Jonathan et Éloi Painchaud : Fils uniques
Musique

Jonathan et Éloi Painchaud : Fils uniques

Après avoir connu le succès populaire puis critique avec Okoumé, JONATHAN et ÉLOI PAINCHAUD ont sabordé le navire, à la recherche de leurs racines. Le résultat est simple, serein et sympathique, comme l’était leur père disparu, à qui ils rendent hommage.

La vie est parfois une jolie semeuse de trouble. Parlez-en aux frères Painchaud, Éloi et Jonathan. Chanteurs et multi-instrumentistes au sein d’Okoumé, les deux surfaient pourtant sur la vague du succès. Un premier disque platine, des tournées, des invitations en Louisiane, en France, la reconnaissance du public; le tout, bien sûr, arrosé de généreuses rasades de houblon. La grosse affaire, les ligues majeures. En un peu plus d’un an, l’univers des deux frangins a pourtant basculé. Un second disque au succès moins explosif, une première médiatique ratée, beaucoup de fatigue et de tensions ont fait que les rêves ont pris le bord et entraîné le band avec eux. Au creux de cette sombre vague, en plein temps des Fêtes, Éloi et Jonathan perdaient leur père, Alcide, fauché par un bris du coeur, alors qu’il était encore tout jeune. Voir son père partir est déjà difficile; quand celui-ci est de plus un guide musical comme un modèle de vie, c’est carrément affolant. Devant pareils coups du destin, ne restait plus aux Frères Painchaud qu’à faire ce qu’ils font le mieux: se serrer les coudes, prendre leurs guitares et faire entendre leurs voix.

On comprend maintenant mieux la logique derrière leur nouveau son beaucoup plus organique, qui pourrait faire croire à un retour en arrière plutôt qu’à un réel progrès: "Avec Plan B (ndlr: le dernier et très audacieux album d’Okoumé), on s’est mis volontairement en état de faiblesse, avance Éloi. Comme des équilibristes sur un fil de fer qui jonglent d’une main et essaient de tenir leur parapluie de l’autre. On l’a fait par défi, mais aussi parce qu’on savait qu’il y avait un filet de sécurité en dessous de nous. Mais une fois Okoumé dissous et notre père disparu, on a eu un peu moins envie de jouer aux équilibristes… Au contraire, on a eu besoin de retrouver nos forces pour passer à travers l’épreuve. Le filet de sécurité avait disparu et c’est peut-être pourquoi on est retourné vers nos racines. Y’a eu une urgence. Fallait recommencer à jouer au plus vite."

Guide spirituel
Quiconque connaissait le papa Alcide pourra témoigner de la grandeur du personnage et de l’admiration que lui portaient ses fils. Malheur, par exemple, à ceux qui osaient vanter les mérites de La Bottine souriante, au détriment de Suroît, la formation du paternel. Éloi et Jonathan se lançaient alors à la défense du groupe madelinot comme si on venait de les attaquer personnellement. Je le sais pour avoir argumenté avec eux pendant une bonne heure, un soir autour d’une bière. "Papa, c’était une icône au sein de la famille, témoigne Éloi. Au sens propre comme au sens figuré d’ailleurs, c’était le chef d’orchestre d’une espèce de simplicité. Le genre de gars qui rêvait de mettre tout son avoir dans un sac à dos et de faire le tour du monde pour rencontrer et échanger. Il était d’une sagesse inouïe et portait en lui une bonté exceptionnelle. Jamais il ne jugeait l’autre, il te respectait en tout temps. C’était quelqu’un de vrai, de rayonnant."

L’album – qui s’intitule d’ailleurs Au nom du père – a beau lui être dédié, rien dans les textes ou les musiques ne transpire l’hommage au premier degré. Pas de reprise de Suroît, pas une ligne qui se fasse l’écho malheureusement un brin cliché de la douleur devant la perte de l’être cher: "C’est sûr que la chanson Que du vent, avec ses grosses allusions au folklore, est proche de lui, analyse Jonathan. D’un autre côté, je ne pense pas qu’il aurait voulu qu’on fasse de la musique pour le calquer. Il tenait à ce qu’on fasse notre affaire."

"De mon côté, la pièce instrumentale Petite Symphonie est un moment de grâce dédié à papa. C’est un morceau à la fois immense et tout petit. C’est pas long, c’est simple, ça met de l’avant des instruments modestes, mais derrière cette enveloppe, pour moi, y’a quelque chose de grandiose. Je veux pas m’emporter dans des envolées lyriques, mais je me souviens encore du rayon de soleil qui est entré dans la pièce quand on l’a enregistrée. C’était assez spécial…"

Bande à part
Si Éloi et Jonathan ont dû composer avec le deuil de leur père, des dizaines de milliers de fans ont dû faire celui d’Okoumé, un groupe qui, il y a quelques années à peine, faisait encore l’événement dans un Spectrum bondé, soir après soir. Faut-il rappeler que la formation s’est séparée au sommet de sa créativité, après l’échec relatif de Plan B, son deuxième et dernier disque: "Vous me faites rire quand vous utilisez le mot échec, s’emporte Éloi. Est-ce qu’on peut vraiment qualifier d’échec un disque qui s’est vendu à 50 000 copies au Québec? En moins d’un an, pendant l’avènement du MP3? Moi, en tout cas, je le vois vraiment pas comme ça."

Selon leurs dires, ce n’est pas le ralentissement des ventes, pas plus que la première montréalaise ratée, qui aurait précipité la chute du groupe. Jonathan avance même que les explorations sonores d’Okoumé ne faisaient que commencer et qu’à la base, le projet de disque en tandem n’était qu’une parenthèse. "On voulait faire un petit disque très peu ambitieux à deux guitares. Comme le band prenait une direction encore plus pétée, on s’est dit qu’on allait de cette façon exploiter notre côté rural dans un disque parallèle, sans faire chier le reste de la gang. C’était à l’automne 2001. Deux mois plus tard, mon père est décédé et, au sortir de cette histoire, on a eu quelques meetings, tous les gars du band ensemble. Y’avait rien. Plus d’ambitions ou de projets communs. Rien. Comme une espèce de désintérêt à poursuivre une carrière de groupe. On s’est dit: "Fuck off…""

Au nom du père a donc logiquement pris forme, les deux frangins solidaires s’étant retirés sur le bord d’une rivière dans les Laurentides. Depuis sa parution, plusieurs n’y ont vu qu’un projet acoustique. Un côté unplugged proche de classiques comme Harvest de Neil Young, par exemple. À tort. Le dernier disque des Frères Painchaud a beau ne pas frayer avec le dernier cri de la technologie, il contient pas mal plus que deux guitares sèches et un micro au centre. Les gars l’ont peut-être enregistré dans un chalet en bois rond avec un feu de foyer pour les réchauffer, il reste quand même qu’on avait installé une console de 68 pistes, toutes nécessaires, par exemple, à la construction de pièces comme Un. Soixante-huit pistes, on est quand même loin de Robert Johnson, mes amis. Bien sûr que les six-cordes acoustiques ont la part belle, tout comme le banjo ou l’harmonica, mais la guitare électrique et les claviers ont également droit de cité. Et pas à peu près… "En fait, on ne voulait pas un disque acoustique, confirme Éloi. Plutôt un disque intemporel. Quelque chose qui aurait pu être fait en 1969 comme en 1989, et qui pourra se répéter en 2009."

Conversion d’énergie
Vendredi dernier, je ne savais absolument pas quel Jonathan Painchaud allait se pointer au Café Byblos de l’avenue Laurier. Du temps d’Okoumé, le gars pouvait être jovial et avenant, puis distant et froid le lendemain. On le sentait angoissé, sûr de lui, mais vulnérable. Mon dernier souvenir marquant restait le gars complètement épuisé à la veille de faire sa rentrée montréalaise avec Okoumé. Pour tout vous dire, on avait déjà vu homme plus heureux. Cette fois, sans dire qu’il respire le bonheur (on ne lui a tout de même parlé que 60 minutes), il apparaît évident qu’il est nettement plus équilibré. Plus mature peut-être, quoique j’exècre le qualificatif: "Je prends ma guitare tous les matins, maintenant, lance-t-il. Je peux te dire que du temps d’Okoumé, elle restait dans le coin souvent en tabarnak… J’étais moins dans le trip musique que dans le trip découverte du show-business et ce qui vient avec. Aujourd’hui, ça ne m’intéresse plus." Tous ceux qui l’ont côtoyé de près ou même de loin pourront effectivement confirmer qu’il s’est longtemps cherché. "Je ne pense pas m’être jamais perdu par contre…" "Non, parce que t’avais laissé des petits morceaux de pain derrière toi…", réplique Éloi.

Comme plusieurs personnes ayant donné dans l’excès, Jonathan carbure aujourd’hui à la bière .5, affiche une mine franchement plus détendue et ne semble plus porter le poids de la planète sur ses épaules musclées: "Mais je le répète, je ne pense pas m’être jamais perdu. Mes parents nous ont toujours ramenés à l’essentiel et à la simplicité. Je ne crois pas m’être jamais regardé dans le miroir en ayant l’impression d’être quelqu’un d’autre. Je ne te dis pas que j’ai toujours aimé ce que j’ai vu, mais j’ai toujours su qui j’étais. C’est sûr qu’à 21 ans, si tu m’avais dit que je vivrais un jour comme je le fais présentement, avec mes deux chiens, mon char neuf pis ma bière .5, je t’aurais ri en pleine face. Parce que pour moi, ça, c’est quelqu’un qui a abdiqué devant le rêve de la vie sexe-drogue-rock’n’roll. Mais c’est correct; présentement, je vis de sexe et de rock’n’roll. Juste pas de la dope… Je réalise que le rêve du rock’n’roll que j’avais était un leurre. Et puis aujourd’hui, les rencontres que je fais sont significatives. Elles ne sont pas teintées d’un brouillard éthylique."

L’autre grande différence, bien que ce ne soit qu’une impression, c’est que Jonathan Painchaud n’est plus le leader d’un groupe de cinq. Il est la moitié d’un duo, avec la tonne de pression en moins que ça implique. Ce faisant, son frère Éloi semble maintenant plus à l’aise de faire sa place, à tout le moins en entrevue où il prend carrément les commandes.

Cette nouvelle entité prend maintenant le chemin de la scène, accompagnée de Jean-Guy Grenier aux multiples instruments à cordes (le Wayne Gretzky du country québécois, selon Éloi), dans ce qu’ils veulent être une réunion de famille, archi-intime et chaleureuse: "Je sais que certains journalistes ont adoré Yann Perreau, parce qu’il ne faisait pas un show comme s’il était dans son salon. Nous, on vous le dit tout de suite: c’est une table, trois chaises et des instruments…" Après le tourbillon émotif de la dernière année, voilà une initiative qu’on leur pardonnera aisément.

Le 29 mars
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