke, Perreau!", mais en même temps, dans ce milieu, tout le monde est sujet à ces folies. Je ne suis pas devenu un ange, mais je pense que je canalise mieux mes énergies…" Ses grands yeux bleus souvent fuyants retrouvent enfin les miens. C’est drôle, je parierais plus sur son avenir que sur n’importe quel candidat de Star Académie. Question de parcours, probablement…
Les 12, 14 et 28 mars et le 18 avril
Au Cabaret
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