Diane Dufresne : Chant libre
Musique

Diane Dufresne : Chant libre

DIANE DUFRESNE sera très bientôt En liberté conditionnelle au Monument-National. Nous avions envie de faire fi du personnage et de parler création avec l’artisane, interviewée pour l’occasion par la plus grande fan de l’équipe de rédaction. Ce qui eut l’heur de lui plaire. Rencontre intime avec une artiste modeste et extraordinairement généreuse.

La journaliste d’un jour que je suis fait les cent pas devant une suite de l’Hôtel Saint-Paul. Fébrile, j’attends qu’une équipe télé quitte les lieux avant d’y pénétrer à mon tour. Comme au début de ses spectacles, c’est la voix de Diane Dufresne qui parvient d’abord jusqu’à moi, tandis qu’elle se retire quelques minutes pour reprendre son souffle. Grosse journée. C’est pourtant une femme souriante et détendue qui me tend la main; on me présente comme étant "une immense fan qui a déjà vu le nouveau spectacle trois fois", et voilà qu’elle semble devenir la plus intimidée des deux. Ainsi s’amorce une heure de conversation des plus chaleureuses avec une créatrice qui ne tient toujours rien pour acquis.

Un beau rendez-vous
Conçu dans le bonheur, en format portatif pour la tournée, En liberté conditionnelle fait la part belle à la chanteuse. Visiblement à son aise, elle déploie toutes ses couleurs dans un triptyque: des chansons d’amour, des succès revampés et une troisième partie bouleversante. "Je suis surprise que ça prenne cette ampleur parce que je n’étais pas quelqu’un de tournée; pas que je n’aimais pas ça, mais le public n’était pas au rendez-vous. Maintenant, les gens n’ont plus peur de moi, tant mieux; ils devraient peut-être avoir encore peur! lance-t-elle dans un éclat de rire. Avant, pour certains, j’étais trop marginale, je portais des costumes excentriques… mais la vie a changé, on voit que c’était une fantaisie. Je change physiquement, je vieillis, mais j’ai toujours le même langage, la même façon d’être directe. Si seulement je pouvais impulser un peu de créativité chez les gens. Peut-être trouvent-ils une certaine liberté à travers moi, à travers mes shows…"

Le public. Quel que soit le sujet abordé avec Diane Dufresne, toujours le propos revient vers le public, cet allié indéfectible. On en vient même à se demander si le spectacle n’est pas finalement pour elle qu’un véhicule pour rejoindre l’autre: "(Silence) Ah, il faut que j’y pense… De toute façon, ç’a été longtemps ma vie, mon état d’amour le plus intense. La musique ou l’écriture, si on ne les partage pas, on crève avec, on peut devenir fou. Pour moi, ce n’est pas l’idée de monter sur scène ou d’aller voir le psychiatre, ce n’est pas ça… Très souvent, j’ai écrit des trucs en solitaire et j’essayais de les expliquer à des gens autour de moi, qui ne les comprenaient pas du tout; pourtant, j’arrivais sur scène et c’était compris de tout le monde… Il y a quand même tout un décalage; alors forcément, j’étais attirée vers le public."

Mais tire-t-elle tout de même un plaisir à chanter, sa voix fabuleuse l’émeut-elle autant que nous? "Non, je m’en fous! C’est le public qui me porte à chanter; je ne chante pas dans la vie, ou sous la douche. Je répète deux ou trois semaines avant mes spectacles, sinon je ne pense jamais à ça. J’ai même déjà essayé de la perdre, ma voix! J’ai tellement crié que j’en ai fait une hémorragie… Avant, je cherchais avec ma voix des moyens d’exprimer l’émotion. J’ai crié aussi pour les gens qui ne pouvaient pas crier; il y en a à qui ça faisait peur, mais d’autres à qui ça faisait du bien." N’allez pas croire pour autant qu’elle ne peaufine pas ses interprétations: "Quand je chante Le Parc Belmont ou L’Oubli, je vais jusqu’à la limite du silence, et ça, je l’ai préparé, j’ai imaginé la salle dans ma tête."

Du culot au bout des doigts
L’interprète est devenue parolière il y a 10 ans sans qu’on y prête une très grande attention ("On ne m’en parle jamais!"). Quand je lui fais part des nombreux procédés stylistiques relevés dans ses textes (enjambement, double sens, homophonie, sonorité…), qui témoignent d’une grande maîtrise du genre, son oeil bleu pétille de plaisir, mais elle affiche une grande modestie. "C’est tough, écrire des tounes! Et quand arrive la musique, ça ajoute des contraintes; des fois, quand tu as écrit le mot, c’est beau, mais là ça tombe sur une note aiguë et c’est archi-laid! J’aurais aimé ça, avoir des nouvelles chansons pour ce spectacle; j’admire les compositions des frères Courcy (responsables, sur la compilation Merci, des relectures d’Oxygène, Rock pour un gars de bicyc’), de Voïvod (dont le batteur Michel Langevin assurait la portion automnale de la tournée), d’Alain Sauvageau (son excellent directeur musical), mais je suis limitée par l’attente de la musique. J’ai tellement fait ça pendant des années: téléphoner, demander, attendre…"

Alors, à défaut de nouvelles chansons, elle aimerait bien écrire un livre. "On m’a demandé de faire ma biographie, mais ma vie n’est pas finie! Je ne pourrais pas écrire ma vérité, il faudrait que ce soit une fiction. Faut dire que j’ai eu une vie, mettons, un peu rough", ajoute-t-elle pudiquement.

Diane Dufresne pratique à l’écrit la même approche automatiste que l’on retrouve dans sa peinture, privilégiant l’instinct. "Moi, une page blanche, je mets ça noir! Des fois, je suis down, pis là je le sais qu’il faudrait que j’aille écrire. L’écriture, c’est une éjaculation! J’écris en troisième année B, laissez-le en troisième année B! J’ai cette chance de mal écrire – on s’entend bien -, sinon tu es comme un professeur: tu sais ce qui est beau, et il ne faut pas le savoir. Alors quand j’écris, j’écris n’importe quoi, et dans ce n’importe quoi, il se passe des choses."

L’engagement de l’artiste
Au moment où vous lisez ces lignes, Diane Dufresne se trouve à Paris, invitée pour deux soirs au Châtelet. La situation mondiale n’est pas sans l’inquiéter: "On ne veut pas des tyrans comme Saddam Hussein, mais Bush aussi, il est dangereux. Mais ce qui est bien, cette fois-ci, c’est que les gens descendent dans la rue."

"C’est lent, l’évolution du monde, on n’est pas loin du Cro-Magnon; y’a juste le front qui est un peu plus rentré! (rires) Avant, je me disais qu’un artiste, c’était futile, mais de moins en moins… Il y a beaucoup de chanteurs – quoique beaucoup de chanteurs ne sont pas des artistes… -, il y a beaucoup d’artistes qui cherchent. Un artiste, c’est généreux, donc ça aide." Elle-même a endossé plusieurs causes: les enfants disparus, le sida, et surtout l’itinérance, par le biais de l’organisme parisien Coeur de femmes, qu’elle évoque avec émotion. "On est tous à un pas de la dèche. Tu perds un amoureux, tu fais une dépression, tu perds ton travail…"

Une sensibilité aux drames d’autrui qui n’empêche toutefois pas le bonheur. Et ça transpire dans ce magnifique spectacle: Diane Dufresne est une femme heureuse. "Je ne pensais pas que ça pouvait m’arriver un jour." Elle tourne la tête vers Richard Langevin, son mari et gérant, son ange gardien: "C’est une chance d’avoir rencontré un sourire, quelqu’un qui t’amène, justement, à ce qu’était ta vie; quand je parle de vie, je parle de quelque chose de vital. À l’époque de Détournement majeur, je faisais Kamikaze, "le dernier tour de piste", je l’avais écrit pis bon, salut bonsoir: y’a du monde, y’a du monde, y’en a moins, y’en a moins. Au moins, t’as écrit pis c’est terminé. Pis tout à coup, il arrive autre chose…"

Réjouissons-nous de ce coup du destin qui nous l’a ramenée à l’avant-scène ces dernières années. Et profitons-en pleinement.

Du 20 au 22 mars
Supplémentaires les 9 et 10 mai
Au Monument-National